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Adaptée de la série de romans historiques de l’autrice américaine Julia Quinn, Bridgerton revient pour une très attendue saison 3. C’est la quatrième fois que j’écris à propos Bridgerton (les deux premières saisons ici et ici, et une série spin-off Queen Charlotte), je ne reviendrai donc pas sur le genre de la série (historico-fantaisiste-romantique) ni sur le casting multiracial qui a fait l’objet de controverses diverses et variées. Bridgerton est connue pour ne pas être une série faite pour les historien·nes (pourtant, j’en suis). Les puristes de la Régence anglaise, époque à laquelle se déroule la série, ont probablement abandonné tout espoir et s’en sont retournés aux adaptations plus classiques de Jane Austen . Je vais plutôt directement m’intéresser à la protagoniste et à la trame narrative de cette troisième saison.
La célèbre Lady Whistledown, autrice d’une chronique de potins mondains, fait avancer chaque saison en tant que narratrice (voix de Julie Andrews). Lors de la dernière scène de la première saison et au cours de la saison 2, le public découvre son identité : il s’agit de la discrète Penelope Featherington (Nicola Coughlan). Après deux saisons passées en arrière-plan, Penelope et sa relation amoureuse avec Colin Bridgerton (Luke Newton) occupent à présent le devant de la scène. La saison 2 reposait sur le schéma narratif bien connu du « enemy-to-lover » (de l’ennemi à l’amant), cette saison nous propose celui du « friend-to-lover » (de l’ami à l’amant). Mais la romance passerait presque au second plan car c’est avant tout la saison de l’acceptation de soi et du désir d’indépendance de Penelope, la saison où elle se démarque de sa famille et a le courage de poursuivre ses rêves et d’affronter les conséquences de ses actes.
Un des grands thèmes de Penelope au cours des saisons 2 et 3 consiste à développer ses tentatives pour cacher son identité et mentir à ceux qui lui sont chers pour préserver sa passion – écrire. Ce qui l’amène à trahir son amie Eloïse Bridgerton (Claudia Jessie) à la fin de la saison 2 car celle-ci réalise que Penelope a écrit sur sa relation avec un jeune apprenti imprimeur (un scandale pour l’époque) et beaucoup d’autres ragots sur sa famille (pour rappel, la Reine soupçonnait qu’Eloïse soit Whistledown et Penelope estime que la meilleure façon de la sauver des conséquences d’une telle accusation est d’écrire quelque chose de compromettant sur Eloïse, provoquant la fin de leur amitié). L’autre drame de Penelope à la fin de la saison 2, préparant le terrain pour la saison 3, est d’entendre Colin dire qu’il ne serait jamais attiré par quelqu’un comme elle – entendez, une femme au physique non conforme aux standards de beauté (de notre époque), Penelope étant petite, ronde et rousse.
Les spectateurs connaissent Penelope et Colin depuis plusieurs années, le changement est donc un élément central de leur récit pour « relancer la machine » et il prend différentes formes. D’abord, la plus évidente : le look. Penelope reçoit le leading-lady treatment (transformation en protagoniste principale) et se voit dotée d’un tout nouveau look glamour, Colin également, mais son nouveau look ne revêt pas la même signification pour le développement de son personnage. En effet, le changement de look de Penelope est un choix délibéré qu’elle décide, lorsqu’elle prend conscience qu’elle est condamnée à rester sous la coupe de sa famille pour le reste de sa vie si elle ne trouve pas un mari. Car Penelope entame sa troisième année sur le marché du mariage, sans aucune perspective jusqu’à présent ; or, dans le monde hiérarchisé de la haute société du début du XIXe siècle, les alliances matrimoniales sont rarement guidées par des questions de cœur, le mariage étant une entreprise pragmatique, vitale pour assurer une stabilité financière et un statut social. Les femmes célibataires qui ne possèdent pas leur propre fortune, comme Penelope et la peste Cressida Cowper (Jessica Madsen), personnage davantage développé au cours de cette saison, sont considérées comme un fardeau financier et une source d’embarras pour leur famille. Penelope obéissait à sa mère, même pour son apparence, en se cantonnant aux couleurs criardes familiales (jaune, orange, vert). La saison 3 la voit d’abord se séparer de sa mère et de ses sœurs : son changement de look est donc significatif. Elle abandonne la silhouette Empire qui ne correspond pas à sa morphologie et adopte un modèle qui met sa taille et surtout sa poitrine en valeur (Marilyn Monroe dans les années 1950 est une bonne référence). Pour la révélation spectaculaire de son nouveau look (un moment empruntant tous les codes de l’entrée de la star), elle choisit une robe couleur émeraude, ornée de fil d’or et assortie de gants noirs transparents jusqu’aux coudes. Mais ce bal se termine en larmes pour Penelope et elle optera ensuite pour une palette de couleurs pastel plus douces, entre le vert des Featherington et le bleu des Bridgerton (vert d’eau, bleu clair, lilas, etc.), des robes parées de fleurs brodées, de gants de dentelle et de tissus transparents. Elle change également de coiffure et adopte un look inspiré du Old Hollywood (Rita Hayworth et Veronica Lake, mais aussi le personnage d’animation Jessica Rabbit) : ses cheveux roux sont portés longs et ondulés en cascade (avant, elle les portait souvent en boucles serrées sur le haut du crâne).
Sous le pseudonyme de Lady Whistledown, Penelope a donné un but à son quotidien morose : elle adore écrire et elle gagne beaucoup d’argent. Elle n’a jamais pu s’intégrer en tant que jeune fille à marier, mais ses chroniques lui ont permis de capter l’attention de la haute société ainsi que de la contrôler à sa guise. Penelope réalise qu’elle ne peut plus séparer ses deux identités et que le défi le plus difficile à relever est d’être elle-même. C’est là qu’intervient l’ami Colin qui lui apprend à mieux flirter. Et ça marche : Penelope trouve un prétendant qui la demande en mariage, mais il n’est pas celui qu’elle veut… Alors que Penelope et Colin passent d’amis à amants, iels réalisent que pour que leur union fonctionne, iels doivent être honnêtes l’un·e envers l’autre, même si cela exige d’aller à l’encontre des attentes de la société. En effet, Penelope n’a pas besoin que Colin la sauve de ses activités de journaliste mondaine comme il le pense, elle veut poursuivre son travail et décide de révéler son identité, elle a donc besoin qu’il l’aime de façon inconditionnelle, qu’il soit juste présent, mette son ego masculin de côté, et qu’elle se sente vue et aimée par lui.
Penelope est la seule raison qui vaille la peine de regarder cette troisième saison et l’actrice Nicola Coughlan porte la fiction sur ses épaules. L’histoire d’amour de cette saison est plus mature et plus complexe : une grande partie est dédiée à Penelope seule, qui prend son avenir en main. On voit aussi Colin essayer d’abord de séparer Penelope de Lady Whistledown, puis changer de comportement quand il se rend compte qu’il doit respecter la passion et le travail de son épouse. Ceci dit, le couple d’acteurs ne présente pas la moindre alchimie (le couple précédent, Anthony et Kate, irradiait l’écran), même si leur scène d’amour reste remarquable et un bel exemple que le consentement est sexy : Penelope s’affirme en tant que participante active dans sa nouvelle intimité avec Colin (il la complimente, elle lui demande ce qu’elle doit faire, le touche, sourit, donne son consentement à deux reprises). La scène et la série permettent de normaliser tous les types de morphologie : d’une part, avec un moment de nudité frontale sur la poitrine de Penelope, mais aussi du fait que les rondeurs de Penelope ne sont jamais un sujet. La vidéo de l’actrice répondant à une question déplacée d’une journaliste au sujet de son corps (il serait “courageux” pour elle de se montrer dénudée à l’écran) a fait le buzz : elle répondait très justement que c’était en effet “difficile parce que je pense que les femmes qui ont mon type de corps, les femmes qui ont une poitrine parfaite, on ne se voit pas assez à l’écran. Je suis très fière d’être membre de la communauté des seins parfaits. J’espère que vous apprécierez de les voir”. Sa réponse montre bien l’énormité de la grossophobie : le problème est dans le regard du regardant qui assigne une valeur à un corps en fonction de ce que la société nous a formaté à croire. Penelope n’est en fait pas grosse du tout : c’est notre discours autour d’elle et de l’actrice qui la construit comme telle, pas la série – nous sommes le problème.
Cette saison s’encombre pourtant de trop d’éléments narratifs : les relations des autres membres de la famille Bridgerton (y compris Violet, la mère), les sœurs de Penelope et leurs maris, en passant par la Reine Charlotte et même Cressida qui montre de nouvelles facettes de sa personnalité. Comme pour Penelope, la principale difficulté à laquelle sont confrontés ces personnages est d’essayer de trouver confiance en eux au lieu de se cacher derrière une sorte de façade. Un autre point problématique : les costumes. J’écrivais dans ma critique de la saison 1 que proposer des costumes anachroniques fait partie du plaisir de Bridgerton (tout comme les reprises classiques de chansons pop) : on peut stylistiquement s’inspirer d’une époque sans en respecter scrupuleusement tous les aspects. Dans les saisons précédentes, différents types de silhouettes sont proposées, certaines respectueuses de l’époque (comme les robes Empire), mais conçues avec des tissus, des couleurs et des garnitures modernes, ce qui est devenu la signature de Bridgerton et une attente du public de la série. Mais cette fois-ci, le département des costumes a visiblement eu carte blanche pour varier les formes, les couleurs, les dimensions, les inspirations, au détriment d’une construction cohérente de l’univers Bridgerton. Les éléments modernes sont à présent des repoussoirs qui ne nous permettent plus de rentrer dans la fiction. Bien sûr, des personnages ont toujours été habillés de façon extravagante depuis le premier épisode de la saison 1 : la Reine Charlotte et sa cour, les sœurs Featherington, les coiffures de Cressida sont de plus en plus incroyables et rivalisent d’originalité avec la Reine, mais à un point tel que l’on ne peut plus identifier l’époque à laquelle se déroule la série, ce qui est regrettable.
En conclusion, après trois saisons, Bridgerton s’essouffle. La série se répète et peine à se renouveler. Rien ne filtre sur la saison 4, nous ne savons pas quel membre de la famille Bridgerton en sera le ou la protagoniste, mais la dernière scène est indicative d’un changement plus important, y compris de lieu (irons-nous en Ecosse ?), sans compter que Lady Whistledown n’est plus une anonyme au sein de la haute société londonienne. Je suis particulièrement intéressée par le futur de Francesca Bridgerton (Hannah Dodd). Jusqu’au dernier instant, je pensais que la série nous avait présenté une jeune femme autiste (besoin de calme et d’isolement, hobby unique, difficulté dans la communication non verbale, etc.), quand il s’avère (et ceci est un IMMENSE SPOILER) que Bridgerton va aussi développer une relation lesbienne la concernant puisque l’on voit son regard s’illuminer et les mots lui manquer lorsqu’elle rencontre la cousine de son nouvel époux (la cousine est personnage masculin dans le livre, la série a décidé de le féminiser).
Polémiquons.
1. Bridgerton 3 , 6 octobre, 13:40, par Juliette
Bonjour,
Je trouve la critique un peu sévère même si les limites de la saison m’apparaissent. Il me semble que la série s’émancipe un peu des thèmes traditionnels de la romance, et ce qui me plaît dans la saison 3, c’est qu’elle représente d’autres amours que l’amour romantique, et c’est ce qui en fait la richesse. Certes, la romance entre Colin et Penelope est moins érotique que celle de la saison 2, mais c’est que Penelope a une vie bien plus riche que celle de Kate (qui n’a pour relation que sa soeur et sa mère). Pénelope a une mère avec qui la relation est compliquée, deux soeurs avec qui elle est en conflit, Colin qui est son ami avant d’être son amant, et Eloïse. Je crois aussi que cette série explore la richesse des relations féminines.
Il y a d’abord mon histoire préférée : celle de l’amitié entre Pénélope et Eloïse. A la fin de la saison 2, une belle scène de dispute semblait marquer leur rupture. Or, tout au long de la saison ou presque, Eloïse et Penelope se manquent beaucoup : elles se regardent avec envie et tristesse d’un bout à l’autre d’une pièce, elles tentent de se rapprocher, elles se disputent à nouveau, essayent de renouer leurs liens. Ce qui montre bien que les histoires d’amitié sont aussi riches narrativement que les histoires d’amour ! Mais il y a aussi des histoires d’amitié du côté des plus de 50 ans : Violet Bridgerton et Lady Danbury essaient de préserver leur lien malgré l’homme qui pourrait s’immiscer entre elles, il y a aussi Lady Danbury et la reine Charlotte, dont l’amitié gagne en profondeur grâce à « Queen Charlotte ». J’aime beaucoup en particulier une scène de jeu d’échecs, entre Danbury et la reine, où elles parlent de Lady Whistledown : la reine veut démasquer la chroniqueuse et gagner sa partie contre elle, sauf que leur rivalité sauve la reine de la déprime, comme le lui fait remarquer Lady Danbury. Ainsi, lady Whistledown et la reine, rivales depuis 3 saisons, pourraient bien être... des alliées.
Je ne m’étends pas sur les relations entre les sœurs Featherington (hilarantes !), qui mériteraient aussi développement, pour évoquer la belle évolution de la relation entre Pénélope et sa mère. J’adore le personnage de Portia : au départ, c’est un stéréotype de manipulatrice de soap, prête à tout pour conserver son statut social (on pense à certains personnages de The OC, de Desperate Housewives...) Elle est dure avec ses filles tout en les aimant sincèrement, et ignore Pénélope dont elle pense qu’elle ne se mariera jamais. Pendant cette saison, chacune va comprendre un peu mieux l’autre : le mariage malheureux de Portia et sa solitude expliquent sa dureté et sa difficulté à comprendre sa fille. Portia ressemble en réalité à Cressida : elle a fait comme elle a pu avec le peu de liberté qu’elle avait. Cela n’enlève rien à la vanité de chacune et à la méchanceté de leurs actes ou de leurs paroles, mais cela les explique. D’ailleurs, la relation de Cressida avec sa mère, très dure, tend un miroir à la relation entre Penelope et Portia. Le fait que l’actrice qui joue Portia soit géniale ne gâche rien !
A cela s’ajoute la relation particulière qui se noue entre Francesca et John : une forme d’amour tendre dénué de désir érotique qui est aussi une variante de l’amour.
Bref, vous l’aurez compris, j’ai adoré cette saison !
2. Bridgerton 3 , 6 octobre, 14:28
Bonjour Juliette,
Un grand merci pour votre commentaire ! Je suis entièrement d’accord avec vous en fait et peut-être que j’aurais préféré que la série ne s’encombre pas de l’histoire d’amour romantique cette saison (mais cela n’aurait pas eu de sens considérant le genre — une romance —, le fait c’est une adaptation, et il aurait été reproché que le seul personnage féminin qui se distingue un tant soit peu des canons de beauté féminins traditionnels occidentaux ne bénéficie pas du même traitement que les héroïnes précédentes). C’est ce que je voulais dire par "la saison s’encombre de trop d’éléments narratifs" : j’ai l’impression que cette saison 3 partait dans tous les sens sans vraiment se décider sur une ligne à suivre à part la ligne romantique que j’ai trouvé plutôt décevante. J’aurais pu écrire sur les histoires d’amitié qui font la richesse de Bridgerton, mais je dois bien avouer que j’ai délibérément décidé de ne pas le faire car sinon je fais des articles beaucoup trop longs (j’en parle très brièvement dans ma critique de Queen Charlotte qui reste ma saison préférée !). Et je partage votre lecture de Portia : j’avais d’ailleurs initialement écrit une note qui disait qu’elle était mon personnage favori, mais je l’ai supprimée haha ! Je la considère peut-être moins comme une manipulatrice plutôt que comme une femme diablement intelligente et futée qui fait tout ce qu’elle peut pour s’en sortir malgré son statut (épouse clairement plus maligne sur son mari mais sans pouvoir, veuve et mère).
Au plaisir d’échanger.
Bien à vous,
Marion