pour une critique féministe des productions audiovisuelles

♀ le genre & l’écran ♂


Accueil > Films en salle > Àma Gloria

Marie Amachoukeli / 2023

Àma Gloria


par Geneviève Sellier / dimanche 17 septembre 2023

Le déchirement des "nounous" venues d'ailleurs...

______________________________________________

Le principal mérite d’Àma Gloria est d’attirer notre attention sur la vie d’une de ses centaines de milliers ou millions de femmes qui quittent leur pays, leur famille et souvent même leurs propres enfants pour s’occuper des enfants des classes moyennes et supérieures à l’autre bout de la planète. Venues de tous les pays « en développement », elles restent souvent plusieurs années sans pouvoir retourner chez elles, et doivent se contenter de quelques coups de fil tout en envoyant la plus grande part de leur salaire à leur famille qu’elles font vivre. Il ne s’agit pas ici des cas très nombreux d’esclavage moderne, mais de situations parfaitement légales et souvent organisées par le gouvernement du pays d’origine (comme c’est le cas aux Philippines…). Cet aspect particulièrement inhumain de la mondialisation est bien connu des sociologues, mais a rarement donné lieu à des films marquants, depuis La Noire de… d’Ousmane Sembène, sorti en 1966 (prix Jean Vigo).

La critique s’est extasiée devant la performance de la fillette de six ans qui joue Cléo, mais le sujet central du film est la vie de sa « nounou », Gloria, venue du Cap-Vert, une ancienne colonie portugaise formée d’un chapelet d’îles volcaniques au large du Sénégal, et contrainte d’y retourner précipitamment quand sa mère, qui élevait ses deux enfants, meurt d’un cancer. Elle doit « abandonner » la petite Cléo qu’elle a élevée (on comprendra que la mère de Cléo est elle-même décédée d’un cancer quand Cléo était bébé). La fillette lui fait promettre qu’elles se reverront, et elle obtient de son père en recourant à des comportements extrêmes (fugue, grève de la faim) de passer ses vacances chez sa nounou. L’essentiel du film se passe au Cap Vert quand Cléo arrive dans la famille de Gloria, composée d’une fille aînée enceinte et d’un garçon adolescent qui voit sa mère comme une étrangère. Ils habitent sur la côte où Gloria a entrepris de faire construire un hôtel pour touristes. La famille est matrilinéaire, les hommes n’y font que des apparitions.

Le parti pris du film est de rester à la hauteur de Cléo, en privilégiant des gros plans des protagonistes, et en insérant des séquences d’animation à l’esthétique impressionniste pour illustrer ce qui se passe dans la tête de la petite fille, ses souvenirs et ses cauchemars. Quant à Gloria, on comprend qu’elle est tiraillée entre son amour pour la fillette et le souci de ses propres enfants, qui acceptent plus ou moins bien la présence de l’intruse.

L’écueil de ce genre de film, focalisé sur un.e très jeune enfant, est d’appuyer sur la pédale émotionnelle : Àma Gloria l’évite en grande partie, d’une part grâce au casting : la fillette n’est pas particulièrement jolie et son sourire édenté nous rappelle cette période plutôt ingrate de l’enfance ; d’autre part le scénario met des garde-fous esthétiques au pathos. Quand la fillette se jette des rochers dans l’océan dans un geste de désespoir, nous savons qu’elle sait nager et le plongeon n’est figuré que par des images d’animation qui force à prendre de la distance. Aucune des péripéties ne tourne au drame, et la fin met l’accent non sur les larmes de Cléo mais sur celles de Gloria après qu’elle a confié Cléo à l’hôtesse de l’air pour son retour à Paris, où son père lui a annoncé qu’il a trouvé une nouvelle nounou...
L’autre difficulté était d’éviter le pittoresque ou le misérabilisme dans les séquences au Cap Vert. En restant au niveau du regard de l’enfant qui n’est intéressée que par sa nourrice et son entourage immédiat, le film renonce à un point de vue surplombant ou naïvement empathique sur ce pays et cette société, contrairement au récent film de Robin Campillo, L’Île rouge (2023), dont la dernière partie quitte le point de vue de l’enfant pour une envolée lyrique sur la lutte d’indépendance à Madagascar, aussi simpliste qu’hors de propos.


générique


Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.