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Hélène Klotz / 2023

La Vénus d’argent


par Geneviève Sellier / mercredi 29 novembre 2023

L'émancipation par la finance ?

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Jeanne Francoeur (Claire Pommet alias la chanteuse Pomme) vit en banlieue dans la caserne – des barres d’immeubles autour d’un terre-plein central – de son père gendarme (Grégoire Colin) avec ses jeunes frère et sœur. Curieusement, il n’y a pas de mère… Jeanne choisit pour échapper à cet univers quelque peu carcéral de s’introduire dans le milieu de la finance. D’un sang-froid à toute épreuve, elle est remarquée par un trader (Sofiane Zermani) qui l’utilise avant de la trahir. Retour humiliant à la caserne, où l’attend Augustin, un jeune gendarme (Niels Schneider) amoureux transi. Puis on la retrouve vendeuse dans une bijouterie de luxe où la grande bourgeoise (Anna Mouglalis) rencontrée grâce au trader vient la repêcher pour un recrutement dans la finance à Londres.

Le titre du film, La Vénus d’argent, fait référence à la figurine de proue des Rolls-Royce… Tout un programme ! La réalisatrice Hélène Klotz voit son héroïne comme « l’héritière lointaine et féminine de Julien Sorel, d’Eugène Rastignac ou de Martin Eden », et son film comme un roman d’apprentissage du féminin. Faut-il vraiment en 2023, quand la jeunesse vit dans l’angoisse existentielle du dérèglement climatique, proposer une image d’ambition féminine aussi peu en phase avec les enjeux du moment ? Certes la rage qui anime Jeanne et qui lui fait exploser une vitrine pour s’emparer d’un costume masculin, peut séduire, ainsi que la silhouette androgyne de Claire Pommet qui revendique sa « neutralité » sexuelle… On peut comprendre qu’elle veuille échapper par tous les moyens à son milieu familial, mais son incursion dans le monde de la finance se limite à des clichés (le trader escroc, la grande bourgeoise qui fait du business caritatif) de même que ses compétences (elle a le génie de la finance sans qu’on sache comment elle l’a acquis). L’entretien d’embauche qui termine le film et qui figure en partie dans la bande annonce, est d’une vacuité affligeante :
  Vous aimez l’argent ?
  J’en sais rien, j’en ai pas.
  Vous aimez l’argent en général ?
  Je pense que j’aimerais la liberté que ça me procurerait si j’en avais.
  Si aujourd’hui vous vous faisiez passer un entretien, quelle serait la meilleure question que vous vous poseriez ?
  Est-ce qu’il y a une personne qui veut réussir plus que moi ?
  Et alors ?
  Non.
Mathieu Amalric, qui fait une apparition parmi les recruteurs, comme une caution de qualité donnée au personnage féminin et au film, en conclut (je cite de mémoire) : « Nous allons faire de grandes choses ensemble. »

Les choix narratifs et l’écriture du film donnent à admirer tout ce qui est aux antipodes de ce qu’on pourrait appeler des valeurs féministes : violence autodestructrice (elle se blesse gravement au début dans l’explosion de la vitrine), surenchère dans l’imitation des comportements masculinistes (froideur, arrogance, compétitivité). Il n’y a d’ailleurs aucune femme dans l’environnement de Jeanne : pas de mère, pas d’amie (comme elle l’affirme elle-même quand le trader lui propose de partir avec lui à Singapour). La scène de séduction avortée avec la grande bourgeoise est ridicule. Les seuls moments « d’humanité » mettent en valeur la gentillesse d’un personnage masculin, l’amoureux transi qui est prêt à tout pour se faire pardonner leur première étreinte où elle lui reproche (sans doute à juste titre) de ne pas s’être préoccupé de son plaisir à elle.

On regrette que le réel talent de la réalisatrice et de l’actrice débutante soit mis au service d’une histoire aussi peu « édifiante » : n’a-t-on pas autre chose à faire désirer aux jeunes femmes d’aujourd’hui que le monde de la finance ?


générique


Polémiquons.

  • Notons aussi l’écart d’âge, encore et toujours : Claire Pommet a 27 ans, Neils Schneider 36…

  • Bonjour,

    Je vous rejoins globalement sur la critique que vous faites du film. Cependant je me permets de revenir sur vos derniers propos. Dans le film Jeanne ne reproche pas à Augustin "de ne pas s’être préoccupé de son plaisir à elle" lors de "leur première étreinte". Elle lui annonce qu’il l’a violée voilà maintenant 4 ans et qu’elle continue de lui en vouloir et d’être en colère (à juste titre). Il ne s’agit pas d’une étreinte mais d’une agression sexuelle.
    A ce titre je trouve ce film d’une violence extrême et d’un irréalisme certain. On ne pardonne pas un viol après de simples excuses et un bisou. Et surtout on ne retombe pas amoureux de son agresseur. Je comprends la volonté de vouloir présenter une résilience, le pardon. Et je trouve cela fantastique, c’est très important d’en parler. Malheureusement c’est fait ici avec maladresse (si ce n’est avec un manque de respect). Au point de ne plus présenter le pardon et la réconciliation, mais la banalisation du viol.

    Je trouve ce film à cet égard particulièrement antiféministe. Il véhicule un message dangereux pour les téléspectateurs et téléspectatrices non avertis.
    C’est dommage, c’est à mon sens une tentative ratée de montrer qu’une résilience est possible après un viol.

    Lou

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