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Le chanteur et acteur Guy Marchand, qui s’est éteint le 15 décembre, restera dans les mémoires – de façon variable selon les âges – pour quelques chansons (l’hispanisante « Passionnata » [1965], ou le tango vintage « Destinée » [1982]) et pour sa belle prestance de brun ténébreux dans sa jeunesse puis d’élégant dandy grisonnant jusque dans son grand âge. Cantonné dans les seconds rôles au cinéma, y compris dans quelques films marquants, il a atteint la notoriété grâce à la série télévisée Nestor Burma (39 épisodes de 1991 à 2003) dans laquelle il tient – enfin – le rôle principal.
Issu d’un milieu modeste (son père est ferrailleur), Guy Marchand grandit dans le 19e arrondissement de Paris – qu’il évoque dans son autobiographie Le Guignol des Buttes-Chaumont publiée chez Michel Lafon en 2007 – et d’où il tire une personnalité et quelques accents de titi parisien. Après un détour par l’armée et la Légion étrangère, sa première rencontre avec le cinéma est le blockbuster international Le Jour le plus long (1962), à la suite de quoi il enchaîne plus d’une centaine de rôles secondaires dans des films et téléfilms français jusqu’à sa mort : son dernier titre, La Plus belle pour aller danser, sort en 2023. Surnagent dans la liste quelques films populaires, comme Boulevard du Rhum (Robert Enrico, 1971) avec Brigitte Bardot et Les Sous-doués en vacances (Claude Zidi, 1982) dans lequel Daniel Auteuil tient le rôle principal mais qui popularise la chanson « Destinée » chantée par Marchand sur une musique de Vladimir Cosma.
Du côté des films d’auteur, l’histoire du cinéma retient Une belle fille comme moi (François Truffaut, 1972), Loulou (Maurice Pialat, 1980), Coup de torchon (Bertrand Tavernier, 1981), Garde à vue (Claude Miller, 1981), Coup de foudre (Diane Kurys, 1984) et Dans Paris (Christophe Honoré, 2006) – dans tous il joue un rôle secondaire et il ne recevra pas moins de cinq nominations aux Césars comme « meilleur acteur dans un second rôle », dont une, pour Garde à vue, se transformera en victoire. On peut s’étonner que Guy Marchand n’ait pas fait une plus belle carrière au cinéma, puisqu’il disposait d’atouts photo- et phonogéniques certains : une très belle voix de crooner et un physique élégant et tonique, entretenu toute sa vie par la pratique du sport (parachutisme, boxe, équitation, course automobile). Les aléas du métier, l’hésitation entre la chanson et l’écran, un côté flambeur et farceur en ont décidé autrement.
Avec sa voix et son physique, une certaine légèreté et le goût pour la séduction (des femmes) constituent le fil conducteur de l’image de Guy Marchand. Dans un entretien avec Mireille Dumas, il déclare, « c’est toujours pour épater les femmes que j’ai agi » tandis que les articles qui lui sont consacrés ne manquent jamais de faire référence à l’homme « séduisant » et « charmeur », à l’écran comme à la ville. Même si des films comme Loulou et Garde à vue lui apportent une coloration plus sérieuse, c’est la combinaison du farceur et du séducteur qui donne le « la » des performances de Guy Marchand à la fois dans ses chansons et à l’écran. Dans Une belle fille comme moi, son personnage de Sam Golden, « crooner de banlieue » selon Truffaut, est tout à fait caractéristique. Dans ce film, atypique pour Truffaut par son comique à la limite du vulgaire mais pas tant que cela pour sa misogynie, Bernadette Lafont incarne le personnage principal, une délinquante nommée Camille Bliss (le mot bliss signifiant extase en anglais). Camille entretient des rapports mutuellement abusifs avec quatre hommes – dont le chanteur interprété par Marchand. Celui-ci surjoue, dans un registre parodique, un médiocre chanteur doublé d’un abominable macho, l’humour aidant à euphémiser son ignominie.
C’est sur un mode plus distingué et ironique que Marchand déploie sa version du séducteur à travers le personnage de Nestor Burma, héros de la série éponyme tirée des romans de Léo Malet. Il y interprète un détective privé inspiré des thrillers américains : désabusé, rebelle, joueur de saxophone solitaire mais naturellement aussi séduisant qu’efficace. Le générique annonce la couleur : on le voit, entre plusieurs mini-scènes d’action et le maniement de son revolver, tenter d’embrasser une femme, caresser les fesses d’une autre, nue, au lit et admirer les jambes d’une troisième, perchée en mini-jupe sur une échelle. En toutes circonstances Burma « fait du gringue », que ce soit à ses jolies collaboratrices ou aux femmes qu’il croise dans ses enquêtes, joignant parfois le geste à la parole : il caresse la joue d’une jeune bonne qui l’introduit dans une maison bourgeoise. Tout au long des épisodes, sa voix « off » aux tons chauds commente sardoniquement l’action, renforçant l’idée de deuxième degré et c’est heureux, car ce qui était acceptable dans les années 1990 passerait moins bien aujourd’hui, le mouvement #MeToo ayant mis en lumière la nature abusive de tels comportements. Guy Marchand consolide par ailleurs son image de séducteur en épousant en 2007 une jeune mannequin d’origine russe, Adelina Khamaganova, de 40 ans sa cadette - Il avait auparavant été marié à Béatrice Chatelier, sa partenaire dans Les Sous-doués en vacances, avec qui il a eu deux enfants –, et en faisant quelques déclarations maladroites à la presse. Ainsi il déclare, « C’est bizarre, j’ai toujours des femmes beaucoup trop jeunes pour moi, ce qu’on me reproche d’ailleurs, mais je ne choisis pas. Et ça me coûte vraiment très cher ! (il rit) C’est pour ça que je suis à découvert au Crédit agricole de Cavaillon » [1].
Les fans de Guy Marchand pourront se consoler en regardant l’épisode 5 de la saison 2 de Dix pour cent (2017), dans lequel il joue un acteur, lui-même, encore bel homme à 80 ans mais à la santé défaillante (il subit une perte de mémoire) et qui renoue avec une ancienne amante de son âge, Arlette (Liliane Rovère), agente à l’agence ASK. En demi-teintes, l’acteur, comme c’est de règle dans la série, met en scène et s’amuse de sa propre image, nous offrant ici une vision ironique du « vieux beau » d’une autre époque (il n’est pas anodin qu’il soit en train de tourner un film en costumes et qu’il passe la plus grande partie de l’épisode dans une somptueuse robe de chambre soyeuse), charmant, élégant et touchant. À un certain moment il entame un petit pas de danse et se définit comme « Mohammed Ali et Fred Astaire dans un seul homme », jolie épitaphe.
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