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Le dernier film de Cédric Kahn, Le Procès Goldman, a provoqué un véritable emballement médiatique. Il est censé représenter le second procès de celui qui a été arrêté en 1970 pour trois braquages qu’il reconnaît, mais aussi pour un double meurtre qu’il nie et pour lequel il est condamné à la perpétuité en 1974. Il écrit en prison son autobiographie, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France ; le livre publié en 1975 déclenche une campagne de soutien qui amène la Cour de cassation à casser le jugement. Un second procès a lieu en 1976 et débouche sur son acquittement pour le double meurtre (il est condamné à 12 ans de réclusion pour les trois braquages : il sortira 7 mois plus tard après 6 ans d’incarcération). Il sera assassiné en 1979, mais les auteurs ne seront jamais retrouvés.
Le film veut recréer l’atmosphère politique des années 1970, et l’histoire d’une génération formée dans les luttes anticoloniales et tentée par la lutte armée, à laquelle appartient aussi Régis Debray présent dans la salle. Les débats évoquent aussi la vie de ses parents, arrivés en France dans l’entre-deux-guerres pour fuir les pogromes en Pologne et qui deviendront des dirigeants du mouvement de résistance FTP-MOI.
Dans l’ensemble le film manque de rythme, le défilé des témoins et des policiers que Georges Kiejman tente de déstabiliser, est quelque peu répétitif ; des gros plans sur des anonymes dans la salle et dans le jury manquent de pertinence. Les réactions bruyantes de la salle, applaudissements, cris et sifflets, tantôt du côté des soutiens de Goldman, tantôt du côté de ses contempteurs, ont aussi un caractère répétitif. L’avocat des parties civiles (Nicolas Briançon) semble sorti du théâtre de boulevard ; et on ne comprend pas pourquoi le film nous inflige la plaidoirie de l’avocat Émile Bartoli (Christian Mazzuchini), dont les envolées lyriques sont carrément grotesques, avant la seule qui sera décisive, celle de Keijman.
La véritable actualité autour du film, c’est l’entretien que la veuve de Pierre Goldman, Christiane Succab-Goldman, a donné au Monde, après 44 ans de silence depuis l’assassinat de son mari en 1979.
Elle raconte l’histoire de ses rencontres, à la fois politiques et amoureuses avec Pierre Goldman, qui l’ont amenée à s’investir dans son comité de soutien et à l’épouser en prison en 1976 avant de donner naissance à un fils qui naîtra quelques jours après l’assassinat de son père en 1979. Leur histoire est profondément liée aux engagements politiques de l’un et de l’autre, ce qui rend incompréhensible qu’elle n’ait pas été consultée par les auteurs du film. Elle s’insurge contre la manipulation à laquelle ils se sont livrés, en la montrant témoigner lors du second procès, alors que Pierre Goldman avait refusé qu’elle y assiste pour la « préserver ». Elle était donc absente et de la salle et et de la barre. Sa demande qu’un carton signale le caractère fictif de sa présence au tribunal et des propos qu’on lui fait tenir, a été rejetée (les auteurs du film se contentent d’un carton à la fin du générique pour signaler que certains éléments sont fictifs sans préciser lesquels).
Plus largement, la veuve de Goldman conteste « l’opposition structurelle qu’organise le film entre Goldman et Kiejman ». Le film s’ouvre en effet sur une scène dans le cabinet de ce dernier, suite à la lettre de Goldman le récusant ; le jeune confrère sollicité pour le remplacer lui lit la lettre violente qu’il a lui-même reçue, où Goldman traite Kiejman de juif mondain… Selon sa veuve, Goldman en voulait à Kiejman parce qu’il « avait omis de de déposer à temps un recours au civil de la même façon qu’au pénal, si bien qu’il a été contraint de payer de lourds dommages et intérêts aux victimes, et donc à passer symboliquement pour coupable dans une affaire dont il était réputé au pénal innocent. Jamais cette absurdité juridique n’a été levée. » Ce « détail » n’est pas mentionné par le film, si bien que l’agressivité de Goldman vis-à-vis de Kiejman apparaît comme gratuite et irresponsable. Mais selon Christiane Succab-Goldman, le film « fait peu de cas de la fraternité qui existait entre les deux hommes. » Kiejman sera témoin à leur mariage à Fresnes, trois mois après son acquittement.
Dans le film en effet, tout le procès est orchestré autour de l’opposition entre un Goldman provocateur jusqu’à l’insulte contre les policiers et les magistrats, et un Kiejman qui essaie de le calmer pour pouvoir le défendre. Selon Christiane Succab-Goldman, « tous les comptes-rendus de l’époque attestent que Pierre est resté durant le procès très factuel, mesuré et concentré ». Elle reproche aux auteurs du film d’avoir fusionné les éléments du premier et du second procès : « Pierre, pour des raisons qui lui appartenaient, ne voulait pas se défendre lors du premier procès. La prison lui convenait. Au second procès, c’est tout l’inverse. »
Pour elle, le film de Cédric Kahn est une énième manifestation de la légende qui s’est peu à peu construite sur Goldman, « objet de fantasmes forcenés », et qui se traduit encore aujourd’hui, malgré la chose jugée, par des spéculations sans fin sur son innocence ou sa culpabilité dans l’affaire du boulevard Richard-Lenoir.
Ce long entretien passionnant amène à se demander pourquoi les auteurs du film n’ont pas consulté la veuve de Goldman, alors qu’ils ont fait appel à Georges Kiejman (celui-ci est décédé depuis). Serait-ce la manifestation d’une vieille prévention misogyne contre les veuves des « grands hommes » ?
Polémiquons.
1. Le Procès Goldman / 2023, 13 octobre 2023, 16:35, par Cyphre14
Le procédé de Kahn est sans doute discutable mais il fait oeuvre de fiction et non de documentaire. Kahn et sa scénariste Nathalie Hertzberg ont voulu raconter la vie de Goldman à travers ce procès, le témoignage de son épouse permet ainsi d’incarner une partie importante de sa vie à travers une scène émouvante.
Pour le reste, il n’est pas interdit d’avoir un peu distance avec ce qu’elle raconte. Ainsi, le compte-rendu du procès par un journaliste dépeint Goldman de la façon suivante : "Cette attitude est pourtant restée déconcertante, pendant les débats. Il est apparu comme un être entier, tout d’une pièce, sans complaisance pour lui-même. Ce qui l’amenait tour à tour à se montrer attentif et désinvolte, passionné et indifférent, tendu comme un arc et souriant interminablement à des visages amis qu’il apercevait dans la salle. C’était l’attitude d’un homme complètement détaché de son procès, excepté sur un point : la possibilité d’être déclaré coupable de l’assassinat de deux femmes. Pour lui, visiblement, le reste ne comptait pas. Ou très peu…" Je trouve le film assez raccord avec ce portrait (à l’exception des sourires, absents du visage de son interprète).