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Molly Manning Walker / 2023

How to Have Sex [2]


par Adrienne Boutang / dimanche 21 janvier 2024

Qui ne dit mot ne consent pas toujours

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« Elle était d’accord, elle nous a pas dit de ne pas le faire. »
Apocalypse Bébé, Despentes, 2022

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Le film de Molly Manning Walker raconte l’escapade, dans une île grecque – ici représentée comme un lieu touristique stéréotypé et interchangeable – de Tara, Skye et Em, trois jeunes Britanniques déterminées à oublier, le temps d’une parenthèse de débauches festives, leurs études et les angoisses liées à l’avenir. La tonalité légère et euphorique va laisser peu à peu la place à une atmosphère plus sombre, transformant la parenthèse enchantée en douloureuse initiation.
Comme son titre l’indique, How to Have Sex peut être pensé comme une version féminine de la sex quest, ce genre ado traditionnellement masculin organisé autour du dépucelage d’un groupe de jeunes gens décidés à se débarrasser du fardeau honteux de la virginité. La simple transposition de ce schéma, masculin, à un trio de copines, manifeste les évolutions du genre : c’est bien de la part des jeunes filles - de l’héroïne, en particulier, que vient la volonté de découvrir la sexualité, sans romantisme et sans fioritures. Un point de départ narratif qui permet d’emblée de dépasser le schéma classique de la jeune fille se refusant aux désirs d’un personnage masculin pressant et libidineux.

Introduire une forme de légèreté et postuler la présence d’un désir sexuel qui ne soit pas nécessairement associé à des aspirations romantiques chez une jeune fille permet de délester l’imaginaire culturel de la pesanteur symbolique de la virginité. La caractérisation des trois personnages féminins, et plus spécifiquement de Tara, contraste, par exemple, avec le film de « spring break » – ces récits organisés autour des vacances de printemps dans les pays anglophones, pendant lesquelles lycéen.nes et étudiant.es partent à l’étranger festoyer pendant quelques jours – qui constitue le point de comparaison le plus évident : Spring Breakers de Harmony Korine (2013).

Si le film en restait aux scènes de fête, il se bornerait à remettre en question le motif de la virginité féminine comme qualité précieuse à préserver, poncif qui nourrit encore aujourd’hui l’idéologie conservatrice pro-abstinence telle qu’elle s’est diffusée, notamment, à travers la série Twilight. Toutefois, le récit va plus loin que cette inversion première. Chez Korine aussi, il s’agissait de mettre en scène des party girls sexy et peu vêtues, du genre dont MTV a fait ses émissions les plus célèbres. Mais le cinéaste sulfureux maintenait, sous cet empowerment de façade, une opposition nette entre les deux personnages féminins délurés et la troisième jeune fille, interprétée par Selena Gomez, ex-starlette Disney à l’image très sage, qui, contrairement à ses copines, rentrait chez elle, préservant son innocence et sa candeur telle la Dorothy du Magicien d’Oz. Spring Breakers perpétuait ainsi une opposition classique entre les good girls et les autres, là où How to Have Sex s’emploie à la déconstruire par un travail de caractérisation psychologique délicat. Car la Tara interprétée par Mia McKenna-Bruce est présentée à la fois comme une party girl infatigable déterminée à se rendre aussi sexy et désirable que possible, et, passé l’épisode traumatique, comme une jeune fille fragile et encore malléable, dont le corps et les sentiments méritent davantage de considération.

Si la jeune Tara, déterminée à perdre sa virginité, ne s’embarrasse pas de romantisme, elle va découvrir, d’une manière douloureuse que le film rend avec une subtilité et une justesse saisissantes, que l’acte sexuel requiert des partenaires un minimum d’attention et de respect mutuels. Dans la lignée des récits post #Me-Too, comme le poignant Promising Young Woman (Emerald Fennell, 2021), le film s’emploie à revisiter, sur le mode dramatique, et en évitant soigneusement tout voyeurisme, les scènes de dépucelage des teen movies, interrogeant la notion de consentement. L’évitement du voyeurisme salace passe par un procédé très simple : décaler l’attention du corps de la jeune fille vers son visage, tour à tour joyeux et mélancolique, la faire passer d’objet à sujet de regard – malgré, oui, les décolletés et les mini jupes lamées, rappel du fait que les jeunes filles peuvent s’habiller comme elles le désirent si les jeunes garçons sont bien éduqués. Au cours de deux scènes poignantes qu’on laissera les spectatrices découvrir, la cinéaste décompose les mécanismes par lesquels un « oui » proféré par lassitude, ou une incapacité à dire, ou à faire entendre, un « non », dissimulent un refus impossible à formuler, et analyse la manière dont la violence sexuelle emprunte des chemins tortueux dont la complexité profite aux agresseurs.

On retiendra du film, une image aussi parlante qu’économique : nous voyons, juste après l’acte sexuel apparemment consenti, un jeune homme qui juste avant l’acte sexuel était souriant, tendre et charmeur, s’éloigner, sautillant et conquérant dans son bermuda luisant, sans jeter un regard derrière lui, tandis que la jeune fille dont il a profité reste en arrière, incapable désormais de suivre la cadence de cette énergie vitale qu’on lui a volée. Derrière ce qu’on pourrait qualifier de simple muflerie, le film débusque un redoublement de la brutalité sexuelle, nichée dans les détails des gestes et des comportements. Ni victimisation, ni manichéisme dans ce plan qui épouse le point de vue de l’héroïne.

Il y aurait, sans doute, des points à critiquer dans le film, en particulier la manière dont il semble peu critiquer le modèle de tourisme de masse, l’exploitation des lieux à la seule fin de divertissement de jeunes gens issus de pays plus favorisés. Toutefois le film refuse, à l’exception de la première séquence et d’un passage onirique dans une villa de rêve au milieu du film, de filmer le paysage façon « carte postale ». Avec des décors qui évoquent un huis-clos oppressant – scènes de fêtes nocturnes, hôtels avec piscine interchangeables, et rue commerçante – la mise en scène exprime visuellement le processus démoralisant d’uniformisation dû au tourisme de masse. Un parallèle entre l’exploitation du corps de l’héroïne et le peu d’égards que ces jeunes fêtards manifestent envers les lieux qui les accueillent et qu’ils traitent comme de gigantesques boîtes de nuit à disposition, aurait pu être approfondi. Mais How to Have Sex n’en constitue pas moins un jalon brillant dans la représentation des rapports de genre.

Le film appartient ainsi pleinement aux nouveaux récits post #Me-Too, attentifs à redéfinir la culture à l’aune de la question du consentement, réel et non de façade. Son titre, clin d’œil aux récits didactiques institutionnels comme aux manuels de sexualité, est à prendre au sérieux et à considérer dans le contexte d’une culture qui – comme l’indique explicitement le titre de la série britannique Sex Education (2019-2023) – nous rappelle que la sexualité, processus culturel, doit s’apprendre, et que les médias doivent jouer leur rôle dans cette éducation.

Aux jeunes filles, le film apprend non pas tant à se méfier et à être vigilantes – ce qui ferait de lui une simple modulation contemporaine des récits de mise en garde (« cautionary tales ») d’antan – qu’à exiger la considération et l’attention qui leur sont dues. Mais il leur dit aussi qu’elles sauront, en « victimes puissantes » trouver en elles la force de rebondir, sans se laisser définir par l’événement, si traumatique soit-il. En cela, il trouve un juste milieu entre les mises en garde culpabilisantes et l’euphémisation dédramatisante de l’agression sexuelle.


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