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Monia Chokri / 2023

Simple comme Sylvain


par Geneviève Sellier / mercredi 10 janvier 2024

Le plaisir physique n'abolit pas les fossés culturels

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Monia Chokri, actrice et réalisatrice québécoise, propose avec son troisième long-métrage Simple comme Sylvain, l’histoire d’une rencontre passionnelle entre deux personnes venues de milieux sociaux aussi différents que possible : Sophia est philosophe, universitaire à Montréal, qui enseigne à l’université du troisième âge en attendant un poste de titulaire. Sylvain est (comme son nom l’indique) un homme des bois, il vit à la campagne, est passionné de pêche et de chasse et sait tout faire de ses mains. Leur rencontre a lieu à la faveur des travaux que Sophia et son compagnon Xavier, lui aussi universitaire, doivent faire faire dans le chalet qu’ils viennent d’acquérir au bord d’un lac. Ils ont une petite quarantaine et on a fait la connaissance du couple au cours d’un dîner entre amis puis dans sa famille à elle, où s’échangent des propos culturels et politiques souvent agressifs. Le couple fait chambre à part, et on comprend que leur entente est plus intellectuelle que physique.

Comme Xavier part pour un colloque à Toronto, Sophia doit aller seule superviser les travaux dans le chalet. C’est là qu’elle rencontre Sylvain, qui fait un diagnostic catastrophique de l’état du chalet, ce qui déstabilise Sophia. Il lui propose d’aller boire une bière au pub du coin et l’alcool aidant, ils se laissent aller à leur attirance mutuelle, qui va tourner au tsunami pour Sophia. Quand elle rentre à Montréal, elle essaie en vain d’oublier cet épisode, mais finit par avouer à son compagnon qu’elle a « rencontré quelqu’un ». Quand Xavier comprend le sérieux de la situation, il quitte le chalet avec ses parents qu’ils avaient invités. La rupture est consommée et Sophia peut désormais se livrer sans contrainte à sa passion physique pour Sylvain. Les scènes de sexe sont nombreuses mais globalement pertinentes, dans la mesure où il s’agit de mesurer la révélation physique que vit la protagoniste. La caméra est sur elle, la plupart du temps sur son visage, et non dans une posture voyeuriste. Sylvain manifeste son engagement amoureux en l’emmenant dans sa famille. Famille rurale plus chaleureuse que la famille d’intellectuels dont elle vient, même si le fossé culturel apparaît dès ce moment comme considérable.

C’est d’ailleurs la limite du scénario. Les amis et la famille de Sylvain ne cessent de mentionner son intelligence mais les manifestations qu’on en a ne sont guère convaincantes : sa belle-sœur, qui tient un salon de soins esthétiques, apprécie qu’il lui transmette des articles sur les ovnis… auxquels elle croit dur comme fer. Plus tard, lors d’une discussion avec les amis de Sophia, il parle des « Arabes » en déroulant tous les préjugés racistes les plus atterrants. À un autre moment, il est question de La Dame aux camélias, dont il n’a jamais entendu parler… Un tel obscurantisme semble peu vraisemblable en 2023 dans un pays occidental, à propos de quelqu’un dont tout son entourage vante l’intelligence. On a l’impression que la réalisatrice (et scénariste) en a un peu rajouté pour illustrer le fossé culturel entre ses deux personnages. Pendant ce temps, on assiste à intervalles réguliers au cours de Sophia sur les théories philosophiques de l’amour (de Platon à Kierkegaard) qui vient éclairer à sa propre expérience.

Leur première dispute viendra de ce fossé culturel mais aussi du comportement jaloux de Sylvain, que Sophia en intellectuelle libérale ne comprend pas. Sylvain la quitte et elle s’effondre. Elle tente vainement de l’oublier en tentant de renouer avec Xavier, mais Sylvain finit par la recontacter et leur relation prend alors un tour problématique : Sophia manifeste son amour (et sa culpabilité) par sa soumission à des rituels sado-maso dont on ne comprend pas bien la nécessité. Lors de la soirée où elle célèbre son 41e anniversaire, l’écart entre Sylvain et le milieu amical et familial de Sophia est si embarrassant qu’elle décide de le quitter, alors même qu’il lui fait une demande en mariage en bonne et due forme. La scène a une force comique indéniable mais on est un peu gêné par la posture ridicule de Sylvain.

Au-delà du caractère enlevé et souvent drôle des dialogues (en France on apprécie particulièrement les inventions linguistiques des Québécois), on peut reprocher à Simple comme Sylvain de reprendre le cliché de l’opposition entre des intellectuel.les coupé.es de leur propre corps, et un « homme des bois » incarnant la sensualité (thématique qu’avait illustrée brillamment Pascale Ferran avec Lady Chatterley en 2006) mais la révélation faite par une femme de l’amour physique reste un thème porteur quand le regard de la réalisatrice épouse le point de vue de son héroïne. Comme dans le film de Pascale Ferran, le fossé social et culturel entre les amants a finalement raison de leur relation.


générique


Polémiquons.

  • Bonjour, j’ai apprécié cette analyse. Toutefois, je nuancerai un point : l’autrice de l’article estime « peu vraisemblable » l’ignorance intellectuelle de Sylvain alors que son entourage vante son intelligence. N’est-ce pas une question de point de vue ? Ainsi Sylvain est jugé comme la figure intellectuelle de sa famille par ses intérêts et le fait qu’il lise des articles (sur les ovnis oui), car l’acte de lire est considéré par ses proches comme une forme d’intelligence.

    L’article laisse entendre qu’ignorer l’existence du roman « La Dame aux Camélias » est la preuve que le personnage de Sylvain n’est intellectuellement pas au point. Je trouve justement classiste de l’écrire ainsi, la connaissance ou la méconnaissance de « La Dame aux Camélias » ne prouve rien. Le film parle plus de milieu social, et des différences culturelles entre les classes sociales, que d’intelligence. La culture populaire, que Sylvain cite (Michel Sardou) vaut-elle moins que « La Dame aux Camélias » ? Il me semble que c’est l’une des questions que posent le film : comment l’élite intellectuelle, drôlement caricaturée, réagit lorsqu’elle sort de son cercle.

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