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Maïwenn dans ce sixième long-métrage, après notamment Polisse (2011), Mon roi (2015) et ADN (2020), semble prendre le contrepied du style qui lui a apporté la notoriété, fait d’improvisation et d’autofiction. Le seul point commun avec ses films précédents est qu’elle joue dans la fiction un personnage qui lui ressemble. La nouveauté ici est qu’il s’agit d’un personnage historique, Jeanne du Barry, dernière favorite du roi Louis XV, à qui Maïwenn explique s’être identifiée, « qu’il s’agisse de son tempérament, son appétence de vie, sa curiosité ou son complexe d’infériorité ». Et en effet, ce biopic ressemble beaucoup à un plaidoyer pro domo, où la réalisatrice, qui est aussi la scénariste de son film, expose sa vision de « l’émancipation » féminine.
Une jeune fille pauvre et bâtarde, protégée et instruite par un « parrain » (Robin Renucci) séduit par son intelligence, que vient contrarier la jalousie de son épouse, se retrouve au couvent d’où elle sera chassée à cause de ses lectures impies. Elle retrouve son protecteur mais est à nouveau chassée avec sa mère qui l’emmène à Paris où elle organise sa vie de galanterie (c’est-à-dire de prostitution). Jeanne rencontre un nouveau « protecteur », le comte du Barry (Melvil Poupaud) qui est aussi une sorte de souteneur qui l’introduit auprès de riches artistocrates. Parmi ceux-ci, le duc de Richelieu (Pierre Richard), vieillard bienveillant qui organise sa rencontre avec le roi Louis XV (Johnny Depp) et restera son soutien jusqu’au bout. Enfin le valet du roi (Benjamin Lavernhe) va l’initier aux codes de la Cour pour lui permettre de devenir la favorite en titre. C’est le personnage masculin le plus présent auprès d’elle, figure masculine bienveillante et désexualisée qui la protège contre la jalousie des femmes de la Cour, au premier rang desquelles les filles du roi, que Maïwenn déclare avoir imaginées à partir des méchantes sœurs de Cendrillon. India Hair interprète brillamment Adélaïde, la plus agressive des filles du roi. Le roi Louis XV est joué par Johnny Depp, star hollywoodienne controversée, sur un mode quelque peu ectoplasmique, sa seule présence étant censée suffire pour incarner le charisme du pouvoir.
La morale de l’histoire, c’est que l’émancipation d’une femme ne peut se faire que par l’entremise de protecteurs qu’elle séduit par sa beauté et son intelligence, lesquelles sont montrées comme des données consubstantielles à la personne de Maïwenn, qu’elle n’a pas besoin d’étayer. On voit régulièrement Jeanne du Barry avec un livre mais on ne saura jamais ce qu’elle lit, ni ce qui dans sa conversation indique sa culture. La du Barry de Maïwenn est le plus souvent habillée de robes blanches qui mettent en valeur son teint mat (alors qu’à l’époque la beauté d’une femme se marque par sa pâleur), et se démarque des courtisans par son allure « moderne » et son comportement « spontané ».
Maïwenn donne l’impression, y compris par ses commentaires depuis la sortie du film, que ce film à costumes (au budget plus que conséquent de 20 millions €) est à la fois la preuve de sa réussite professionnelle, par le casting où l’on retrouve le ban et l’arrière-ban du cinéma français, y compris dans des rôles si épisodiques qu’on a à peine le temps de les reconnaître ; mais aussi un hommage à ses successifs protecteurs ou alliés, depuis Luc Besson rencontré à l’âge de 15 ans (il en avait 17 de plus) jusqu’à Johnny Depp, qui ont en commun d’être mêlés à des accusations d’abus sexuels ou de violences conjugales… enfin, le nombre de personnages féminins présentés comme hostiles à Jeanne, suggère que le film est aussi un règlement de comptes contre les féministes, assimilées à des femmes jalouses de sa réussite.
Jeanne du Barry est donc une légitimation du pouvoir patriarcal, grâce auquel l’héroïne parvient à sortir de son néant social pour devenir la favorite de celui qui l’incarne. Pour mesurer cette complaisance, on peut le comparer par exemple avec L’Allée du roi de Nina Companeez, ce téléfilm de prestige en deux parties, produit pour France 2 en 1996, sur la vie de Mme de Maintenon, dernière favorite puis épouse morganatique de Louis XIV. Incarnée par Dominique Blanc, une comédienne de théâtre au physique discret et au jeu subtil, la roturière veuve de Scarron, qui connut une enfance misérable, puis une vie conjugale humiliante, est montrée comme une femme d’esprit et de cœur, dont le dévouement aux enfants du roi et de la Montespan finit par émouvoir le monarque. Mais les servitudes du statut de favorite puis d’épouse sont exposées crument, y compris l’appétit sexuel insatiable du roi jusqu’à un âge avancé. Or si, contrairement à Mme de Maintenon, la beauté et la jeunesse de celle qui deviendra la comtesse du Barry sont des éléments clés de sa réussite, elle s’est également imposée comme une protectrice des arts et des lettres, et une experte des manières de cour, ce qu’on ne voit pas du tout dans le film.
Jeanne a 25 ans quand elle devient la favorite de Louis XV qui en a 33 de plus. Oserons-nous dire que Maïwenn, à 47 ans, n’a plus l’âge du rôle… Quant à son physique, au vu des portraits de l’époque, on peut avancer sans risque que son genre de beauté est à mille lieues des critères du XVIIIe siècle… Ces écarts avec la réalité historique sont monnaie courante, mais il confirme l’ampleur des libertés que la réalisatrice a pris avec l’Histoire. C’est bien d’elle-même qu’il s’agit, sous le masque transparent de son personnage. Et le choix de Johnny Depp sonne comme une provocation assumée vis-à-vis du mouvement #Metoo. Son commentaire à propos de son mariage avec Luc Besson, en écho à Jeanne du Barry, peut tenir lieu de manifeste anti-féministe : « Comme si l’amour, l’amour sincère ne pouvait pas exister entre une fille jeune issue d’un milieu populaire et un homme de pouvoir. Comme s’il fallait tout pervertir. » (Paris-Match, 26 avril 2023)
Polémiquons.
1. Jeanne du Barry et la bienveillance, 30 juin 2023, 16:11, par Elise P
Je me permets ce rapide commentaire :
« le duc de Richelieu (Pierre Richard), vieillard bienveillant »
Bienveillant ?? On a tout de même une scène où le vieillard en question la sodomise sur une table !
Autre manifestation de la bienveillance masculine à l’égard des femmes -roturières- à l’époque..?
(Cela dit, cela va dans le sens de votre critique qui est une fois de plus très juste chère Madame Sellier.)