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D’abord quelques éléments factuels : lauréat de l’Oscar de la meilleure adaptation, Women Talking est tiré du roman du même nom publié en 2018 (traduit en français en 2019 sous le titre Ce qu’elles disent) de la romancière canadienne Miriam Toews. Celle-ci s’est inspiré d’un fait avéré de viol collectif de femmes de tous âges par des hommes au sein d’une communauté mennonite isolée de Bolivie, de 2005 à 2009. Miriam Toews est elle-même issue d’une communauté mennonite du Canada. Les droits d’adaptation de Women Talking ont été acquis par l’actrice et productrice Frances McDormand dès la parution du livre. C’est elle et la productrice Dede Gardner qui ont proposé à Sarah Polley, actrice et réalisatrice canadienne, d’adapter le roman. Sarah Polley a commencé une carrière d’actrice à l’âge de 6 ans avant de passer à la réalisation avec Loin d’elle en 2007 avec Julie Christie, Take this Waltz en 2011 avec Michelle Williams, Stories We Tell (un docu-fiction sur sa famille) et la série historique Captive (Alias Grace) pour Netflix en 2017, avec Sara Gadon, d’après un roman de Margaret Atwood. Women Talking réunit une distribution quasi exclusivement féminine : Claire Foy (Elizabeth II dans la saison 1 et 2 de The Crown), Rooney Mara, Jessie Buckley, Judith Ivey, Sheila McCarty, Frances McDormand… et dans le seul rôle masculin, celui de l’instituteur, Ben Whishaw.
Le film s’ouvre sur des enfants courant dans les champs, dans une palette désaturée qui connote un monde hors du temps, ce qui est renforcé par une voix off féminine qui raconte une histoire passée et par les costumes et les décors hors d’âge. Le ton de la fable est clairement assumé. On comprend que les femmes de cette communauté religieuse isolée étaient droguées avec un anesthésiant vétérinaire et se réveillaient le corps meurtri, couvert de bleus et en sang. Les hommes les convainquaient que c’était le fruit de leur imagination ou l’œuvre de démons. Dénoncés et arrêtés par les autorités de la ville voisine, les coupables doivent être libérés sous caution, et les femmes sont sommées par les autorités de la communauté de leur pardonner en vertu des préceptes religieux quand les autres hommes les auront ramenés. Pendant les 48 heures où elles sont seules, elles organisent un vote pour choisir entre trois options : ne rien faire, rester et se battre, partir. Les deux dernières options ayant reçu le même nombre de voix, les femmes de deux familles (elles sont 8 en tout) sont déléguées pour trouver un consensus auquel les autres se soumettront. Ces huit femmes de différentes générations vont donc s’enfermer dans le grenier de la grange pour tenter de se mettre d’accord. Le film raconte cette nuit de discussions, que l’instituteur (Ben Whishaw), un homme doux, est invité à transcrire.
Les critiques ont comparé ce dispositif à celui de Douze hommes en colère (Sydney Lumet 1957). Mais ce sont surtout les différences qui me frappent : d’abord ce dont il s’agit ici c’est de prendre une décision qui détermine l’avenir des protagonistes et non pas celui de l’accusé absent ; de plus la mise en scène permet à chacune d’exister en échappant aux stéréotypes et aux hiérarchies sociales qui plombent le film de Lumet. Enfin l’écoute des unes par les autres est marquée le plus souvent par l’empathie, à l’inverse du registre du film à thèse où chaque personnage incarne une position dont il n’est pas censé sortir.
Le film est également remarquable par le choix qu’il fait de ne pas montrer les violences sexuelles que subissent ces femmes et se focaliser sur la façon dont elles en parlent. Ce qui nous renvoie bien sûr à la question de la parole des femmes, dont She Said (Maria Schrader 2022) sur a montré combien elle était difficile pour les victimes d’abus sexuels.
Les paroles échangées entre ces femmes que la caméra isole et réunit tour à tour, permettent progressivement de construire un consensus qui va déboucher sur la décision de partir, pour mettre à distance les agresseurs, élever les enfants dans l’amour (en espérant que les garçons échappent ainsi à la reproduction du modèle patriarcal) et mettre en pratique le précepte religieux de refus de la violence. Le film parvient à nous faire comprendre la place de la foi religieuse dans la vie de ces femmes, qui en interprètent les préceptes à rebours de la version oppressive que tentent de leur imposer les hommes de la communauté.
La beauté des images qui font penser à la peinture hollandaise du XVIIe siècle, contraste implicitement avec les brutalités que ces femmes ont subies, et valorise leurs échanges.
Paradoxalement, s’agissant d’un fait divers particulièrement horrible, le film transmet une forme d’espoir en mettant en scène la capacité de penser de d’agir que ces femmes illettrées (il leur est interdit d’apprendre à lire et à écrire) développent grâce à leurs échanges. Beau plaidoyer pour la non-mixité comme condition de la prise de conscience des oppressions et des aliénations que vivent les groupes dominés.