pour une critique féministe des productions audiovisuelles

♀ le genre & l’écran ♂


Accueil > Films -TV/plates-formes > Le Bal des folles

Mélanie Laurent

Le Bal des folles


Par Geneviève Sellier / dimanche 10 octobre 2021

Une vision rocambolesque de la Salpétrière au temps de Charcot

Depuis que Sigmund Freud a fait du professeur Charcot un précurseur de la psychanalyse à cause de ses travaux sur l’hystérie féminine, on ne compte plus les fictions audiovisuelles qui brodent sur les pratiques du neurologue français, « patron » de l’hôpital de la Salpêtrière à la fin du XIXe, en particulier sur les conférences où il suscitait sous hypnose les symptômes de ses patientes, exhibées comme des bêtes de foire devant de doctes assemblées exclusivement masculines .

Augustine, film écrit et réalisé par Alice Winocour en 2015, traitait déjà des relations de Charcot avec ses patientes, en se focalisant sur la plus célèbre d’entre elles, Augustine Gleizes, incarnée par la chanteuse Soko. Augustine s’attache aux relations de plus en plus personnelles que Charcot (Vincent Lindon) entretient avec sa patiente, l’exhibant devant ses collègues, expérimentant sur elle des traitements plus ou moins barbares, jusqu’à ce qu’elle guérisse (on ne saura pas comment) et mime l’hystérie pour « faire le show » et sauver la réputation du neurologue. S’en suit une scène sexuelle entre la patiente et son médecin (épisode inventé par la cinéaste) avant qu’elle ne s’enfuie de l’hôpital et disparaisse de la scène médiatique… Le film était très complaisant vis-à-vis de la figure du scientifique tout entier absorbé par sa recherche (négligeant son épouse incarnée par Chiara Mastroianni) et peu à peu fasciné par sa patiente jusqu’à coucher avec elle… Mais on n’apprend rien sur la maladie (le film passe sous silence le fait, à l’origine de ses crises, qu’Augustine, domestique, avait été violée par son patron à l’âge de 13 ans), rien non plus sur le processus de guérison, et la scène sexuelle finale (désirée et consentie par les deux partenaires) fait disparaître la question de la domination patriarcale dans les rapports entre le médecin et ses patientes.

La dernière fiction en date sur ce sujet est l’adaptation par Mélanie Laurent pour Amazon Prime Video, du roman de Victoria Mas, Le Bal des folles, best-seller publié en 2019, Prix Renaudot des lycéens. L’éditeur présente ainsi le roman : « Chaque année, à la mi-carême, se tient un très étrange Bal des Folles. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Réparti sur deux salles – d’un côté les idiotes et les épileptiques ; de l’autre les hystériques, les folles et les maniaques – ce bal est en réalité l’une des dernières expérimentations de Charcot, désireux de faire des malades de la Salpêtrière des femmes comme les autres. Parmi elles, Eugénie, Louise et Geneviève, dont Victoria Mas retrace le parcours heurté, dans ce premier roman qui met à nu la condition féminine au XIXe siècle. »

Le film, encore plus que le roman, est focalisé sur le personnage d’Eugénie (incarnée par Lou de Laâge), fille rebelle d’un notaire d’une misogynie caricaturale, qui prétend communiquer avec les morts : son père la fait enfermer à La Salpêtrière et nous découvrons avec elle un grand dortoir où sont enfermées des femmes jeunes et vieilles, intelligentes ou faibles d’esprit, prostituées ou bourgeoises, atteintes ou non de paralysies diverses, dont le point commun est que la société (c’est-à-dire leur père, leur mari ou leur frère) les considère comme insoumises ou impropres à une vie « normale ».

L’autre personnage important du film n’est pas Charcot (Grégoire Bonnet), sorte d’autorité patriarcale hors d’atteinte, mais la gouvernante qui s’occupe de ses femmes, Geneviève, incarnée par la réalisatrice Mélanie Laurent, qui fait d’abord preuve de toute la rigidité nécessaire pour contrôler ses femmes réputées incontrôlables. Mais bientôt, Eugénie lui révèle qu’elle est en contact avec sa sœur morte, dont Geneviève ne parvient pas à faire le deuil. D’abord incrédule, elle a bientôt la preuve qu’Eugénie a des dons paranormaux. Elle va désormais se battre pour la faire sortir de l’hôpital, à l’occasion du « Bal des folles » où elle a invité le frère d’Eugénie, prêt à la sauver.

Cette intrigue rocambolesque déplace complètement le sujet, qui n’est plus les relations de Charcot avec ses patientes, mais le sort réservé à Eugénie la « voyante » dans cet hôpital-prison. L’adaptation de Mélanie Laurent en remet encore une couche dans le manichéisme, avec l’invention d’un personnage de « méchante » infirmière qui se souvient un peu trop de Vol au-dessus d’un nid de coucou (Milos Forman, 1975). Jeanne (Emmanuelle Bercot) est chargée par Charcot de « s’occuper » d’Eugénie qu’elle enferme dans une cave et soumet à des traitements inhumains. Geneviève devra ruser pour la délivrer et l’aider à s’enfuir. On a même droit à une course poursuite dans les couloirs de l’hôpital, pendant que le « Bal des folles » bat son plein, et qu’un des médecins en profite pour violer l’une des patientes, avant d’être lynché par les autres.

Cette intrigue échevelée d’un manichéisme grossier laisse complètement de côté la vraie question : comment s’exerçait la médecine psychiatrique à la fin du XIXe siècle, quand elle était au service de la volonté patriarcale de contrôler le corps des femmes. On attend encore un film qui traiterait sérieusement à la fois les symptômes hystériques à travers lesquels s’exprimaient alors les souffrances des femmes soumises à toutes les formes de domination, et l’expression de la domination patriarcale dans les pratiques médicales.


>> générique


Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.