____
J’avoue ne pas connaître les opus précédents de ce cinéaste mexicain. Memory ne garde aucune trace de l’origine nationale du scénariste et réalisateur, et se présente comme un petit film indépendant new-yorkais, avec toutefois une star, Jessica Chastain, dont on apprend qu’elle a choisi elle-même son partenaire, beaucoup moins connu, Peter Sarsgaard, dont c’est le premier rôle important qui lui a valu la coupe Volpi à Venise.
L’histoire dont la critique nous a déjà donné les tenants et les aboutissants, est certes émouvante : Sylvia, une femme solitaire qui vit avec Anna, sa fille adolescente qu’elle tente de protéger des périls de son âge, est assistante sociale dans un centre d’aide aux adultes en difficulté. Au cours d’une soirée d’anciens élèves de son lycée, où sa sœur cadette l’a traînée, elle est abordée par un homme qu’elle tente de fuir, mais il la suit jusque chez elle et passe la nuit dans la rue. Le lendemain matin elle contacte son frère psychiatre qui lui apprend que Saul est atteint de démence, maladie dégénérative à son début. Elle accepte de s’occuper de lui sur son temps libre mais croit le reconnaître comme un des garçons complices du viol qu’elle a subi à l’âge de douze ans au lycée.
Sa sœur lui démontre qu’elle s’est trompée et Sylvia commence alors une relation suivie avec cet homme doux et vulnérable que son frère interrompt quand il soupçonne un attachement amoureux. Entretemps, on a assisté à un tsunami familial : la mère de Sylvia avec qui elle a rompu depuis la naissance d’Anna, parce qu’elle a toujours refusé de croire que Sylvia avait été abusée par son père, doit faire face à son autre fille, qui confirme le comportement du père (décédé). Après cette crise éprouvante, Saul et Anna tentent de consoler Sylvia, mais Saul a une nouvelle crise qui provoque l’intervention de son frère. Celui-ci l’enferme chez lui sous la surveillance d’un homme qui semble plus un gardien qu’un infirmier. La jeune Anna viendra le délivrer pour le ramener chez Sylvia. Fin.
Malgré l’indéniable charisme de Jessica Chastain et Peter Sarsgaard, l’accumulation des péripéties et le manichéisme des personnages nuit beaucoup à la crédibilité de ce conte de fées. La méchante mère est incarnée par Jessica Harper, difficile à regarder tant elle est défigurée par la chirurgie esthétique. Le méchant frère psychiatre est incarné par Josh Charles débarqué de The Good Wife. Tout ce petit monde semble vouloir rejouer une version new-yorkaise de Vol au-dessus d’un nid de coucou, où les personnes psychiquement malades, que ce soit à cause de traumatismes enfantins ou de maladie dégénérative, sont victimes de ceux qui se prétendent normaux.
Il manque au film un véritable ancrage social : le travail de Sylvia comme assistante sociale est parfaitement décoratif, et les appartements sont typiques des milieux intello-artistes de New York. On veut nous faire croire que Sylvia vit dans un quartier mal famé, mais là encore ça reste purement décoratif. Quant à son histoire familiale, où se mêlent l’inceste paternel et le viol collectif au lycée, avec en cerise sur le gâteau l’accusation de mythomanie de sa mère, elle est d’autant moins crédible qu’on assiste à un brusque retournement de la sœur cadette, qui de complice de la mère, devient dénonciatrice, sans qu’on comprenne pourquoi. Enfin, le « happy end », grâce à l’adolescente qui « sauve » l’amoureux de sa mère des griffes du méchant frère, laisse complètement de côté la question de la maladie de Saul.
Quand les deux protagonistes font l’amour, on espère mais en vain une scène de sexe qui sorte un peu des stéréotypes : il enlève son pull, elle garde le sien sans qu’on sache pourquoi, ils se mettent au lit, il se met sur elle, ça a l’air un peu difficultueux, mais une ellipse met fin à ces velléités d’en dire plus.
Dans ce conte de fées, la méchanceté est également répartie entre les genres : d’un côté la méchante mère qui couvre le père incestueux, de l’autre le méchant frère qui abuse de ses compétences professionnelles. ça aurait pu être intéressant que le gentil Saul ait été complice dans sa jeunesse d’un viol collectif, mais cette piste est vite abandonnée. Quant à l’adolescente rebelle, elle devient une gentille fille dès qu’elle comprend que sa mère a été une enfant abusée. Aucune place n’est laissée dans Memory à la complexité des personnages et des situations.
Polémiquons.
1. Memory, 12 juin, 12:58, par Charles-Juliette
Geneviève Sellier n’entrave rien aux films qu’elle voit, épisode 522442. Nous commencerons par prescrire à Geneviève un CDD d’un an en ehpad comme auxilliaire de vie, afin qu’elle touche concrètement du doigt la différence entre ce métier et celui d’assistante sociale, qu’elle attribue à tort à Sylvia.
Nous l’inviterons durant la même période à fréquenter les réunions des AA afin qu’elle percute que depuis 13 ans Sylvia, alcoolo-dépendante, s’astreint à ce soin collectif volontaire pour rester sobre et que ça n’est pas un détail.
Nous l’inviterons à regarder le visage de la sœur, déchirée depuis l’enfance par un conflit de loyauté, renforcé par l’opportun et farouche parti-pris de son mari de croire sa belle-mère plutôt que Sylvia et sa triste vérité. Sœur silenciée, qui jamais ne sourit, et qui un jour parle. Nous penserons aux tragédies grecques en regardant cette scène où chez tous le désespoir se lit. Nous serons émus par le corps fragile de la mère, filmée à ce moment là de dos.
Nous aurons obligé Geneviève à écouter la même mère quand elle parlait à sa famille, tour de contrôle épuisée d’une impossible bienséance familiale et sociale. Nous l’inviterons à observer la détresse affolée qui tordait par éclairs répétés ce visage refait.
Nous apprendrons à Geneviève la douceur, la maladresse tendre mais aussi brutale de deux corps qui font pour la première fois ensemble le pari d’au plus près se rapprocher.
Nous regarderons avec elle l’infinie tristesse et beauté du sommeil de Saul devant la télé, déjà peu à peu enveloppé du linceul de sa maladie. Nous poserons nos yeux ébahis sur le repos tranquille qu’il procure à Sylvia quand elle s’endort à son tour contre lui, leurs larmes à tous deux séchées.
Nous dirons amen devant la grâce furtivement offerte avant la mort programmée, et sourirons en pensant à la furieuse vitalité de deux jeunes filles un jour follement mises au monde.
2. Memory, 9 juillet, 10:32, par PdB
(je ne sais si c’est le 522442, mais je suis assez d’accord avec Charlotte-Jules)(ce n’est que mon avis que je partage avec celles et ceux qui veulent bien le défendre) vous avez manqué (j’ai pensé à Festen moi) la prise de conscience de la sœur - la scène de lit est plutôt bien, vous avez (en effet) tort : il y a de la passion, de la peur, de la joie(delà à choisir son partenaire, il n’y a qu’un pas qu’allègrement je franchis) (si le "gentil Saul" l’avait violée, je ne crois pas qu’elle aurait pu céder à ses maladroites avances hein)