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Robert Guédiguian / 2024

La Pie voleuse


par Geneviève Sellier / mercredi 26 février 2025

Une vision pittoresque et rassurante des couches populaires

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Le 24e film de Robert Guédiguian qu’on peut voir sans déplaisir, ne serait-ce que pour retrouver sa troupe et l’Estaque, contient un certain nombre de facilités qui ne sont pas sans rapport avec son statut désormais installé d’« auteur ». Le système en effet encourage à raconter un peu toujours la même chose de la même façon, puisque c’est comme ça qu’on reconnaît un « auteur », Rohmer restant le modèle inégalé de ce positionnement, y compris avec sa dimension économique : Guédiguian, comme Rohmer avec les Films du Losange, a créé une société de production, Agat Films, adaptée à ses besoins et qui réussit même à produire d’autres réalisateur·ices qui lui ressemblent (c’est aussi le cas des Films du Losange qui a pérennisé ses structures au-delà du décès de son fondateur).

La Pie voleuse nous ramène à l’Estaque, quartier populaire de Marseille qui a vu naître le cinéma de Guédiguian, pour raconter l’histoire d’une auxiliaire de vie, Maria (Agathe Ascaride), qui prélève discrètement de l’argent dans les tiroirs des personnes âgées dont elle s’occupe avec beaucoup de dévouement et de gaîté. On comprend qu’elle n’en est pas à son coup d’essai et qu’il y a déjà eu une alerte.

Elle fait le ménage et la cuisine chez M. Moreau, un charmant petit vieux en fauteuil roulant (Jean-Pierre Darroussin), chez Mme Kalbiak, qui n’a plus de relation qu’avec son chien, chez les Toulouse, dont l’épouse perd la tête… Leur point commun est leur extrême isolement et leur attachement à Maria qui ne leur ménage ni ses petits plats ni son affection.

Pendant qu’elle travaille, son mari (Gérard Meylan) perd aux cartes dans le café du quartier, bien au-delà de sa très modeste retraite, mais elle rêve que son petit-fils, doué pour le piano, pourra décrocher une bourse au Conservatoire. C’est pour lui louer un piano qu’elle imite la signature de M. Moreau, puis pour lui payer des leçons particulières, malgré les réticences de sa fille Jennifer (Marilou Aussilloux), caissière, inquiète des illusions maternelles.

Portrait d’une femme qui a intériorisé au-delà du raisonnable les injonctions au « care » que la société impose aux femmes des couches populaires, à tel point que ces métiers aussi mal payés qu’indispensables sont devenus leur débouché professionnel « naturel ». Maria compense cet asservissement en rêvant d’accéder via son petit-fils au domaine sublime de la musique classique (en travaillant elle écoute Chopin interprété par Rubinstein).

La machine menace de se gripper du fait de l’intervention de Laurent (Grégoire Leprince-Ringuet), le fils de M. Moreau, agent immobilier, soucieux de contrôler la vie de son père avec qui il a des comptes à régler (au sens littéral comme au figuré). Mais contre toute attente (et contre toute vraisemblance), l’histoire s’emballe dans une tout autre direction, celui d’un mélodrame échevelé où l’agent immobilier a un coup de foudre pour la belle Jennifer, laquelle y répond sans qu’on sache très bien si c’est pour éviter qu’il dépose plainte contre sa mère, ou parce qu’elle est émue par cette passion. Le sommet du mélo est atteint quand Kevin (Robinson Stévenin), le mari de Jennifer (on appréciera le choix des prénoms !), découvrant que sa femme le trompe (il est routier international, ce qui laisse du temps à sa femme pour vivre son aventure), vient lui dire gentiment qu’il continuera à l’aimer même si elle le quitte pour un autre !

On comprend que Guédiguian, comme souvent, se refuse à « désespérer Billancourt » (ou plutôt l’élite cultivée qui rêve encore à un peuple qui ne voterait pas Rassemblement national). Ici c’est l’Estaque qui symbolise cette version attendrissante de la vie des couches populaires, contrairement aux grands ensembles d’autres films plus noirs du même réalisateur. Mais pour ce faire, lui et son scénariste Serge Valletti, font preuve d’une certaine complaisance, en particulier dans la dernière partie du film, où l’agent immobilier revanchard se transforme en amoureux romantique, alors que sa femme, qui travaille avec lui et souffre à la fois de sa haine obsessionnelle pour son père et de son refus à peine voilé d’avoir un enfant, devient le mauvais objet du film, en portant plainte contre Maria pour se venger d’être abandonnée par son mari, après une scène humiliante où elle tente de le retenir. En revanche, Kevin, le mari trompé, est constamment montré comme un homme doux, père idéal prêt à se sacrifier pour nourrir sa famille et à pardonner les infidélités de sa femme.

Si le mari de Maria est d’abord montré comme un pilier de bar assez médiocre, il est revalorisé par le regard attendri que sa femme porte sur lui quand il manifeste sa jalousie, et quand il tente à la fin de l’aider à sortir de sa dépression. Le regard du film (ou des protagonistes) sur les personnages masculins est assez complaisant.

Le décor de l’Estaque, avec ses petites maisons plantées sur la colline, entourées de jardins minuscules, est pour beaucoup dans le pittoresque du film, alors que la réalité des quartiers populaires de Marseille est nettement moins enviable, si l’on en croit les reportages et les enquêtes récentes sur le sujet…


générique


Polémiquons.

  • je sis tout à fait d’accord avec ce jugement indulgent et avec les réserves qui l’accompagnent.
    l’Estaque de ce film, c’est le prolétariat des années 1960 tel qu’on le fantasme. Pas de drogue, par de banditisme, et même pas d’arabes alors qu’il y en a dans d’autres films de RG. des gentils prolétaires exploités et des petits capitalistes qu’on peut finalement attendrir. Il faut prendre ce film pour ce qu’il est : la réitération d’une mythologie désormais bien installée dans la mémoire du public et les combinaisons chaque fois renouvelées des membres d’une troupe fidèle. le système Pagnol, en somme, c’est curieux alors que le cinéma de RG au départ semblait se construire pour cchanger la musique.

  • Rennes, le 14/03/25
    Bonsoir,
    J’espère que vous êtes bien arrivée à Paris, malgré les ennuis au départ.
    J’ai lu votre papier sur "La pie voleuse". J’avais envie de voir ce film, au moment de sa sortie, en pensant que cela me changerait les idées, par rapport à toutes les catastrophes qui nous tombent sur la tête depuis des mois. Finalement, je n’en ai pas eu l’occasion ni le temps. Mais maintenant que j’en ai lu tous les travers, je n’ai plus envie de le voir.
    Et surtout, je me pose une question : est-ce que c’est au moins un peu drôle ? Parce que, lorsque vous parliez, ce soir, des femmes qui écrivaient à Cinémonde à propos des émotions qu’elles avaient ressenties en regardant un film, je pensais à ma propre expérience. Je me suis toujours dit qu’un film qui m’avait fait à la fois rire et pleurer, était un bon film, pour moi.
    Sinon, une petite remarque : vous avez prénommé Ariane Ascaride « Agathe », je ne sais pas pourquoi.
    Merci encore pour vos analyses, je sais maintenant qu’il y aura, dans ma vie de cinéphile, un avant et un après ce 13 mars 2025.

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