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Christian Petzold

Le Ciel rouge


par Geneviève Sellier / mercredi 4 octobre 2023

Une critique de l'intellectuel petit-bourgeois

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Le titre du dernier film du cinéaste allemand Christian Petzold, Le Ciel rouge, fait allusion aux incendies qui auraient ravagé la région côtière de l’Allemagne sur la mer Baltique, dans l’ancienne RDA, mais le propos du film est ailleurs.

Léon (Thomas Schubert), un jeune écrivain en quête d’une retraite pour finir son roman, arrive dans une maison perdue dans les bois près de la Baltique, prêtée par la mère de l’ami qui l’accompagne, Félix (Langston Uibel) : lui prépare le concours d’entrée dans une école d’art en faisant des photos sur le thème de la mer. Quand ils arrivent épuisés après avoir laissé leur voiture en panne à quelques kilomètres, ils constatent que la maison est déjà occupée, et très en désordre. Félix apprend par sa mère qu’elle a également accepté d’accueillir la fille d’un collègue, Nadja (Paula Beer). L’humeur de Léon, déjà assombrie par ses doutes sur la qualité du deuxième roman qu’il peine à finir, devient exécrable, d’autant plus qu’il doit partager sa chambre avec Félix et que leurs nuits sont perturbées par le bruit des ébats amoureux de Nadja, qui reste invisible pendant la journée. Quand ils font enfin connaissance, Léon ne peut s’empêcher de manifester sa mauvaise humeur, ce qui l’amène à refuser d’aller se baigner, alors que Félix, très à l’aise dans sa maison de vacances, se lie avec Nadja et avec le sauveteur qui surveille la plage, David (Enno Trebs), en qui Léon a reconnu l’homme qui a quitté la maison au petit matin après avoir passé la nuit avec Nadja. Félix ramène tout ce petit monde à dîner, tandis que Léon, prétextant son travail sans être vraiment capable de s’y mettre, reste en retrait ou se révèle agressif avec les invité.es de Félix. Son attitude condescendante s’accentue quand il découvre que Nadja passe ses journées à vendre des glaces sur la place de la petite station balnéaire voisine. Son isolement s’accroit quand il découvre que Félix et David ont passé la nuit ensemble, et quand Nadja réagit très négativement à la lecture de son manuscrit qu’il a finalement accepté de lui faire lire. Les contrariétés s’accumulent avec l’arrivée d’Helmut (Matthias Brandt), son éditeur, dont il comprend très vite le jugement négatif qu’il a sur son manuscrit.

Le dîner tourne à l’humiliation la plus complète pour Léon, quand il s’aperçoit que tous les autres ont fait connaissance pendant que lui s’enfermait dans sa bouderie. Nadja sympathise avec Helmut qui s’intéresse à la thèse qu’elle prépare sur le poète Heinrich Heine – vendre des glaces est un job d’été -, tous l’écoutent dire avec ferveur son poème préféré. David a trouvé un tracteur pour remorquer la voiture de Félix et ils partent ensemble, pendant qu’Helmut est pris d’un violent malaise qui oblige Nadja à l’emmener à l’hôpital. Léon qui ne sait pas conduire, reste seul.

J’arrête là de divulgâcher mais l’épilogue dramatique va permettre à Léon de prendre conscience de tout ce qu’il a raté par sa faute, et dépasser par là-même son enfermement.

Il s’agit donc du portrait sans concession d’un « intellectuel » petit-bourgeois avec tout ce que cela peut comporter de mépris de classe, d’ignorance des autres et de stérilité. Thomas Schubert, l’acteur qui incarne Léon, avec son physique légèrement en surpoids et son allure « empotée », réussit une performance remarquable : avec un visage constamment boudeur, et un corps comme empêché, qui manifeste son incapacité de se lier aux autres, il devient pitoyable. Mais pour autant le point de vue du film n’est jamais complaisant. On aurait du mal à trouver dans le cinéma français un portrait aussi critique de ce type social masculin tristement banal : l’intellectuel imbu de lui-même…

Le personnage de Nadja magnifiquement incarnée par Paula Beer, fonctionne comme un contre-point implicite de celui de Léon : aussi souriante qu’il est boudeur, aussi mobile qu’il est paralysé, aussi sociable qu’il est introverti, elle se révèle aussi brillante intellectuellement qu’il est mutique. Mais le film ne se contente pas d’accabler son personnage principal, il lui permet, à travers les épreuves qu’il subit, une rédemption à la fois personnelle et créative.

On voit à travers ce récit et cette analyse que les incendies ont un rôle très secondaire dans l’intrigue. Je dirai même que cette péripétie, censée concrétiser l’éco-anxiété qui caractérise la période que nous vivons, est plaquée assez maladroitement sur l’intrigue, y compris visuellement (les raccords sont peu travaillés entre les images d’incendie et les paysages où se déroule l’intrigue). Sans doute les indices de plus en plus inquiétants d’un incendie incontrôlable que seul l’écrivain semble ne pas prendre au sérieux, renforcent-ils l’impression qu’il est enfermé dans son monde (merci à Kristin Ross pour cette remarque). Si cela permet une dramatisation finale (que je ne révèlerai pas), ce contexte angoissant reste annexe par rapport à la problématique du film, qui est une critique frontale d’une forme de comportement masculin que pratiquent beaucoup d’intellectuels et d’artistes.


générique


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