______________________________
Si les dialogues de Bernadette sont en partie fictionnels, la plupart des situations représentées dans ce biopic sur Bernadette Chirac pendant la présidence de son mari, sont quasi directement démarquées de l’excellent documentaire de Valentin Mollette, Basile Roze, La revanche de Bernadette, qu’on peut voir en replay sur France.tv. La réalisatrice Léa Domenach ne cache d’ailleurs pas que c’est ce documentaire qui a été le déclic de son film.
Pour elle comme pour la plupart des spectateur.ices de ma génération et de la sienne, le souvenir qu’on gardait du « règne » de Mme Chirac se réduisait aux « pièces jaunes » et à la caricature particulièrement cruelle des Guignols. On peut dire que ce biopic est une réhabilitation féministe de cette femme politique, longtemps restée, contrainte et forcée, dans l’ombre écrasante et méprisante de son mari, et dont on découvre avec ces deux films (le documentaire et la fiction) qu’elle a réussi à renverser le rapport de forces que lui avait été imposé par Chirac et son entourage jusqu’au milieu du premier mandat du président (le dernier septennat de la Ve République, marqué par la dissolution ratée de 1997).
La fiction réalisée par une femme (Léa Domenach) et co-scénarisée avec une autre femme (Clémence Dargent) ne couvre que la période des deux mandats présidentiels, alors que le documentaire couvre toute la vie conjugale de Bernadette Chirac, depuis son mariage en 1956 jusqu’à la mort de son mari en 2019. Le documentaire relève davantage du biopic, alors que la fiction est une charge jubilatoire contre la domination patriarcale et masculine telle qu’elle s’exerce au plus haut niveau du pouvoir politique (on retrouve à peu près les mêmes ingrédients dans le microcosme Macron). En effet, le film charge particulièrement Chirac (Michel Vuillermoz) et son boy’s club mené par Villepin (François Vincentelli) dont la morgue n’a d’égale que la misogynie et l’incompétence (on est loin de l’image flatteuse que Villepin promène dans les médias depuis son discours en 2003 à l’ONU contre la guerre en Irak). Seule Claude Chirac (Sara Giraudeau), qui cultive son androgynie, fait partie de ce premier cercle.
Mais c’est aussi et surtout l’histoire d’une émancipation féminine, par des chemins qui n’ont pas grand-chose à voir avec les thématiques des mouvements féministes, mais qui a le grand mérite de mettre en valeur la diversité des formes que peut prendre cette émancipation, y compris dans les milieux de droite.
Catherine Deneuve incarne magistralement ces femmes de la grande bourgeoise issue de la noblesse du Second Empire, d’abord corsetée par les principes de son milieu (cela m’a fait penser au récent livre autobiographique de Laure Murat, Proust, roman familial, Robert Laffont, 2023) : discrétion, dévouement, maîtrise de soi, en dépit des humiliations publiques et privées, en particulier les infidélités à répétition au vu et au su de tout le personnel de l’Élysée e des médias ; puis avec l’aide de Bernard Niquet (Denis Podalydès), un homme lui-même dominé, surnommé Mickey dans les couloirs de l’Élysée, (on comprend que Claude Chirac/Sara Giraudeau l’a chargé de s’occuper de l’image médiatique de sa mère parce qu’elle le considère incapable d’une autre fonction), Mme Chirac va effectivement parvenir à changer son image et devenir de plus en plus populaire au fur et à mesure que son mari suit le trajet inverse. Mais cette mue n’a rien d’un conte de fées : c’est parce qu’elle est une élue de terrain en Corrèze depuis les années 1970 qu’elle sait comment s’adresser à ses concitoyen.nes, sans démagogie ni cynisme, contrairement à Chirac dont on sait qu’il était orfèvre en la matière.
Dès le départ le ton joyeusement satirique est donné avec un avertissement chanté par une chorale installée dans les champs, sur des airs qui rappellent furieusement les chœurs pratiqués dans l’Église catholique ! Ce choeur mixte viendra à intervalles réguliers nous rappeler qu’on a affaire à une comédie. Le film parvient à nous faire rire avec Bernadette et non pas contre elle comme le faisait l’émission « Les Guignols ». Et le rire n’empêche pas l’empathie, en particulier dans les scènes avec Laurence (Maud Wyler), leur fille souffrant d’anorexie mentale, qui restera cachée du grand public (et dont il n’est pas question dans le documentaire).
Les relations avec Claude, devenue conseillère en communication de son père, sont certes montrées comme difficiles, mais de façon non manichéenne. Il ne s’agit pas d’opposer deux femmes, la mère et la fille, la traditionnelle et la moderne, mais de montrer comment la domination masculine s’exerce aussi à l’intérieur de la famille, aux dépens des femmes qui en sont à la fois et tour à tour les instruments et les victimes.
La réalisatrice a privilégié l’incarnation plutôt que l’imitation et, passée la première surprise en découvrant Catherine Deneuve et Michel Vuillermoz dans les rôles de Bernadette et Jacques Chirac, le jeu de ces deux grands acteur.ices nous embarque dans leurs personnages plus vrais que nature. La force du film est aussi de mettre en évidence la perspicacité politique de Bernadette (elle avait tenté de mettre en garde son mari contre la dissolution de 1997 puis contre la présence de Le Pen au second tour de 2002), ce qui fait d’elle la première (et la seule à ce jour) épouse de président à avoir assumé un rôle véritablement politique, y compris en se faisant élire et réélire régulièrement en Corrèze.
Il faut saluer ce coup d’essai de la réalisatrice, qui est un coup de maîtresse, comme comédie (on rit beaucoup), et comme film politique.
________________
Polémiquons.
1. Bernadette, 11 novembre 2023, 17:02
Bonjour,
que la transformation d’une catho définitivement bigotte et réac en icône pop et féministe qui n’a jamais dit un mot de toute sa vie par exemple sur le droit à avortement, l’égalité salariale et d’autres sujets cruciaux vous satisfasse, c’est votre droit le plus absolu .
Qu’on lui attribue un sens politique incroyable parce que , comme la majorité de la classe politique et des citoyens français, elle se doutait bien que la dissolution était une idée stupide, relève d’une naïveté attendrissante et montre que les deux auteures du film manquent cruellement de culture politique historique de l’époque considérée .
Mais que vous magnifiez à ce point le doc complaisant voire servile de France 2 ( qui soit dit en passant n’a pas inspiré Lea Domenach, puisqu’il est forcément postérieur à l’écriture du film de fiction ) est pour le moins cocasse . Vous devriez plutôt voir ou revoir et conseiller le doc de John-Paul Lepers « Madâme »qui révèle d’autres facettes beaucoup moins sympathiques de votre nouvelle idole ….
Enfin, on sait désormais , et de l’aveu même de la realisatrice dans la presse , que certains faits évoqués sont carrément faux et inventés , y compris dans l’affaire dite des pièces jaunes. Quant à tourner en ridicule Dominique de Villepin au seul motif qu’il est un homme, libre à vous. Mais que faisait madame Chirac au moment de la Guerre du Golfe, quand il fallait défendre l’honneur national face a l’imperium américain ? Rien bien évidemment. Ou peut être s’occupait-elle encore et encore d’une portion d’autoroute utile à son canton qui n’a cependant jamais vu le jour sous ses mandats successifs….
Franchement , on peut être féministe sans passer par Bernadette Chirac et attribuer à. Être personne une trajectoire qui n’est pas réellement la sienne . !!!!
Au fond, , le plus triste de tout cela, et d’un point t de vue strictement cinéphile cette fois c’est que Bernadette n’est que la pâle copie d’un autre film déjà tourné , bien plus drôle, bien plus acide et bien plus féministe sur le fond et c’est Potiche de François Ozon avec une Catherine Deneuve bien plus à l’aise dans la fiction. Léa Domenach et sa coscenariste auraient du lui verser des droits d’auteur ou au moins reconnaître dans la presse cette réussite antérieure et indiscutable mais forcément gênante !
Le plagiat est un mot masculin mais qui est universellement pratiqué !
Cordialement