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Deuxième réalisation de Viggo Mortensen après Falling (2020), Jusqu’au bout du monde (The dead don’t hurt) se déroule dans l’Ouest américain des années 1860. Vivienne Le Coudy, une « jeune femme résolument indépendante » originaire de l’actuel Québec, fait la rencontre de Holger Olsen, un immigré d’origine danoise, et accepte de le suivre dans le Nevada. Alors que son compagnon s’engage dans l’armée lorsqu’éclate la guerre de Sécession, elle se retrouve seule dans un monde d’hommes. « Quand Olsen rentre du front, Vivienne et lui ne sont plus les mêmes », nous apprend le synopsis. Le film est présenté par une bonne partie de la presse française comme un « western féministe ». Après visionnage, les deux semblent pourtant très antinomiques. Le scénariste et réalisateur est sans doute plein de bonnes intentions mais son portrait de femme manque cruellement d’imagination et son traitement des violences sexuelles est caricatural.
Premier problème : la différence d’âge entre les deux interprètes principaux. Vicky Krieps a 40 ans, Viggo Mortensen 65 ans. Énième illustration de ce double standard : les acteurs ont le droit de vieillir à l’écran - ils peuvent même avoir des conquêtes de 25 ans de moins - alors que leurs partenaires féminines sont souvent invisibilisées la cinquantaine passée. Le réalisateur précise toutefois qu’il ne devait pas jouer dans le film initialement et qu’il a repris le rôle après l’abandon de son acteur.
Fascinée par Jeanne d’Arc, Vivienne Le Coudy est une femme « indépendante et forte ». Viggo Mortensen a la main lourde pour nous faire passer le message et semble vouloir cocher toutes les cases de sa to-do-list féministe (« Le féminisme pour les nuls ») : elle éconduit un homme insistant, choisit de travailler une fois installée avec Olsen et refuse de lui servir le petit-déjeuner au lit (« Un petit déjeuner au lit, tu me gâtes », « Non, lève-toi »)… tout en l’ayant préparé au préalable. Moderne mais pas trop, on est en 1860 et c’est un western. Vivienne reste une femme de son époque et en découvrant la cabane « à l’odeur de rat crevé » d’Olsen, elle y donne un coup de propre.
Les dialogues empruntent les codes de la (mauvaise) romance, la scène de rencontre sur un marché ne semblant avoir été conçue que pour mettre l’acteur-réalisateur à son avantage. Malaise également lorsque Olsen dit à Vivienne qu’elle est « habile de ses mains » (« handy, useful ») et que la main de cette dernière se glisse aussitôt dans le pantalon de son compagnon... Viggo Mortensen déconstruit a minima pour mieux reconstruire et semble ne pas savoir sur quel pied danser.
Le traitement des violences sexuelles est à l’image du film, caricatural. Alors qu’Olsen a quitté le foyer, Vivienne est violée un soir à son domicile par Weston Jeffries, un méchant vraiment très très méchant. Le violeur est aussi celui qui terrorise toute la ville : il défigure un pianiste immigré dans un bar, commet des attouchements, commente le physique des adolescentes (« Elles deviennent plus mignonnes chaque année ») et dégaine son flingue à tout va. La figure du monstre est une nouvelle fois convoquée, les violences sexuelles n’étant, c’est bien connu, jamais commises par des mâles ordinaires. Après son agression, Vivienne fait preuve de la résilience et la dignité attendues : elle choisit de rester, continue de travailler dans le bar fréquenté par Weston Jeffries et élève avec affection l’enfant issu de ce viol jusqu’au retour d’Olsen. Une bonne victime. Après son décès de la syphilis transmise par son agresseur (oui, rien ne lui est épargné), Olsen et Weston Jeffries s’affrontent dans un duel sanglant à cheval. L’héroïne, victime de la violence des hommes, n’est finalement qu’un prétexte pour servir le climax du western aux amateurs du genre.