pour une critique féministe des productions audiovisuelles

♀ le genre & l’écran ♂


Accueil > Films en salle > Pas de vagues

Teddy Lussi-Modeste / 2024

Pas de vagues


Par Mahaut Baudry / lundi 22 avril 2024

Un plaidoyer pro domo aveugle aux questions de domination

____

Teddy Lussi-Modeste a co-écrit avec Audrey Diwan et réalisé le long métrage Pas de vagues, sorti en mars 2024. Inspiré de l’expérience du réalisateur, ce premier film raconte l’histoire d’un professeur accusé à tort de harcèlement sexuel et moral par une élève de quatrième dans un collège de banlieue où il enseigne le français. Julien est interprété par François Civil, acteur français côté parmi le jeune public notamment depuis sa performance dans Five, comédie française à succès réalisée par Igor Gotesman en 2016.

Pas de vagues retrace le parcours de Julien, des premières accusations dont il est l’objet, proférées par Leslie, une élève calme et réservée interprétée par Toscane Duquesne, qui dénonce les agissements de son professeur dans une lettre remise à la CPE de son collège. S’en suit une rencontre organisée par la CPE entre l’élève et le professeur pour répondre aux allégations de l’adolescente. Loin de les atténuer, cette première entrevue provoque de nouvelles tensions : Julien est menacé par le grand frère de l’élève, se confronte à une hiérarchie qui voudrait étouffer le problème, à une classe d’élèves accusateurs, à la méfiance de ses collègues et à la peur que son homosexualité soit dévoilée dans la sphère professionnelle. Le film tend à montrer le danger des fausses accusations, la pression exercée par les pairs, la fragilité d’une réputation, le tout orienté par un postulat d’une actualité brûlante : les fausses accusations d’agression sexuelle détruisent des vies.

De fait, Pas de vagues prend parti politiquement. On aura du mal à admettre qu’en 2024, en pleine période post-#MeToo, choisir de représenter les « vagues » provoquées par de fausses accusations de harcèlement sexuel est une décision neutre. Que le réalisateur ait décidé de traiter essentiellement, si ce n’est uniquement, l’expérience de l’accusé, c’est un choix. Qu’il en oublie l’accusatrice, qu’il méprise ses (sa) défendeur/ses, qu’il diabolise des figures enfantines comme tribunal populaire injuste et irrationnel, qu’il utilise l’homosexualité du personnage principal comme preuve de l’absurdité supposée des accusations, c’est problématique.

Pour créer de l’empathie avec la figure de l’accusé, Julien est suivi par la caméra dans toutes les sphères de son quotidien, professionnel, semi-professionnel et privé. Le personnage est au centre de chaque scène, mis en avant par un procédé répétitif de focalisation et de plans serrés. Il a le droit à la parole et, de fait, est partie prenante de tous les dialogues, des discussions dans l’intimité aux déclarations face à ses collègues ou à ses élèves. La dégradation de son état mental rendu par l’apparence de plus en plus épuisée de François Civil et la verbalisation de ses angoisses par le personnage lui-même lors de confidences à son compagnon, produisent (ou visent à produire) empathie et identification. La victime, ici l’accusé, est séparé des groupes et mis en avant sur fond de tableau noir, coincé entre les murs gris de la salle de classe et les regards hors champ. La caméra ne cadre pas les jeunes yeux qui scrutent le professeur, mais le scrute elle-même, plus empathique qu’accusatrice. Elle obtient ainsi gain de cause : il est celui qu’on accuse à tort de séduire une mineure, celui qu’on menace de mort, celui contre qui on porte plainte, celui qui risque de perdre son emploi, mais c’est aussi celui qui devient un réalisateur prometteur et écouté [1].

La fin du film est euphorique : un flashback en musique et sans paroles montre Julien entouré de ses amis, dansant avec son compagnon lors d’une soirée festive (soirée antérieure aux évènements du récit dont la diffusion de vidéos au collège avait d’ailleurs fait scandale). Le final est un retour vers l’intimité du personnage que les évènements ont poussé sur le devant de la scène accusatrice de l’opinion publique. Cette conclusion joyeuse oublie de mentionner les conséquences de l’affaire sur l’adolescente. Ce ne sont pas les conséquences individuelles et professionnelles des fausses accusations d’agression sexuelle que l’on nous montre, c’est l’histoire d’un homme qui s’en sort, non pas indemne, mais victorieux. En ce qui concerne l’adolescente fragile et silencieuse, du moins c’est comme cela qu’elle apparait son peu de temps de présence à l’écran, elle est punie, menacée à la maison par son frère (représentation grossière d’un patriarcat possessif et violent), à l’école par toute l’équipe pédagogique, soumise à une pression qu’on traite plus comme dommage collatéral que comme problème en soi.

« - Il a dit qu’elle était fraiche.
 Mais oui Leslie mais je parlais de l’eau.
 Sauf qu’il l’a dit en me regardant dans les yeux. »

Dans la salle de cinéma, cet échange fait rire. Il est mis en avant dès la bande annonce du film comme le malentendu à l’origine des accusations, disproportionné par rapport aux évènements qu’il provoque. Si le film force l’empathie pour celui qu’on accuse à tort alors, il n’en est pas de même pour l’adolescente soumise à on ne sait trop quelle influence. Le mal-être perceptible de Leslie tient davantage au jeu de l’actrice, les yeux baissés et la voix basse, qu’à un quelconque effort de mise en scène pour montrer la complexité de la situation dans laquelle elle se trouve. Jamais montrée dans son intimité, avec ses ami·es ou en famille, Leslie subit autant que Julien, si ce n’est plus directement encore, tous les effets pervers des rumeurs et de la pression hiérarchique ; pourtant on n’entendra jamais son témoignage, on ne la verra jamais évoluer dans son environnement scolaire, on n’aura rien d’autre que les décisions que d’autres personnes (figures essentiellement masculines, son frère, le directeur de son collège, son professeur de français) prendront pour elle.

Le film ne laisse aucune place au doute ou à l’interprétation. La narration est close au point qu’on ne saura jamais ce qui a poussé l’élève si timide à se mettre en avant en proférant des accusations si infondées.

Pourtant le souci du réalisme imprègne tout le film. Directement inspiré de faits réels et autobiographiques, le récit s’avère bien ancré dans le moment présent. De la langue employée à l’architecture d’un établissement scolaire banlieusard en passant par les vêtements des collégiens et des professeurs, les types sociaux clairement reconnaissables et les questions éthiques et judiciaires que le film pose (ou prétend poser), tout respire l’actualité immédiate, le quotidien des années 2020 déjà bien entamées. Le film est mis en scène comme le reflet du présent. Comment alors justifier les entorses aux évidences post-meToo ? Comment un récit si prolixe peut ne jamais demander pourquoi l’adolescente s’est lancée dans une entreprise si malheureuse ? Comment un personnage aussi supposément moderne que celui du professeur peut ne jamais mentionner la libération de la parole des enfants ? Pourquoi celui qui n’avait pas peur de parler du « désir » n’ose-t-il pas parler de harcèlement sexuel ? De pédocriminalité ?

L’enfant se tait, le professeur se défend, il parle, punit, crie, mais on n’entend pas les mots de prédateur, d’abus d’autorité, de charge mentale, de violence symbolique, de pression sociale... Dans un entretien à France Inter avec Léa Salamé, Teddy Lussi-Modeste prétend « accorder de la complexité à tous les personnages, montrer que chacun a ses raisons, donner la parole à tout le monde et ne jamais être dans le manichéisme ». Le dire est une chose, le mettre réellement en pratique dans un film en est une autre.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.


[1Il a été invité sur France Inter à trois reprises, le 23 mars à l’émission « On aura tout vu », le 27 mars à la Matinale, le 29 mars à l’émission « La Bande originale », et le 30 mars sur France Info.