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Je suis frappée par le goût de nombreux jeunes cinéastes français.es pour le fantastique : Grave puis Titane de Julia Ducournau, Le Règne animal de Thomas Cailley, en sont quelques exemples parmi d’autres (mais aussi La Nuée, Acide…). Le premier film de Céline Rouzet, En attendant la nuit, relève d’une veine comparable, qui témoigne de l’influence des séries et films états-uniens qui ont fait des genres fantastiques l’expression privilégiée du malaise adolescent, depuis Buffy et les vampires.
En attendant la nuit s’ouvre sur un fond noir avec un hurlement féminin suivi des cris d’un nouveau-né. On comprend qu’un accouchement vient d’avoir lieu. Mais le bébé a du mal à téter. Suit une main qui se crispe sur le montant d’un lit, le bébé saisit le sein et bientôt du sang coule pendant que le bébé tète…
17 ans plus tard, on suit une famille en voiture, qui passe un pont sur une rivière encaissée (référence à Nosferatu le vampire, le film de Murnau sorti en 1922 et sa célébrissime citation : « Dès qu’Hutter eut franchi le pont, ses craintes, qu’il m’avait confiées, ne tardèrent pas à se matérialiser »), pour arriver dans un lotissement niché dans une région montagneuse et arborée, avec une rivière en contrebas. Il y a le père (Jean-Charles Clichet), la mère (Elodie Bouchez), le fils adolescent Philémon (Mathias Legoût Hammond) et sa petite sœur Clémence. Dès qu’iels s’installent dans la maison entourée d’arbres, la mère ferme tous les rideaux, et le soir la famille s’installe devant la télévision, pendant que la mère fait une transfusion sanguine d’elle à son fils, tous deux installés sur le canapé, comme s’il s’agissait d’une routine…
L’adolescent ne se nourrit que de sang humain et ses parents viennent s’installer près d’un centre de transfusion sanguine où la mère est embauchée comme infirmière et vole les poches de sang pour son fils. Philémon est un adolescent filiforme, fragile, affectueux et vulnérable, écartelé entre son désir de partager les plaisirs des personnes de son âge et les précautions qu’il est obligé de prendre à cause de ce qui est présenté comme un handicap, une maladie chronique, son intolérance au soleil et son besoin de sang humain.
Selon la réalisatrice (dans le dossier de presse), En attendant la nuit « est l’histoire d’un garçon qui fait peur aux gens qu’il aime et qui cherche sa place dans un monde qui ne lui ressemble pas. (…) Le vampirisme opère comme une métaphore du handicap, de la dépression et du mal-être adolescent. Pour moi, la fiction et le recours au cinéma de genre permettent d’exacerber les situations en mettant à distance une réalité trop dure. »
Le point commun avec Grave et Le Règne animal, c’est l’hostilité à l’égard de ces personnes non conformes, de la part d’une société qui se caractérise par son intolérance à la différence. Dans cet affrontement, la famille est le seul refuge, malheureusement précaire. Ce qui nous fait mesurer le changement des mentalités depuis la génération 68 (ma génération) pour qui la famille était un repoussoir !
Céline Rouzet, contrairement à Thomas Cailley, fait montre d’une remarquable économie de moyens pour raconter l’histoire de cet adolescent que ses parents cherchent à protéger (on se réjouit de retrouver Elodie Bouchez dans un rôle de mère courage où elle est remarquable).
Philémon est bientôt attiré par une petite bande d’adolescents du voisinage qui se retrouvent pour se baigner dans la rivière, et tombe amoureux de la rayonnante Camilla (Céleste Brunnquell qu’on a découverte dans Fifi). Camilla, contrairement au reste de la bande, regarde Philémon avec sympathie et curiosité et manifeste une audace amoureuse qui leur sera fatale…
Philémon incarne paradoxalement (par rapport au stéréotype du vampire) une masculinité vulnérable, y compris à cause de son physique « maladif », face aux garçons de la bande, en particulier le petit ami de Camilla, qui sont dans la performance, la conquête et la possessivité (faire du vélo, plonger dans la rivière, s’accaparer les filles). Camilla est attirée par Philémon parce qu’il est différent et qu’il lui laisse prendre l’initiative, mais elle sera violemment rappelée à l’ordre socio-genré.
Tout ça finira mal évidemment, mais le film tient jusqu’au bout l’équilibre délicat qui permet aux spectateur.ices d’oublier la dimension fantastique pour ne s’intéresser qu’aux désirs et aux périls que vivent l’adolescent et ses proches.