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Jonas Trueba / 2024

Septembre sans attendre


par Geneviève Sellier / mardi 1er octobre 2024

Un couple célèbre sa séparation par une fête...

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Jonas Trueba, réalisateur espagnol entre autres de Eva en aout (2020) et Venez voir (2022) semble un digne héritier de la Nouvelle Vague, en ce qu’il filme son propre milieu (le cinéma) et les gens de son âge (ses deux acteurs déjà présents dans ses films précédents, sont de sa génération et ont collaboré au scénario), avec des histoires de couple « intimistes ».

Septembre sans attendre raconte la décision d’un couple, Ale et Alex (sic), d’organiser une fête pour célébrer sa séparation, selon l’adage du père de la protagoniste qui pense qu’il faudrait plutôt fêter les séparations que les unions. On ne saura rien de la raison de leur séparation, mais le film chronique les réactions de leurs proches et de leurs ami·es à l’annonce de ces deux événements apparemment contradictoires, leur séparation et la fête. Parallèlement à ces rencontres, le film chronique aussi le processus concret de leur séparation (dans la douceur) qui les amène progressivement à se retrouver…

A ce fil narratif s’ajoute un « second degré » puisqu’on comprend assez vite que le film qu’Ale, réalisatrice, est en train de monter, centré sur Alex, son acteur, est le même que celui que nous sommes en train de regarder… Dispositif absurde mais qui est censé ajouter une touche d’humour et de distance…

Comme nous sommes dans le milieu du cinéma d’auteur, Ale a un père intellectuel qui, quand elle lui apprend qu’elle va se séparer de son compagnon, lui fait lire Stanley Cavell, et en particulier La Comédie du remariage (1981), le livre le plus connu du philosophe américain pour qui « le cinéma nous rend meilleur ». L’auteur analyse certaines histoires de couple que raconte Hollywood dans les années 1930 et 1940, comme des comédies où les deux protagonistes se séparent pour se retrouver sur des bases plus égalitaires, en évacuant la dimension misogyne de la plupart de ces films, de New York Miami (Capra 1934) à Philadelphia Story (Cukor 1940). Si Septembre sans attendre se veut aussi une comédie du remariage, elle est tout aussi aveugle à la question de la domination genrée.

Ce qui caractérise surtout le film, c’est un rapport distancié au monde que Pierre Bourdieu associait à l’élite cultivée, celle qui, parce qu’elle n’est pas soumise à des contraintes économiques, peut regarder ce qui lui arrive et le monde avec détachement. En effet non seulement on ne saura jamais pourquoi ce couple se sépare, mais il continue à vivre sans heurt sous le même toit, dans le même lit, et passe son temps à expliquer aux autres que tout va bien, contrairement aux gens ordinaires pour qui une séparation se vit dans la douleur et les reproches réciproques, quand ce n’est pas dans la violence...

On remarquera aussi que le réalisateur inverse la situation réelle de son tournage, puisqu’il fait de son actrice principale la réalisatrice du film où tourne son compagnon, façon commode d’évacuer la question de la domination masculine. De cela, bien entendu, il ne sera jamais question. Le monde dans lequel vivent ces artistes, qui n’ont visiblement pas de problème de fin de mois, n’est pas concerné par les dominations ni par les discriminations, qu’elles soient de genre, de classe ou de race…

On dirait que les auteur·ices du film (le réalisateur et ses deux acteur·ices) se sont évertué·es à vider de tout enjeu social les péripéties de leur histoire, jusqu’à l’ennui, pour se distinguer du vulgum pecus, pour qui les séparations sont un drame à la fois psychologique et matériel.


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