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Akim Isker / 2024

Tout le monde ment 2


par Geneviève Sellier / lundi 18 mars 2024

Quand la télévision publique s’attaque aux violences sexuelles en son sein



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Voici le résumé de l’intrigue proposé par la chaîne.

Claire Abel, une jeune infirmière, est retrouvée poignardée dans son appartement. La police conclut rapidement à un cambriolage qui aurait mal tourné et classe l’affaire. Cependant, un élément étrange fait ressortir le dossier : juste avant son meurtre, la victime avait porté plainte pour agression sexuelle à l’encontre de Mathieu Lecerf, un célèbre acteur d’une série policière et chouchou du public français. Autant dire, un homme intouchable. Le dossier atterrit donc logiquement dans les mains du Groupe des affaires sensibles et de son atout principal, le consultant atypique Vincent Verner. La mission de cette brigade très spéciale : s’attaquer aux puissants que personne n’ose défier. Et cette fois-ci, l’ennemi est de taille...

Il s’agit du second épisode d’une série intitulée Tout le monde ment et dont l’avenir paraît incertain, le premier épisode ayant été diffusé en 2022. Le « Groupe des affaires sensibles » inventé pour l’occasion est chargé d’enquêter sur des faits divers impliquant des personnalités puissantes dont l’influence peut leur permettre d’échapper à la justice. Le Groupe est composé d’une procureure (noire pour respecter l’impératif de diversité), de deux officiers de police (un homme et une femme) et surtout d’un ex-policier radié pour insubordination, Vincent Verner (Vincent Elbaz), connu pour ses méthodes non orthodoxes de recherche de la vérité. Ils sont hébergés par un libraire ancien braqueur, amoureux des polars. Passons sur le caractère plus que fantaisiste de cet attelage… Verner, embauché par la procureure comme « consultant », est le héros de cette énième série d’enquêteurs, assez peu soucieuse de vraisemblance.

Après l’épisode pilote, où l’équipe d’enquêteurs confondait un patron de l’automobile qui manipulait les politiques pour échapper à la règlementation sur la pollution des voitures qu’il construit, et avait fait supprimer une escort girl chargée de compromettre un expert du ministère de l’écologie, le deuxième épisode aborde une question d’une brûlante actualité : Marcel Lecerf (Julien Boisselier), un acteur au sommet de sa popularité, héros d’une série policière, est mis en cause dans l’assassinat d’une jeune femme qui avait porté plainte pour viol contre lui une semaine plus tôt. Au fil de l’enquête on découvre que quatre autres plaintes pour viol contre l’acteur ont été déposées puis retirées. Mais l’acteur est intouchable. Et aucun indice n’a résisté à l’inondation qui a submergé l’appartement de la jeune femme. La première enquête a été close en concluant à un cambriolage qui a mal tourné. Le Groupe des affaires sensibles reprend l’enquête et va utiliser la ruse et même fabriquer des preuves pour forcer l’acteur à l’aveu. En fait ce n’est pas lui mais sa manager, qui lui est dévouée corps et âme, qui a tué la jeune femme, pour éviter que la plainte pour viol ne brise la carrière de son poulain.

L’idée est de mettre en lumière la question du consentement : l’acteur utilise son aura pour « faire son marché » parmi les « fans » qui le suivent dans tous ses déplacements : une fois que celle qu’il a choisie accepte de le suivre pour un dîner fin puis chez lui, il considère qu’il a tous les droits, y compris de violer la jeune femme qui était pourtant prête à coucher avec lui. Il est donc présenté comme un pervers qui pratique des rapports sexuels violents et sans lendemain. Quand la jeune femme violée porte plainte, la manager entre en scène et gère l’affaire contre espèces sonnantes et trébuchantes, jusqu’au jour où l’une d’entre elles refuse la transaction.

Autre point positif de ce téléfilm : traiter des violences sexuelles sur des femmes majeures. Les récents débats suscités par Judith Godrèche ont focalisé ces questions sur les abus sur mineures. Or la plupart des violences sexuelles ont lieu sur des femmes majeures en position dominée du fait de la notoriété de l’homme qui les violente. Toutes les affaires récentes (PPDA, Depardieu, Luc Besson, Gérard Miller...) concernent majoritairement des femmes majeures, et passent sous le tapis sous prétexte qu’il s’agirait de rapports entre "adultes consentants". C’est le caractère systémique de la domination masculine dans une société fortement inégalitaire qui tarde encore à être traitée comme telle.

Qu’est-ce qui laisse sur sa faim dans ce téléfilm plein de bonnes intentions ? D’une part, le coupable manque de charisme : Julien Boisselier, un habitué de la fiction télévisée, dessine un personnage sec et sur la défensive qui peine à nous convaincre de sa séduction. Il manque de complexité par rapport à d’éventuels « modèles » ayant récemment défrayé la chronique… D’autre part, les victimes de ce prédateur manquent de consistance, on nous donne des bribes de leurs témoignages, mais aucune n’accède vraiment à l’existence, y compris la morte. Quant à la manager qui se révèle la criminelle, son personnage n’échappe pas à la misogynie : faute d’être la compagne de l’acteur, elle organise ses plaisirs et couvre son comportement qui tombe sous le coup de la loi.

Enfin, l’équipe d’enquêteurs où l’on retrouve les personnages de l’épisode pilote, manque d’épaisseur : Verner s’implique dans les difficultés scolaires du fils de sa voisine qu’il drague et cette intrigue secondaire vient comme des cheveux sur la soupe ! La répartition très manichéenne entre gentils enquêteurs et méchants complices de l’acteur ne rend pas compte de la réalité des résistances qui empêchent encore aujourd’hui que les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du spectacle soient dénoncées, tant du côté du milieu lui-même que de la police et la justice. Comme souvent dans les fictions télévisées françaises, les abus, les agressions, les violences sont le fait d’individus isolés et non pas d’un système de domination sociale, qu’elle soit de genre, de classe ou de race. Même si ce Groupe des affaires sensibles a justement pour mission de s’attaquer aux puissants, l’intrigue s’arrête toujours aux portes du pouvoir politique, celui-là même qui est censé permettre aux puissants d’échapper à la justice.

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