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Rose Glass /2024

Love Lies Bleeding


Par Pia Farrell / mardi 2 juillet 2024

Un pastiche queer de film noir

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Love Lies Bleeding est un réjouissant pastiche des films noirs américains des années quarante. La réalisatrice britannique Rose Glass qui réalise ici son second long métrage, range son film dans la catégorie du néo-noir. En effet Glass bouscule les conventions du genre en mettant en scène deux anti-héroïnes queer aux prises avec un monde masculin hautement toxique. Leur passion amoureuse va les pousser à commettre une série de meurtres dont un en particulier ferait pâlir d’envie Martin Scorsese.

L’intrigue est transposée aux années quatre-vingt à Albuquerque, petite ville sans charme du Nouveau- Mexique. Lou (Kristen Stewart), est la gérante d’une salle de sport plutôt miteuse. Son travail consiste à faire le ménage, réparer les fuites et déboucher les toilettes. Pour arrondir ses fins de mois elle se livre à un petit trafic de booster de testostérone pour ses clients bodybuildés. Sa vie morne et sans issue s’éclaire soudain à la vue de Jacky, une belle et sexy culturiste nouvellement arrivée en ville et en route pour un concours de bodybuilding à Las Vegas. C’est le coup de foudre entre la solitaire et introvertie Lou et la mystérieuse Jacky. Thème classique du film noir : La rencontre explosive du « loner » (solitaire) et du « drifter » (étranger marginal) dont la passion amoureuse fait basculer l’intrigue dans une descente aux enfers. Rose Glass fait une entorse au genre en optant pour une fin beaucoup moins dramatique.

Le soir venu, Lou ferme la salle de sport et se retrouve en tête à tête avec Jacky. Elles s’échangent des regards chargés de désir et Lou l’invite chez elle. S’interposent deux malabars de la salle qui draguent lourdement Jacky. Elle répond par un coup de poing au visage de l’une des armoires à glace qui lui rend coup pour coup. La violence de l’altercation laisse transparaître chez Jacky une rage à fleur de peau contre le machisme ambiant qui se révèlera très utile plus tard. Une fois chez Lou, elles passent à l’acte avec fougue, sans préliminaires aguicheurs. Aucun romantisme ici. Plutôt que d’étreintes amoureuses, il s’agit de brusques empoignades entre Lou et Jacky. La caméra filme en très gros plans les parties des corps engagés dans des actes sexuels. Ces séquences s’enchaînent très rapidement. Il n’y a pas de plans larges sur leurs corps, évitant ainsi des effets racoleurs.

On est très loin des scènes langoureuses des « lipstick lesbians » prisées par certains réalisateurs pour titiller un public masculin hétérosexuel. Dans La Vie d’Adèle de Abdellatif Kechiche, sorti en 2013 et interprété par Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, les deux personnages dénudés se frottent l’une contre l’autre dans une scène qui dure six minutes. La séquence est filmée en plan moyen et on voit les corps entiers à l’œuvre. Cela donne un côté voyeur, le male gaze de Kechiche. Jul’ Maroh, l’autrice du livre graphique qui inspira le film, remarqua à sa sortie que cette séquence paraissait forcée et artificielle, une représentation froide et chirurgicale selon elle du soi-disant sexe lesbien se transformant en porno. Le male gaze est aussi présent dans Benedetta de Paul Verhoeven, sorti en 2021. Les deux actrices principales, Virginie Efira et Daphné Patakia, sont filmées dans des positions avantageuses dévoilant des corps sublimés. Cela ressemble à un fantasme porno imaginé par le réalisateur.

Après une nuit très chaude, les ennuis commencent pour Lou et Jacky. On comprend vite que Lou à quelques squelettes dans son placard. Son père, Lou senior, génial Ed Harris en patriarche mafieux et amateur de gros insectes exotiques, l’a entrainée autrefois dans ses basses œuvres et elle a des comptes à régler avec lui. Jacky la pousse à l’accompagner à Las Vegas mais Lou refuse. Elle doit rester pour protéger sa sœur mariée à J.J., un loser qui la bat. L’histoire s’emballe et des meurtres ultras violents se succèdent, enrichis de gros plans gore, notamment sur le visage à moitié arraché de J.J.

Kristen Stewart est sensationnelle en jeune femme repliée sur elle-même mais laissant percer une agitation intérieure intense qui contribue au suspense du film. Le physique impressionnant de Katy O’Brian (Jacky) rend son personnage crédible et elle y ajoute une interprétation survoltée convaincante.

Love Lies Bleeding s’inscrit dans une nouvelle veine de films sur des femmes queer (souvent réalisés par des lesbiennes) qui visent un public mainstream. Les protagonistes sont décomplexées et leur coming out n’est plus un sujet. Bottoms de Emma Seligman (2023) raconte les frasques de deux adolescentes ouvertement lesbiennes qui cherchent à perdre leur virginité avec les pom-pom girls du lycée. Drive Away Dolls (2024) est une autre comédie moins réussie de Ethan Coen où deux amies lesbiennes se retrouvent pour un road trip aux multiples péripéties. Ces films ne revendiquent aucune profondeur psychologique. C’est d’ailleurs la seule faiblesse de Love Lies Bleeding. La relation entre Jackie et Lou n’est pas développée. L’action prend le pas sur la psychologie des personnages.

Après une première semaine d’exploitation, le film en France affichait un peu plus de 37.000 entrées. Un score en demi-teinte. Toute proportion gardée, le long métrage américano-britannique de Rose Glass a beaucoup mieux démarré au Royaume Uni et aux Etats-Unis. À titre de comparaison, Drive Away Dolls a réalisé 65.544 entrées en France en première semaine, sans doute à cause de la réputation d’Ethan Coen auprès des cinéphiles français.


générique


Polémiquons.

  • Bonjour,

    Merci pour cette analyse, que j’attendais avec impatiente.
    Une coquille qui a son importance s’est glissée : le livre graphique dont est inspiré la Vie d’Adèle est
    Le bleu est une couleur chaude de Jul Maroh.
    L’auteur a d’ailleurs demandé la réédition du livre sous ce nom.
    Merci ≤3

    • Bonjour,
      merci de cette précision, mais le nom de l’autrice qui figurait sur la première édition du roman graphique était Julie Maroh, donc il ne s’agit pas d’une coquille. Comme vous le précisez, elle a changé la graphie de son prénom sur la réédition.

  • Bonjour, merci pour la correction dans le corps du texte. Je me permets d’insister : ce n’est pas un enjeux de graphie ou d’édition mais d’identité de genre. Jul’ Maroh est un auteur trans. Cela a d’ailleurs été pris en compte dans les différentes pages wikipédia le concernant.

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