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Jennifer Kaytin Robinson

Someone Great


Par Jeanne Frommer / dimanche 24 juillet 2022

Heureusement qu'il y a les amies!


Jacques Demy fait dire à la mère de Geneviève dans Les Parapluies de Cherbourg (1963) : « on ne meurt d’amour qu’au cinéma ». Toute personne qui a un jour eu le cœur brisé a pourtant, sûrement, éprouvé le sentiment, qu’il/elle n’y survivrait pas. Je crois au pouvoir cathartique du cinéma. Je crois que certains films peuvent nous guérir, nous donner de l’espoir, nous aider à surmonter les épreuves. Quand j’ai découvert le film Someone Great, écrit et réalisé par Jennifer Kaytin Robinson en 2019, je ne me doutais pas que j’allais voir un de ces films. Et je ne me doutais pas à quel point j’en avais (et je continuerais d’en avoir) besoin.

Someone Great raconte une journée dans la vie de Jenny (Gina Rodriguez), qui vit à New-York et vient de décrocher un travail au magazine Rolling Stone, l’obligeant à déménager à San Francisco, à l’autre bout du pays. Pour cette raison (entre autres), son petit-ami Nate, avec qui elle était en couple depuis 9 ans, décide de mettre fin à leur relation.

Des films sur des femmes qui se reconstruisent après des ruptures, il en existe un certain nombre. Je ne prétends pas les avoir tous vus, loin de là. Tout comme, il existe un grand nombre de films qui parlent des chagrins d’amour. Mais j’ai toujours eu l’impression que ces films offraient une vision sublimée, surréaliste, fantasmée, romancée souvent de la séparation, à l’image des Parapluies de Cherbourg. Quand j’ai vu Someone Great, j’ai vraiment eu l’impression de voir une nouvelle façon d’aborder le sujet de la rupture, tout simplement car je m’y suis vue. J’avais l’impression que, par son côté réaliste, le film me parlait plus directement. Je me suis sentie représentée et cela m’a fait du bien. Malgré un schéma somme toute classique – on suit trois amies dans leurs aventures un peu déjantées, avec une unité de lieu (les rues de New York) et de temps (une journée) - le film offre une approche sensible et juste de ce qu’on peut vivre dans l’après immédiat d’une rupture. Au lieu de durer sur plusieurs jours, mois, années et de montrer comment la protagoniste se reconstruit, apprend à vivre seule ou retrouve l’amour, ici, il s’agit seulement de la première phase. Celle de l’acceptation de la rupture.

Le film est ainsi construit qu’il alterne le présent avec des flash-backs de la vie de Jenny et Nate, dès qu’elle croise quelque chose qui lui rappelle son histoire d’amour. Si le dispositif est traditionnel, il fonctionne très bien dans son exécution. Les remontées de souvenirs soudaines sont comme dans la vie, elles arrivent sans crier gare, et nous submergent de nostalgie ou de tristesse. Et le film est à l’image de ce qu’on vit quand on traverse une rupture, une alternance de moments tristes, de souvenirs mais aussi de moments joyeux.

Et ici les moments joyeux sont associés notamment aux deux amies de l’héroïne. Deux personnages qui permettent aussi de montrer d’autres expériences des relations amoureuses. Chacune des protagonistes suit sa propre trajectoire, faite d’acceptation, de désillusions et de réjouissances.

Erin (DeWanda Wise) d’abord, en couple depuis 4 mois avec Leah, qui craint de passer à l’étape supérieure car elle n’a jamais eu de relation sérieuse. On peut ici apprécier la représentation d’un couple de femmes lesbiennes racisées, qui, si elles ne sont pas les héroïnes du film, ont quand même leur propre trajectoire. D’autant que leur histoire ne rentre dans aucun des schémas récurrents que l’on retrouve dans les récits lesbiens (l’une des deux meurt ou a minima le couple se sépare, une des deux est folle, dépendante, sans compter les histoires de coming out ou encore de lesbiennes qui tombent amoureuses de femmes hétérosexuelles…). A la fin du film, Erin expliquera à Leah qu’elle a peur de s’engager dans la relation à cause d’une mauvaise expérience à l’université où elle est tombée amoureuse d’une femme qui l’a quittée pour un homme. Il s’agit d’une scène assez courte mais qui permet d’évoquer un vécu lesbien, que sa compagne partage et comprend.

Blair (Brittany Snow) ensuite, qui semble être la plus « sérieuse » des trois amies, est en couple depuis des années avec Will. Elle ne l’aime plus mais ne réussit pas à reconnaître qu’elle est malheureuse avec lui car cela impliquerait de remettre en question ses plans de vie (se marier, avoir un enfant avant 30 ans…). Parfois, mettre fin à une relation ce n’est pas juste quitter la personne, c’est aussi renoncer à des projets et une certaine idée de son avenir. Blair choisit finalement de profiter de l’instant présent et d’assumer son désir pour un autre homme, même si cela remet en question son projet de vie.

Les trois héroïnes, chacune à leur niveau, sont confrontées à ce que cela signifie de passer à l’âge adulte, d’accepter que les années étudiantes soient finies. C’est faire le deuil d’un mode de vie et parfois cela passe par des ruptures. A la fin du film, quand Jenny réalise enfin que sa relation était en bout de course bien avant qu’elle ne parte pour San Francisco, quand elle admet enfin de que son couple est fini, elle écrit à Nate : « Je t’ai rencontré quand tout était possible et excitant et que les possibilités du monde semblaient infinies. Et elles le sont toujours, pour toi, pour moi, mais pas pour nous. Quelque part entre hier et aujourd’hui, entre là-bas et ici, je crois que nous ne nous sommes pas juste éloignés, nous avons grandi. »

Mais surtout, derrière la trajectoire de chacune des héroïnes, le film réussit à montrer comment les amitiés féminines apparaissent parfois comme notre seule planche de salut. Et faire des choses aussi triviales que débarquer à 10 heures du matin avec du champagne et du jus d’orange pour danser en petite culotte, traverser tout New York pour trouver des billets pour un concert le soir même, ou s’arrêter au milieu d’une supérette le temps de chanter une chanson triste. Quand tout semble perdu, comme pour Jenny dans le film, ce sont les amies que l’on appelle en pleurs pour être réconfortée, ce sont elles qui nous disent nos quatre vérités quand, complètement désespérée, nous sommes sur le point de prendre de mauvaises décisions, avec elles qu’on a envie d’aller faire le marché le dimanche matin et elles qui finalement nous manquent quand on quitte un endroit. Car c’est ce que réalise finalement l’héroïne : sa relation avec Nate est bien terminée et elle l’était depuis longtemps, mais son amitié avec Blair et Erin est bien plus forte, profonde et ancrée. L’amitié peut surmonter la distance comme elle nous aide à surmonter les épreuves.

Le film n’en cache cependant pas les limites, notamment quand Erin raconte à Leah les raisons de son blocage. Elle n’a jamais pu parler à ses deux meilleures amies de ce qu’elle a vécu, de ce sentiment de n’avoir été qu’une expérience pour la partenaire de sa première histoire d’amour. Même en amitié, certains vécus peuvent être difficiles à partager, quand on n’a pas la même orientation sexuelle ou la même couleur de peau par exemple.

Le réalisme du film à la fois dans sa représentation de la rupture et de la complexité et l’importance des relations amicales en fait, à sa modeste échelle, un film marquant. Raconter une histoire où l’héroïne, plutôt que de s’accrocher à l’homme aimé ou d’en trouver un autre, déclare son amour à ses amies, me semble essentiel. Dans son ouvrage Utopies féministes sur nos écrans (Éditions Daronnes 2022), Pauline Le Gall affirme l’importance politique des récits d’amitiés féminines. « Cette sororité, sisterhood en anglais, me semble importante pour analyser toutes les ouvertures politiques que représentent les mises en scène de l’amitié à l’écran par la manière dont les femmes vont se rejoindre ou se soutenir dans une épreuve. Dès lors que l’amitié féminine est au cœur d’un film, elle permet, en toute logique, de représenter ce que les femmes traversent collectivement. » (p.78) Un peu plus loin, elle cite Sex and the city, qui malgré beaucoup de défauts, avait déjà en son temps fait la part belle aux amitiés féminines et à leur constance. Charlotte déclare un jour à ses amies : « Peut-être que nos amies sont nos véritables âmes sœurs, et que les mecs sont juste là pour que l’on prenne du bon temps ». Valoriser et représenter les amitiés féminines permet de réfléchir à de nouvelles façons de faire société. De sortir des schémas hétéronormés dans lesquels la société cherche à nous confiner. Plutôt que de voir les amitiés comme les antichambres de nos histoires d’amour, pourquoi ne pas les envisager comme les grandes histoires de nos vies, des relations stables, durables, sur lesquelles on peut compter en toutes circonstances.


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