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Rebecca Zlotowski / 2022

Les Enfants des autres


Par Geneviève Sellier / jeudi 20 octobre 2022

Une histoire un peu trop gentille pour être honnête...

Dans le dossier de presse de son dernier film Les Enfants des autres, la réalisatrice Rebecca Zlotowski (Une fille facile 2019) déclare avoir voulu donner une représentation contemporaine et positive de la belle-mère (non pas la mère du mari, mais la seconde compagne du père), une figure absente des écrans si ce n’est sous la forme malveillante des dessins animés de Disney, ou « la belle-mère débordée des familles recomposées des comédies romantiques ». Rappelons que la mère du mari, elle, est surreprésentée comme un mauvais objet, à la fois malveillant et ridicule, dans le théâtre depuis le XIXe siècle et dans le cinéma français depuis les origines…
La réalisatrice propose donc de donner vie à « cette femme qui noue un lien intime et précieux avec des enfants, qui les élève une semaine sur deux pendant quelques années, sans en avoir elle-même, en acceptant de prendre le risque de devoir nécessairement s’effacer de l’équation une fois la relation amoureuse avec leur père finie. » Que gentiment les choses sont dites !

Quelques précisions sur la réalité sociologique de la garde alternée (« une semaine sur deux »). Cela concerne en France 12% des enfants dont les parents sont séparés, donc une toute petite minorité. Par rapport aux autres parents, les parents d’enfants en résidence alternée sont davantage diplômés et sont plus souvent cadres ou professions intermédiaires. Sans entrer dans les détails, ce que disent les enquêtes, c’est que la garde alternée ne supprime pas les inégalités homme/femme et que cela concerne surtout les couches les plus aisées, ce qui se comprend facilement compte tenu des contraintes de logement que cela implique. Mais ces questions sociales ne sont visiblement pas le sujet du film…
En fait, le film traite ensemble deux questions différentes : le rôle de la « belle-mère » dans une famille recomposée et le fait d’être une femme nullipare (sans enfant).

Le film s’attache donc à Rachel (la toujours émouvante Virginie Efira), autour de la quarantaine, prof de français dans un lycée professionnel, et, semble-t-il, épanouie dans son métier – contrairement à beaucoup de ses collègues dans la vraie vie –, qui tombe amoureuse de son prof de guitare, Ali (Roschdy Zem), par ailleurs designer dans l’automobile. Cet homme a une fillette âgée de cinq ans, Leila, en garde alternée depuis que la mère de l’enfant est partie (on ne saura pas pourquoi). Rachel demande bientôt à connaître l’enfant et noue des liens de plus en plus forts avec elle : on remarquera en passant que le père se décharge sur Rachel des tâches les plus ingrates, du genre amener la fillette au judo et attendre pour la ramener. Tâche qui semble dévolue uniquement aux femmes, puisque c’est là que Rachel rencontre Alice, la mère de Leila (Chiara Mastroianni), et l’amie du couple, Jeanne (Anne Berest) qui porte le foulard typique des femmes qui suivent une chimio (et ont perdu leurs cheveux).

Cette prise en charge matérielle de l’enfant par la « belle-mère » donne lieu à une scène particulièrement anxiogène : alors qu’elle conduit sous une pluie battante sur ce qui ressemble au périphérique, avec l’enfant à l’arrière, Leila défait sa ceinture de sécurité, ce qui provoque l’affolement de Rachel et un accident dû à son arrêt brusque. On les retrouve à l’hôpital, indemnes, mais le père est exclusivement préoccupé de l’état de sa fille… Là, je dois dire que j’ai craqué : outre que la scène est peu vraisemblable (les jeunes enfants que je fréquente ont intégré l’importance de la ceinture de sécurité en voiture), elle semble exclusivement destinée à augmenter la tension dramatique. Les adultes en charge d’enfant(s), surtout quand ce ne sont pas les leurs, peuvent avoir des cauchemars de ce genre, mais ça n’a rien à voir avec la réalité routinière et souvent ingrate de la charge d’un enfant au quotidien. Comme par hasard, cet incident précède le moment où Ali, jusque-là super impliqué dans sa relation amoureuse avec Rachel, lui annonce tout de go qu’Alice, bouleversée par la mort de leur amie Jeanne, lui a demandé de reprendre la vie commune, et qu’il ne se sent pas de refuser « pour la petite »… Là on se dit vraiment que le scénario est incohérent, ou bien que ce type est un salopard cynique, et dans ce cas, on aimerait bien que Rachel et le film ne l’absolvent pas de ce revirement. En effet, on a droit à une scène de séparation de Rachel avec la gamine, pleine de dignité et de douleur contenue… Et Rachel se console de la rupture avec Ali en couchant avec un (gentil) collègue… Sérieusement ?

L’acteur Roschdy Zem s’en est lui-même poliment étonné dans le dossier de presse : « Il y a quelque chose que je trouve toujours très perturbant, c’est cette décision que mon personnage prend, mais pas pour lui, “pour la petite”. Cette formule est terrible “pour la petite”. On ne peut pas infliger ça à un enfant. C’est lui faire reposer sur ses épaules de façon incroyablement lourde, toute la responsabilité de la situation de son père. C’est un poids énorme et déplacé pour une enfant. Que va-telle en faire une fois qu’elle sera adulte ? Comment un père peut en articulant cette formule dire en quelque sorte à son enfant : “tu vois ce que je suis en train de faire pour toi” ? »

Le côté « feel good movie » est de plus en plus gênant, au fur et à mesure que l’histoire d’amour vire au fiasco, sans que jamais la gentille Rachel ne sorte de ses gonds…

On a même un épilogue où elle aperçoit Ali en famille dans un parc où elle promène le bébé de sa sœur (qui, elle, a accouché entre temps…) : ils se sourient gentiment à distance…

De plus le fait que Rachel n’ait pas (encore) d’enfant crée une certaine confusion : elle désire à la fois avoir une place auprès de Leila, la fille de l’homme qu’elle aime, mais elle voit aussi avec anxiété approcher le moment où elle ne pourra plus avoir d’enfant elle-même, ce que visiblement elle désire. Elle vit une double peine : exclue du jour au lendemain de la « famille » qu’elle formait avec Leila et son père, et « larguée » par l’homme qu’elle aime alors que ses chances de devenir mère se réduisent comme peau de chagrin.

À cela s’ajoute un point aveugle : s’appeler Ali et Rachel, on se doute bien que ce n’est pas complètement neutre dans la France contemporaine… et en effet, le film tisse un fil rouge, celui de l’appartenance de Rachel/Rebecca à un milieu juif pratiquant – mais bien sûr sympathiquement ouvert : le fait que la réalisatrice fasse jouer à son père, Michel Zlotowski, le rôle du père de Rachel, achève d’ancrer le film dans une autobiographie quelque peu complaisante. En revanche, l’arabité d’Ali et de sa fille Leila (sans même parler de leur éventuel rapport à l’islam, tabou ultime) n’est jamais explicitée, comme si « l’intégration » à la française, c’est-à-dire l’assimilation, était le bon modèle pour les Arabes, alors que les Juifs peuvent continuer à vivre leurs particularités culturelles et religieuses avec bonheur.

Dernier détail sur lequel j’ai tiqué : le gynécologue qui suit Rachel est incarné par Frederick Wiseman (encore une figure de vieux juif sympathique…) : outre que le célèbre réalisateur américain de documentaires a 90 ans bien sonnés (en France on évite de travailler jusqu’à un âge aussi avancé, en particulier dans les professions à risques comme la médecine), ce choix a un petit air de name dropping assez gênant… En revanche, on regrette que la toujours gracieuse Mireille Perrier ait un rôle aussi court : on entend à peine quelques mots (terriblement convenus) de son petit discours d’adieu à l’occasion de son départ à la retraite, dans la salle des profs du lycée de Rachel.

On attend encore un film qui traiterait avec un point de vue féministe la question des familles recomposées… et des femmes nullipares, que ce choix soit libre ou contraint.


générique


Polémiquons.

  • Lors de la dernière scène Rachel rencontre un ancien élève qui lui dit qu’il ne l’oubliera pas. Elle sourit car elle laissera une trace de son existence. Quel est l’objet de ce film ? La place des beaux-parents (généralisons !) ou l’importance de laisser une trace de sa vie ? Il y a ici une ambiguïté au sujet de la démarche de la réalisatrice.
    Pour renforcer les propos de Roschdy Zem et de la critique ci-dessus, le fait de sacrifier son amour au nom de l’indispensable nécessiter de la relation enfant-mère biologique met en exergue le caractère conservateur de la réalisatrice : seul les parents biologiques sont indispensables aux enfants. Donc quel est le sujet du film ?
    Plus ça va, moins ça va avec cette réalisatrice !

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