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Joachim Lafosse / 2024

Un silence


par Geneviève Sellier / mercredi 31 janvier 2024

Les effets délétères de l’omerta sur la pédocriminalité

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Une femme, Astrid Schaar (Emmanuelle Devos), dont on ne voit que les yeux dans le rétroviseur, conduit jusqu’au commissariat local où la commissaire (Jeanne Cherhal) va l’interroger pour comprendre ce qui s’est passé la veille : Raphaël, le fils adolescent (Matthieu Galoux) de cette famille bourgeoise a tenté d’assassiner son père, François (Daniel Auteuil), à coups de couteau.
Cette première séquence donne le ton du film, très loin de tout voyeurisme. Le silence qui prévaut dans cette famille se traduit par une mise en scène qui ne montre jamais directement ce que les protagonistes s’efforcent de cacher. Le film se focalise sur les effets dévastateurs du secret honteux qui détruit la famille de l’intérieur : les tendances pédocriminelles du père, un avocat devenu célèbre en défendant les parents de deux des fillettes victimes d’un pédocriminel de sinistre mémoire.

L’histoire que raconte Joachim Lafosse est en effet basée sur un fait divers récent : l’avocat Victor Hissel, qui avait défendu les parents de Julie et Mélissa, victimes de Marc Dutroux, avant de se démettre en se disant victime de pression, sera poursuivi à son tour dix ans après pour visionnage d’images pédopornographiques. Quelques mois plus tard, son fils tente de l’assassiner, mais sera acquitté en raison d’un état de « démence passagère ».

Joachim Lafosse justifie ainsi le choix de ce fait divers :
« Belge et adolescent à l’époque de l’Affaire Dutroux, observant la “Marche blanche”, je ne pouvais m’empêcher de penser que parmi les 400 000 personnes qui défilaient dans les rues de Bruxelles pour dire “Plus jamais ça”, il devait bien y avoir quelques loups masqués. Vingt ans plus tard, en découvrant l’affaire Hissel, j’ai pensé qu’il y avait là de quoi faire voir le passage de la crainte du pervers isolé, du monstre qui sort du bois, d’une croyance populiste dans la pureté à une interrogation louable sur ce qui se passe au coeur de nos familles et de nos chambres à coucher. »

L’intérêt principal d’Un silence est de raconter l’histoire du point de vue de l’épouse de l’avocat. Enceinte de sa fille aînée, elle couvre depuis trente ans le secret de Joachim : il a imposé des relations sexuelles à François, son frère adolescent (son frère à elle). Sous prétexte qu’il s’est engagé à se soigner, elle fait comme si le problème était réglé, tout en surveillant l’ordinateur de son mari sur lequel il continue de visionner des vidéos pédopornographiques (on assiste à ces visionnements mais on ne les verra pas).

La structure du film est complexe, puisqu’on part de la fin : la tentative d’assassinat du fils sur son père, pour remonter ensuite aux différentes étapes de l’affaire.

Nous voyons d’abord l’épouse dévouée qui assiste et protège son mari harcelé par les journalistes pour décrocher un scoop concernant l’affaire Dutroux, jusque devant leur magnifique maison avec piscine, entourée d’arbres centenaires.

Nous voyons la mère aimante qui s’inquiète pour son fils adolescent qui risque de se faire virer de son lycée, à force d’absences et d’addictions en tout genre. Mais cet amour maternel (on comprend que Raphaël est un enfant adopté) tourne à la complaisance (elle lui glisse un billet quand il prend sa voiture pour partir en soirée) et à une intimité déplacée : elle l’enlace en dansant comme si elle compensait le vide de ses relations avec son mari.

Nous la voyons ensuite se confronter à sa fille aînée, Caroline, qui soutient son oncle qui veut porter plainte pour viol contre François, son beau-frère, après trente ans de silence. On la voit parler au téléphone à son frère pour le dissuader de le faire. Caroline reviendra à la charge pour que sa mère lève l’omerta vis-à-vis de son jeune frère.

Emmanuelle Devos, avec un jeu d’une impressionnante sobriété, incarne avec beaucoup d’humanité cette femme qui s’efforce de faire tenir sa famille, à force de dévouement et d’amour, tout en étouffant le secret honteux de son mari. Mais elle est prise au piège de la perversité de François, qui fait de plus en plus pression sur elle pour qu’elle « tienne », au fur et à mesure que la situation devient « intenable ». Astrid est emblématique du caractère aliénant du mariage bourgeois : une fois qu’elle a accepté le contrat conjugal par lequel elle a échangé la stabilité, le confort économique et le statut social contre le soutien à son mari « pour le meilleur et pour le pire », elle n’a plus d’autre choix à ses propres yeux que de maintenir coûte que coûte les apparences.

Malgré son désir de protéger son fils, elle n’a pas pu empêcher qu’il soit exposé lui aussi aux images pédopornographiques visionnées sur l’ordinateur de son père. C’est ce qu’on comprendra lors des interrogatoires séparés du père, du fils et de la mère après la perquisition de la maison. Seul le père s’enferme dans la dénégation, prétendant n’avoir visionné ces images que pour des raisons professionnelles. La mère avoue à demi-mots son silence complice, et le fils reconnaît qu’il en a visionné dès son jeune âge.

Le film montre comment la honte s’est déplacée du coupable qui prétend être guéri, aux autres membres de la famille qui savent qu’il n’en est rien et s’épuisent à enterrer ce secret.
On reconnaît là le phénomène si bien décrit dans La Familia grande de Camille Kouchner. Les pédocriminels détruisent non seulement leurs victimes mais aussi tous leurs proches, témoins impuissants et souvent complices de leurs agissements.


générique


Polémiquons.

  • Voici une longue description du scénario de ce film. En effet, il est tellement compliqué que l’on s’y perd vite en tant que spectateur/trice. D’ailleurs si mes souvenirs sont bons, c’est un Pierre qui a été victime du viol et non François qui en est l’auteur et le prédateur. Mais, ici, j’espérai lire une critique sur la réalisation. Pour ma part (et celle de la salle où nous étions 4) nous étions très très décu.es et en plus perdu.es pour comprendre qui fait quoi à cause du manque de clarté dès le début du film ; je crois que le fait de ne pas comprendre la place de qui est la victime (ce fameux Pierre ! et je l’ai compris trop tard) m’empêchais de rentrer vraiment dans l’histoire que l’on voulait me raconter. Le montage n’est pas à la hauteur de l’ambition du réalisateur et la caméra au milieu de la voiture qui fixe à gauche puis à droite les visages, soit des passager.es soit des conducteur.es, est un procédé éculé et pénible par sa répétition. En conclusion, je n’ai vraiment pas fait la promotion de ce film sans doute parce que j’en attendait trop de lui !

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