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Le film s’ouvre sur une jeune femme, Santosh, traumatisée par la mort de son mari, agent de police tué par la foule lors d’une émeute communautaire. Ils ont fait un mariage d’amour mais la veuve doit maintenant faire face à des beaux-parents haineux pour qui elle est la sorcière qui a dévoré leur précieux fils. Sa propre famille ne veut pas d’elle et Santosh est "sauvée" par une clause réglementaire qui donne le poste du défunt à son plus proche parent "pour raisons humanitaires". Six mois plus tard, nous retrouvons l’agente Santosh Saini en uniforme de police kaki, affectée dans un village du nord de l’Inde.
Il s’agit de la fameuse "ceinture des vaches" de l’Inde, la région rurale la plus défavorisée du pays, connue pour ses divisions entre castes et communautés, sa corruption, ses magouilles politiques, son manque de respect de la loi et ses brutalités policières. Elle se retrouve bientôt plongée dans le tourbillon de la politique locale et des jeux de pouvoir, objet d’une misogynie désinvolte et d’un mépris cynique pour les plus pauvres et les plus vulnérables, ceux qui se trouvent au bas de l’échelle des castes et des hiérarchies communautaires de l’Inde.
Lorsqu’une jeune fille de 15 ans appartenant à la caste des intouchables disparaît, la police refuse d’ouvrir une enquête. Puis le corps de la jeune fille, violée et assassinée, est retrouvé au fond du puits du village et les médias s’en émeuvent. Une inspectrice chevronnée, Sharma, est envoyée pour élucider l’affaire et prend Santosh sous son aile.
Un jeune musulman qui a envoyé des messages à la jeune fille violée est la victime idéale. S’ensuit une séquence de brutalité policière d’une longueur insupportable, menée et commandée par Sharma, à l’allure maternelle. Santosh, la policière débutante, devient soudain vicieusement violente, participant sans réserve à la torture implacable infligée au suspect laissé pour mort. Il s’avère finalement qu’il est innocent et que Sharma le savait depuis le début, tout comme l’identité du véritable criminel, un haut fonctionnaire brahmane. Mais peu importe qu’une jeune vie ait été écrasée. C’était un musulman et un bouc émissaire commode.
La mise en scène de la réalisatrice Sandhya Suri pour ce thriller tendu et féministe est nerveuse, habile et assurée et Sahana Goswami, dans le rôle de Santosh, offre une performance remarquable, portant littéralement le film sur ses épaules. Mais s’il est vrai que la corruption, la brutalité et le cynisme des forces de police indiennes sont de notoriété publique, la négativité qui imprègne tout le film, empreint de manichéisme, nuit à son authenticité. Les tentatives de Suri pour briser le mythe selon lequel les femmes, le sexe dit doux, ne peuvent pas être des tortionnaires ou des bourreaux, sont louables. Comme l’explique Sharma à Santosh : "Il y a deux types d’intouchables dans ce pays. Ceux que personne ne veut toucher et ceux qu’on ne peut pas toucher."
Santosh enregistre, traite et intériorise ce qui l’entoure. Si Goswami dans le rôle de Santosh et Sunita Rajwar dans celui de Sharma forment un duo magnétique, le film regorge de non-acteurs qui excellent à être eux-mêmes devant la caméra. Santosh met à nu la noirceur des divisions communautaires dans l’Inde moderne et explore les ravages causés par la surpopulation et la faillite éthique quand la compétition pour des ressources limitées est si forte que les pauvres se font la guerre, dans une société mondialisée mais terriblement hiérarchisée.
En fin de compte, le film, avec sa saga d’émancipation féministe empreinte de férocité, déçoit par ses tentatives d’en faire trop dans une seule histoire. La réalisatrice anglo-indienne met à jour un problème bien trop profond pour qu’une jeune agente bien intentionnée et inexpérimentée puisse le résoudre, ce qui conduit à un labyrinthe de compromissions, de brutalités policières, de violences de caste et de misogynie, à quoi il faut ajouter du sexe lesbien avec les tentatives de Sharma de séduire sa jeune collègue.
La transformation soudaine de Santosh, d’une policière débutante aux yeux grands ouverts en une participante violente à la torture, n’est pas entièrement convaincante et le film, qui peut être lu comme une description sociale bien documentée, ne parvient pas à explorer les émotions complexes et les éléments déclencheurs qui poussent la protagoniste à agir ainsi.
Contrairement à un autre film d’une réalisatrice indienne, Payal Kapadia, All We Imagine as Light, qui a remporté le Grand Prix à Cannes cette année, Santosh est marqué par la noirceur typique des films d’auteur dans le moule européen du cinéma vérité, où il est de rigueur de zoomer sur les maux qui rongent les sociétés du « Tiers-monde ». Comme pour souligner qu’après s’être libérées du joug colonial, ces sociétés sont incapables d’instaurer des sociétés progressistes, démocratiques et régies par un État de droit. Il n’est donc pas surprenant qu’un film financé par la BBC, entre autres, reflète cette vision des choses.
Polémiquons.
1. Santosh , 13 août, 15:53, par Viviane Candas
Très bonne critique qui a le rare mérite d’établir le lien entre le sujet du film, son traitement et les commanditaires producteurs, en l’occurence la BBC. On retrouve la même problématique en France avec Arte. La qualité formelle requise est mise au service d’un discours de dénigrement post-colonial aux couleurs féministes mais foncièrement erroné.
2. Santosh , 9 septembre, 15:12, par PCH
s’il est peut-être vrai que le film noircit (avec une certaine complaisance) les relations interpersonnelles (des actrices plutôt) qui interagissent (l’amour lesbien en cette occurrence est nettement rejeté) vous passez sous silence la domination exercée par la société mâle sur la femelle (notamment la scène dans le restaurant où le regard mâle est mis au défi et finit par capituler)- ces adjectifs (mâle et femelle) qui marquent, cependant grassement gravement et graveleusement les rapports de classes et de castes - c’est un film assez réussi cependant qui montre que rien n’est jamais gagné pour les femmes, quand même elles se trouveraient, ici pour Santosh, malencontreusement, du côté de l’État et de sa force symbolique et armée (et notamment dans un pays et une société régi.es par l’extrême droite) : elle abandonne d’ailleurs son emploi.