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Isabelle Brocard / 2024

Madame de Sévigné


par Geneviève Sellier / lundi 11 mars 2024

Une relation mère/fille qui confine à la névrose.

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Voilà un film historique qui a le mérite de s’inscrire en faux contre le souvenir qu’a pu laisser Madame de Sévigné à toute personne qui a fait sa scolarité en France, via Lagarde et Michard...
Ce qu’Isabelle Brocard nous propose, c’est à la fois une plongée dans la réalité d’une vie aristocratique minée par les rivalités de cour et les soucis d’argent, à un moment où Louis XIV, du fait des guerres qu’il a engagées, pressure le pays ; mais c’est aussi l’exploration d’un moment où les femmes de l’aristocratie accèdent à une forme d’indépendance à travers les salons et l’activité littéraire, qu’elle soit privée (Madame de Sévigné) ou publique (Mademoiselle de Scudéry, Madame de Lafayette) ; c’est enfin la chronique d’une relation passionnelle mère/fille qui confine à la névrose.

On est très loin des fantaisies érotiques de la série Versailles (2015-2018). S’il y a une filiation à chercher, c’est plutôt du côté de deux autres réalisatrices, Nina Companeez avec L’Allée du roi (1996), Patricia Mazuy avec Saint-Cyr (2000), deux œuvres centrées sur Madame de Maintenon. Leur point commun, outre de relire l’histoire à partir du point de vue de femmes, est l’intérêt pour leurs conditions matérielles d’existence et leur capacité à penser leur monde. L’une et l’autre sont à leur manière et dans les conditions de leur époque, des intellectuelles qui cherchent les moyens de leur émancipation.

L’originalité du film d’Isabelle Brocard est de se focaliser sur la relation mère/fille, puisque c’est la raison d’être des lettres de Madame de Sévigné à sa fille (les lettres de sa fille n’ont pas été conservées). L’obsession de cette mère qui a pu conquérir une forme d’indépendance grâce à un veuvage précoce (quand elle a 25 ans, son mari est tué en duel pour défendre sa maîtresse), est de permettre à sa fille d’accéder aux mêmes privilèges. Pourtant, l’intelligence et la beauté de la jeune Françoise vont être à l’origine de ses difficultés, puisqu’elle a le malheur de plaire au roi, ce à quoi sa mère s’oppose immédiatement. Mais le mal est fait : madame de Sévigné aura le plus grand mal à lui trouver un mari. M. de Grignan est deux fois veuf, nettement plus âgé, et son nom prestigieux cache une situation financière difficile qui va devenir le souci permanent de sa femme, et par conséquent de Madame de Sévigné elle-même.

La beauté du film tient à son refus du spectaculaire : la plupart des scènes ont lieu soit dans la nature, au bord d’une rivière, dans une forêt, dans un parc, soit au coin d’une cheminée, à côté d’un lit, près d’une fenêtre… Karin Viard et Ana Girardot sont aussi émouvantes l’une que l’autre, et savent exprimer toute la complexité de cette relation et les contraintes qui s’exercent sur les femmes à l’époque.

Les lettres manuscrites apparaissent en surimpression sur les dialogues du film, pendant que la voix de Karin Viard s’adresse à sa fille, sur un mode le plus souvent soucieux, tant l’éloignement et la situation de celle-ci (grossesses fréquentes, voyages pour accompagner son mari dans ses fonctions de lieutenant-général de Provence) la préoccupent. Mais cette inquiétude se double d’un désaccord profond entre la mère et la fille sur la vie que celle-ci entend mener. Françoise entend vivre avec son mari non seulement en lui donnant des enfants mais en l’aidant par sa fortune personnelle à assumer ses fonctions politiques. La marquise au contraire ne songe qu’à rapatrier sa fille à Paris, dès lors qu’elle a accompli son devoir en donnant un héritier à M. de Grignan. Elle lui rêve une vie aussi brillante que la sienne, alors que sa fille a fait un choix plus conventionnel d’épouse et mère.

Madame de Sévigné raconte cette relation douloureuse et conflictuelle en lui donnant des échos très contemporains : combien de femmes qui se sont nourries des luttes féministes des années 1970 n’ont-elles pas fait l’expérience douloureuse de constater que la génération suivante était plus soucieuse d’harmonie conjugale et familiale, en prenant pour acquise l’émancipation pour laquelle leurs mères s’étaient battues ?


générique


Polémiquons.

  • Est-ce que ce film met en exergue l’importance de madame de Sévigné au sein de la littérature française ? Rien n’est moins sûr !
    Par contre sa personnalité de mère "toxique" est décortiquée avec précision.
    Quelle est l’origine de cet aspect négatif ? Par bien des aspects n’est-il pas dû à sa volonté d’être autonome par rapport aux hommes et au mariage ?
    D’aucun la qualifie de féministe. Attention les masculinismes veillent au grain !
    Un film à double tranchant.

  • Si je trouve que Geneviève Sellier restitue bien l’esprit du film ainsi que ses qualités esthétiques, je serai tentée de demander, de manière un peu provocatrice : mais où sont les hommes ? Car si, effectivement, le film se concentre sur la forme de complexe d’Oedipe inversé qui sous-tend les relations névrotiques entre la mère et la fille, les hommes de leur entourage proche en sont les témoins mais aussi en deviennent les acteurs progressivement. Ce sont le fils de Madame de Sévigné et l’époux de Françoise de Sévigné, Monsieur de Grignan, qui en intervenant dans la relation mère-fille de plus en plus mortifère vont sauver la fille précisément : Madame de Sévigné à la faveur d’une visite de cette dernière la maintenant dans une sorte de sujétion médicale en la persuadant qu’elle est souffrante, l’enfermant et s’enfermant avec elle dans ses appartements, installant une belle relation d’emprise, pour reprendre un vocable à la mode. Le frère s’inquiète de voir sa soeur dépérir auprès de sa mère, avec qui par ailleurs il semble entretenir une relation de complicité (voir la scène de la cuisine), et qui semble très bien analyser la situation. Et Monsieur de Grignan qui est certes montré comme un "flambeur", endetté, intéressé par la fortune de sa femme en faisant ce mariage, amateur de prostituées à l’occasion, mais que quelques scènes distinguent du stéréotype du genre-de ce genre d’homme précisément. Quand il vient au chevet de sa femme qui a des grossesses difficiles prendre des nouvelles ou l’aider à rejoindre ses appartements quand elle fait un malaise. Pendant tout le film il y a d’ailleurs assez régulièrement des plans le montrant en train d’observer sa femme. Plus que d’un regard de contrôle, ces regards à la dérobée semblent témoigner de son affection. Il y a aussi la scène assez forte où son épouse accouche d’un enfant mort-né et qu’il est présent à ses côtés. Je ne suis pas sûre que à cette époque les hommes étaient présents en de telles circonstances. En rejoignant sa femme, alerté par le frère, et en s’interposant physiquement entre elle et Madame de Sévigné, il contribue à dénouer cette emprise. Quant au frère, en introduisant auprès de sa mère une jeune paysanne pauvre pour lui servir de dame de compagnie et "compenser" l’absence de sa soeur auprès de sa mère, il suggère, de par ses propos, qu’elle y gagnera une éducation, une ouverture possible sur un autre monde que le sien. Une forme d’émancipation donc. Et c’est d’ailleurs Madame de Sévigné qui y mettra un terme dans une scène très cruelle, en congédiant la jeune fille brutalement quand sa fille (jalouse de cette relation) finira par lui rendre visite.

  • Bonjour,
    Juste pour préciser que je pense avoir mal interprété la case "titre obligatoire" en ne donnant pas de titre à mon intervention et mon nom. Cette contribution, pour ce qu’elle vaut, ne se veut pas anonyme. J’ai juste oublié de la signer.
    Cordialement
    N.Nezick

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