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Paola Cortellesi / 2024

Il reste encore demain [2]


Par Augusta Conchiglia / jeudi 25 avril 2024

La réception italienne de Il reste encore demain.

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C’è ancora domani collectionne les prix et passionne encore les critiques de cinéma italiens.
« Le succès de mon film ? - répond Paola Cortellesi – Je crois qu’il a touché un nerf à vif, un thème, celui de la violence au sein des familles et du vote des femmes, de l’émancipation féministe, un thème de grande actualité. Il y a eu un bouche-à-oreille dans le public, et je suis très heureuse de l’avoir fait. »
Pulvérisant les records, « Il reste encore demain » est le neuvième film le plus vu de l’histoire du cinéma italien. Champion des entrées en Italie, à la troisième place du box-office en 2023, derrière Barbie et Oppenheimer, le premier film de Paola Cortellesi continue à engranger des résultats importants, se plaçant, dès novembre dernier, à la 49ème place du box-office dans l’histoire de la réception des films en salles en Italie.

Un résultat inattendu, qui va d’autant plus au-delà des prévisions les plus optimistes, que le ministère de la Culture avait refusé en 2022 l’octroi d’un financement au scénario, qui serait devenu le symbole de la lutte des femmes contre la violence de genre, le jugeant comme une « œuvre de peu de valeur [1] » !

Après de nombreuses reconnaissances et trois prix à la Fête du cinéma de Rome de l’an dernier, C’è ancora domani est maintenant candidat aux prestigieux prix David di Donatello 2024 (qui seront décernés le 3 mai prochain), pour lequel elle a déjà eu 19 nominations dans diverses catégories, un record pour un premier long-métrage. Deuxième, avec 15 nominations, Moi capitaine de Matteo Garrone suivi de Chimère d’Alice Rohrwacher, avec 9 nominations.

Proposé par Netflix Italie, dès le 31 mars dernier, le film de la Cortellesi continue son chemin en France où il devrait atteindre 500 000 entrées début mai. Le distributeur Universal songe à offrir à l’équipe du film une symbolique « montée des marches » à Cannes, sous les projecteurs du Festival et de son public international.

Populaire pour ses performances télévisuelles d’actrice comique, la réalisatrice a beaucoup travaillé sur les abus et la violence masculines. Une violence que ses grand-mères décrivaient comme « normale » à leur époque. Mais qui n’a pas disparu, comme on peut le constater. La coïncidence de la sortie du film avec le terrible féminicide de la jeune Giulia Cecchettin commis par son petit ami du même âge et du même milieu, a surement contribué à la mobilisation du public accouru nombreux dans les salles voir ce premier film tourné en noir et blanc... Une partie significative des médias a alors souligné la survivance d’un patriarcat systémique, qui n’est d’ailleurs pas l’apanage des classes populaires, comme le suggére le film lui-même : l’épouse bourgeoise du couple des parents du fiancé de Marcella (la fille de la protagoniste) est également peu respectée, voire humiliée par son époux…
Dans la vie réelle, les cas de fils de figures politiques italiennes de premier plan (tel le président du Sénat), impliqués récemment dans des viols en groupe de jeunes filles de la bourgeoisie sont représentatifs de la culture dominante.

Plus de six mois après la sortie du film, la presse italienne continue à s’intéresser au phénomène Cortellesi et à son message. Ainsi, pour Chiara Caravelli (Luce), le succès public du film tient au fait d’avoir su « alterner sagement » des moments divertissants et des scènes dramatiques, qui, cependant, « font paradoxalement sourire le spectateur, réveillant un peu sa culpabilité. Cette façon délicate de traiter ces thèmes, qui n’est pas à la portée de tous, est peut-être la seule façon d’atteindre un public aussi vaste. »
Début avril, alors que le film, qui avait déjà engrangé 40 millions d’euros et passait en streaming, on pouvait lire sous la plume de Marco Paiano, dans Lost cinema : « Ce succès s’explique par l’intelligence et le tact avec lequel le film touche à un sentiment commun à beaucoup de gens, en particulier les femmes, qui ont rarement pu compter sur une production audiovisuelle avec cet élégant équilibre entre la comédie ironique et le drame douloureux, dépourvu d’excès rhétoriques et capable de parler vraiment à tous, malgré le décor peu réjouissant de l’Italie de l’année 1946, dévastée par la Seconde Guerre mondiale. »
« Une dynamique, poursuit-il, qui devrait suffire à écarter pour une fois le cynisme et le snobisme, et qui a également profité d’une mise en scène surprenante de solidité, marquée par quelques étonnants choix formels ». Ce film, conclut-il, « est un des plus importants du cinéma italien contemporain ».

En un moment comme celui que nous vivons, où « l’ego du mâle domine et où le féminicide continue à être minimisé », selon Pedro Barbadillo (Barbadilloit), le film de Paola Cortellesi « montre que des générations entières ont été élevées dans l’idée que la femme est une propriété et que son émancipation équivaut à un manque de respect à l’égard du “ mâle ”. Et, si cela ne suffisait pas, on veut encore faire passer le message que lever les mains de temps en temps sur sa partenaire est un signe de virilité et que la jalousie possessive est une manifestation d’amour. »

Même si l’émancipation des femmes est désormais « un courant heureusement irrépressible, le faible ego du mâle ne supporte pas encore que l’indépendance et la capacité de choisir ce qu’il faut faire de sa propre vie puissent perturber son propre monde fragile et autocentré. Face à cela, la violence, l’oppression et l’homicide deviennent la solution ».

Le film de Cortellesi a suscité une avalanche de réactions sur ce thème brûlant de la violence faite aux femmes – un féminicide tous les trois jours a été enregistré en Italie l’an passé, des chiffres comparables à ceux enregistrés en France.

La presse de droite a généralement exprimé son désaccord en critiquant le scenario et sa réalisation, les portraits peu flatteurs des hommes – violents ou pauvres d’esprit, selon elle – ainsi que le choix de l’accompagnement musical jugé totalement inadapté, voire de mauvais goût – comme d’ailleurs l’allégorie du tango dansé par le couple, etc.

La chroniqueuse cinéma du quotidien de droite Il Foglio, s’est dit consciente d’être une hérétique dans ce chœur de louanges au film, « alors qu’elle n’y a pas du tout vu un chef d’œuvre. S’il en est ainsi pour un si grand nombre de femmes, c’est sans doute parce que le niveau de violence invisible est tel que beaucoup, vraiment beaucoup de femmes, s’identifient et se sentent rachetées par un personnage faible comme Délia » (la protagoniste incarnée par Cortellesi). Pourtant, ajoute-t-elle, « le succès planétaire de Barbie avait révélé une conscience élémentaire de masse... Mais on n’aurait pas encore atteint le niveau supérieur et assumé son autorité propre. »

Selon la rubrique cinéma du magazine Panorama, « Paola Cortellesi nous ramène d’où nous venons ; nous les femmes, d’où vient l’Italie, où aujourd’hui, que cela plaise ou pas, Giorgia Meloni est la première femme de l’histoire à assumer la fonction de président du Conseil » (Premier ministre – qu’elle préfère libeller au masculin !). « Cortellesi met la lumière sur les femmes invisibles de cette Italie pas si lointaine qui avec leurs choix ont changé le cours de l’histoire. Et indiqué la voie : l’instruction et l’indépendance économique, leviers du changement culturel et social ».

Certes. Mais est-ce le fond de la pensée de Mme Meloni qui, tout en négligeant les instruments pouvant garantir les conditions d’un progrès social et économique des femmes, affirmait récemment : « Une femme qui met au monde au moins deux enfants, en ce contexte où nous avons désespérément besoin d’inverser les données de la démographie, aura déjà offert une importante contribution à la société. » Elle est citée ainsi dans la critique du film par l’écrivaine Valeria Parrella (Il Manifesto), dont voici la conclusion : « La présidente du Conseil se révèle finalement pour ce qu’elle est : une femme qui ne reconnait pas les femmes et embrasse pleinement la théorie fasciste, dictature qui a eu comme pierre angulaire le macho et la subordination féminine. »

« En voyant ce film, poursuit-elle, on a l’impression de connaître l’histoire… et d’où émerge cette conscience ? Elle émerge de notre histoire collective de femmes, de la mémoire de nos grand-mères et de nos mères, ça vient de là… Je ne crois pas qu’il existe quelqu’un en Italie qui n’ait vu ou entendu une histoire de ce genre (…) histoire des femmes peu aimées ou pas aimées du tout, mises à travailler comme esclaves, esclaves de leur mari, sans droits ni possibilités de se défendre, une existence grise et douloureuse qui se prolonge jusqu’à la mort. Des femmes qui ne peuvent qu’espérer que cela n’arrive pas à leurs filles… »
« Il n’y a aucune femme italienne que ne connaisse cette histoire. Et si maintenant Paola Cortellesi en fait un film qui fait exploser le box-office, et que moi-même je suis en train de décrire cela, c’est parce que cet espoir de nos grand-mères s’est incarné quelque part, a enjambé les obstacles, a défoncé les portes de la ségrégation domestique et a pu faire étudier les filles. Et a pu dire : ce ne sera pas à travers un bon mariage que tu t’émanciperas, mais à travers les livres, à travers le travail. C’est la peur d’un retour à ce monde-là qui suscité les applaudissements de la salle après la projection… Il faut montrer le film aux jeunes générations. »

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[1A l’époque, le gouvernement Meloni n’était pas encore en place, son ministre de la Culture, Gennaro Sangiuliano, qui a gagné une incomparable réputation d’incompétence et d’ignorance, ne sera nommé que dix jours après le verdict de la commission qui a examiné le scénario. Le malheureux jugement a été rendu par un ministre du Parti démocratique du gouvernement Draghi… qui s’est fendu d’un communiqué, en mars dernier, en affirmant que personnellement il avait bien aimé le projet de Mme Cortellesi…