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David Dadounashvili / 2023

Le témoin


par Lora Clerc / samedi 21 octobre 2023

Свидетель / août 2023
Réalisateur : David Dadounashvili, ex-décorateur, mandaté par les ministères russes de la culture et de la défense.
Pour les téméraires : la bande-annonce...
https://www.film.ru/trailer/2560925

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La propagande russe passe désormais par le cinéma, conformément aux directives officielles, dessinant le profil du « héros » dans l’air du temps : violent, mystificateur, effroyable. Prenons Le Témoin… à témoin. Un film que la presse culturelle et généraliste russe présente unanimement ainsi :

« Daniel Cohen, violoniste virtuose belge, se considère comme un citoyen du monde et croit au bien et à la justice. Fin février 2022, il part en tournée à Kiev, et ce voyage change sa vie pour toujours. Les événements de l’opération militaire spéciale conduisent le musicien dans le village ukrainien de Semidveri, où il est témoin de crimes inhumains et de provocations sanglantes. Désormais, son objectif principal n’est pas seulement de survivre, mais de transmettre la vérité au monde entier. Après tout, la vérité est plus forte que la peur. »

Ne nous y trompons pas : dans ce film, les crimes inhumains sont le fait des « nazis » ukrainiens. Le film a comme étendard la devise : « Vérité, force, peur ».


Résumé très abrégé à partir d’un article de Meduza du 28 août

L’article n’est pas signé, probablement par prudence d’un journaliste probablement moscovite : « discréditer l’armée » vaut de 10 à 15 ans de prison.


Daniel, violoniste belge, avec son agente, Brigitte, rencontre à l’issue d’un concert à Moscou un oligarque ukrainien, et se rend avec lui à Kiev. L’oligarque lui propose de jouer sur un violon rare, un Niccolo Amati. Après cet enchantement, Daniel part se coucher, mais est réveillé au matin par des roquettes explosant au-dessus de Kiev : déboussolé, il cherche, en compagnie de Brigitte, à rejoindre l’oligarque – l’ambassade belge ayant déserté la ville – mais apprend qu’il est déjà parti pour Israël.

Suivent quelques péripéties où les « nazis » ukrainiens se déchaînent, violentant et violant Brigitte que Daniel retrouve morte et baignant dans son sang, où Daniel s’entend dire par un « nazi » ukrainien qu’il est bienheureux de ne pas mourir avec « une bouteille dans le cul » (sic). En chemin vers Lviv, il se fait arrêter par des militaires, à qui il se plaint du traitement réservé à Brigitte. Mauvaise pioche : le voici entraîné au quartier général, où un colonel labellisé « Azov » le renvoie vers le « dispensaire » : torturé, puis ramené au quartier général afin de jouer la chanson Chervona Kalina, chanson traditionnelle interdite par les occupants, devenue un hymne des forces armées ukrainiennes, enchaînée avec l’hymne de la Luftwaffe - tandis que les soldats ukrainiens tatoués de symboles fascistes boivent et dansent près d’un exemplaire de « Mein Kampf » et d’un portrait rehaussé d’or de Hitler.

Ce niais de musicien interroge : « Mais qu’en est-il de la conscience ? » - « Il n’y a pas de conscience, les Juifs l’ont inventée », répond le colonel.

Libéré et invité à passer la nuit avec une femme de son choix, Daniel se retrouve à la gare de la petite ville du colonel, où débarque ce dernier… accompagné par CNN. Bombardement sur la gare, des centaines de morts, dont la femme et son fils. Mais arrive un détachement russe « V – ruban de Saint-Georges » qui prend Daniel sous sa protection pour le sauver, le rapatrier à Moscou avant de le renvoyer en Belgique. Soumis à Bruxelles aux questions de militants pro-ukrainiens, Daniel récuse tout mauvais traitement [de la part des Russes], tout « syndrome de Stockholm », se contentant de prononcer cette sanction : « Je vais vous raconter comment cela s’est réellement produit. J’y ai perdu l’audition, mais je n’y ai pas perdu ma conscience ».

Le film se termine sur des images du bombardement de Kramatorsk, d’une maternité, du théâtre de Marioupol, des crimes de Boutcha : pour le réalisateur, les preuves des crimes de l’Ukraine.

Propagande

Antisémitisme, barbarie, misogynie, inversion des faits : rien ne manque. Le film n’est pas visible en France, la bande-annonce est inaccessible.

Les femmes, dans Le Témoin, tiennent le mauvais rôle : l’agente du musicien finit très mal, les femmes sont esclavagisées dans le quartier général, une femme ukrainienne est abandonnée par son très lâche mari qui file à « l’Ouest »… Des accessoires, en somme. On est dans un monde d’hommes où les femmes sont jetables, où l’on se réfère à la devise suivante, empruntée à Hitler : « Celui qui veut vivre doit se battre, et celui qui ne veut pas se battre dans un monde où la lutte est la base de la vie n’a pas le droit d’exister. » Devise qui correspond assez bien à l’idéologie sous-jacente – mais est-elle assumée par une majorité de Russes ? – qui flotte dans l’air russe.
Le soviétisme nous avait, en son temps, accoutumé.es à une propagande somme toute assez douce, où les héros étaient beaux, courageux et sentimentaux : qu’on se souvienne de Quand passent les cigognes (Kalatozov) ou de Le Quarante et unième (Tchoukhraï)… même si des films plus confidentiels glorifiaient plus trivialement la guerre. Les hommes étaient aussi les plus prestigieux des héros (La Lettre inachevée, Kalatozov, par exemple), les femmes étaient belles et vaillantes, dans une sorte d’héroïsme (mal) partagé. Désormais, les hommes, ceux des images et ceux qui fabriquent les images, se vautrent dans l’abjection.

À noter que le « réalisateur » de Le Témoin était surtout connu comme décorateur... et que dans le dernier documentaire abordant l’histoire du cinéma russe depuis 1992 (Cinéma 3.0), Zviaguintsev ou Serebrennikov ne sont pas même nommés, tandis que Mikhalkov est encensé : « Le cinéma et la patrie ne font qu’un . » Le dernier film de Sokolov, Conte de fées, est interdit de distribution, de même que deux films yakoutes estimés nationalistes (d’un nationalisme yakoute, pas russe)…

La presse russe en exil a évidemment réservé un sort funeste au film, se réjouissant qu’il ait fait « un flop » en Russie : le budget initial de 200 millions de roubles (pas loin de 3 millions d’euros) n’a pas même rapporté 10 % de « retour sur investissement ». Le scénario est plutôt chaotique, l’image sinistre. Le public préfère se réfugier dans le divertissement, les dessins animés et les comédies. Ce « drame militaire » n’a pas attiré les foules. Foule ou pas, il était intéressant de glaner sur les sites de notation des films les remarques des spectateurs russes, classées ici en deux catégories : défavorables / favorables, majoritairement défavorables. La moyenne est de 2/5 : pas terrible ! Il ne s’agit évidemment pas d’un sondage : on se demande quelle pourrait être la fiabilité d’un sondage en Russie !


Avis défavorables

• Je ne recommande pas de regarder ce film faible. C’est difficile à regarder. Une parodie du film Le Pianiste. Scénario : zéro.
• Si vous mentez dans la propagande, utilisez au moins des faits bien connus. Propagande très séditieuse avec de bons effets spéciaux.
• Pour moi, il fait partie du top 8 des pires films.
• Je ne le recommande pas, il vaut mieux regarder un mur, c’est plus amusant à regarder. J’ai perdu mon argent et mon temps, ils devraient donner un sac pour vomir avec le billet, mais je n’ai aucune pitié pour les acteurs, un stigmate de honte les hantera longtemps ....
• L’intrigue est terrible. Pas un seul acteur normal. Le jeu des acteurs est moche. J’avais un billet gratuit, alors j’y suis allé. Perte de temps. Je n’ai pas pu le supporter jusqu’à la fin.
• Cela ne pourrait pas être pire. C’est en dessous de tout. Des mensonges mélangés à un mauvais scénario et un mauvais jeu d’acteurs. Aucune logique dans l’intrigue, aucune idée : des mensonges et des méchancetés.
• Mentir ne peut être qu’un plus pour le gouvernement russe… La propagande russe habituelle... l’idée des nazis est tellement stupide que je ne sais même pas à quel public s’adresse ce film. Les gens, réveillez-vous, il y a tellement d’informations utiles et gratuites... Une stupidité inventée par un cerveau limité ou un bon financement...
• Bon, je suis allé voir ce film, que dire ? ! C’est juste une horreur. Je ne comprends pas comment il a pu être approuvé…
• Il vaut mieux boire et s’endormir que de regarder de telles conneries. Je n’ai jamais vu une telle m… de ma vie. Pour quel genre d’idiots ce film a-t-il été filmé ? Je pense savoir pour lesquels.
• En Occident, personne ne regardera votre film de toute façon, ce n’est pas un bon cheval. Et nos turbopatriotes poseront des questions logiques sur le sujet : où est la victoire ?
• Horrible propagande. Pourquoi ? À quoi a été dépensé l’argent du budget ? Il vaudrait mieux aider les retraités et les pauvres. Et nous investissons de l’argent dans ce genre de conneries. Une honte !
• Qualifier cette création de film est une insulte à l’art du cinéma dans son ensemble.
• Сonnaissez-vous la différence entre un fonctionnaire du ministère de la Culture et un yaourt ? Il n’y a pas de culture vivante au sein du ministère de la Culture.
• Qu’arrive-t-il à la conscience ? Tout se vend pour de l’argent. Honte à ce genre de cinéma.

Avis favorables

• Le film dure un peu plus de deux heures et même s’il s’agit d’un drame, il a l’air génial et vous ne mourrez pas d’ennui. Ma note est de cinq sur cinq et je recommande de le regarder, ce film restera pour toujours dans ma collection et dans mon cœur.
• Le message principal du film, autour duquel tout est construit, est de montrer l’inhumanité des nazis ukrainiens. Et si l’idée elle-même ne soulève pas d’objections, sa mise en œuvre est trop caricaturale, un peu comme les fascistes étaient montrés dans les films soviétiques sur la Grande Guerre patriotique.
• Au début du film, c’est ennuyeux de regarder le quotidien sucré de la bourgeoisie européenne. Pourtant j’ai pleuré. La bête dans la carapace humaine détruit les gens. Ce film devrait être projeté aux lycéens, aux étudiants et aux cadets . Le nazisme aujourd’hui. Les sadiques ont reçu des pouvoirs et des droits légaux...
• Puisque je suis au courant des événements qui se déroulent dans le film grâce à des témoins oculaires directs, et que je suis volontaire dans le Donbass, je ne peux supposer qu’il s’agit de propagande. Malheureusement, je sais que oui, tout est vrai. Le bataillon nazi ukrainien "Azov" est représenté avec beaucoup de douceur […]. Si beaucoup de personnes connaissaient les détails de ce que les bataillons nationaux ukrainiens ont fait aux adultes et aux enfants, ils s’assoiraient tranquillement dans un coin et pleureraient. Le film contient d’éventuelles incohérences, mais ces défauts techniques soulignent son authenticité.
• Pour autant que je sache, le film est basé sur l’histoire réelle d’un musicien européen qui vivait en Ukraine. Je comprends pourquoi cela n’a pas trouvé un écho auprès de nombreux spectateurs. Le fait est que le film est davantage destiné à un public étranger, c’est pourquoi les scénaristes et les réalisateurs ont essayé de le rendre aussi doux que possible. Un très bon film de fabrication russe. Il parle de ce sur quoi l’Occident est resté silencieux pendant si longtemps. L’un des meilleurs films de tous les temps.

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