Cette notice doit être qualifiée de billet d’humeur au sens fort.
Adapté du livre de Caroline Goode (Honour, Achieving Justice for Banaz Mahmod, éd. Oneworld Publications, 2020) par la scénariste Gwyneth Hughes (La Foire aux vanités) et réalisé par Richard Laxton, Honour est un téléfilm britannique en deux parties, réalisé en 2021et diffusé sur Arte. Le sujet ? Une enquête de la police sur l’assassinat d’une jeune femme de la communauté kurde, enquête vue du point de vue de la police, plus précisément celui d’une inspectrice déterminée à coincer les assassins de cette femme, dont on comprend rapidement que ce sont les hommes de sa propre famille et qu’il s’agit d’un « crime d’honneur », la jeune femme ayant eu le tort de préférer un jeune homme à son goût au mari choisi par sa famille.
Je ne veux pas détailler l’enquête, celle-ci étant parfaitement classique et le film aisément disponible en replay et en VOD. Je veux simplement évoquer la double lecture que sollicite ce film à notre époque, en Occident, en Europe, en France. Lecture à la fois « féministe » et islamophobe. La lecture féministe est évidemment celle que privilégient des responsables de cette production (réalisée par un homme) et retraçant un fait divers authentique. Elle consiste à opposer une policière « blanche comme lys », incarnant la Femme Libre Occidentale à une femme musulmane, souffrant et mourant sous le patriarcat barbare du monde « arabo-musulman ». Certes, il s’agit de Kurdes que nos médias tendent à présenter comme victimes (notamment en Turquie, Syrie, Iraq), mais cette dimension de l’exil est oubliée, car cette lecture féministe est aussi un discours implicitement islamophobe : ces Kurdes représentent toutes ces sociétés « barbares » – de l’Inde à la Pologne, où les femmes sont incontestablement discriminées, maltraitées, tuées et où, dans l’imaginaire occidental, la condition des femmes incarne l’arriération générale de ces pays, leur altérité absolue.
Or, si l ’on voit parfois des films émanant des pays musulmans (films indiens, palestiniens, irakiens, etc.) qui dénoncent des faits semblables, ceux-ci ne sauraient nous inspirer pareilles réflexions. Mais venant d’Angleterre avec ce point de vue résolument condescendant sur les « barbares »... ce film me semble devoir être dénoncé pour ce qu’il est : de l’islamophobie, parfaitement compatible avec la propagande de Huntington et consorts sur le « choc des civilisations » ou même avec les élucubrations d’un Zemmour. Et son féminisme sert à masquer cette évidence !
Mais la suprême habileté de ce film est de ne jamais faire, ne serait-ce qu’une allusion si brève soit-elle à cette dimension. Son apparent « réalisme » est en fait remarquablement lacunaire. Le scénario comporte une dimension habilement compensatrice – sans doute inspirée aussi du réel : sont dénoncées en même temps que les horreurs du patriarcat musulman, les carences de l’institution policière britannique, refusant par cinq fois de prendre au sérieux les signalements de l’amant de la victime. Mais ces carences de la police sont implicitement attribuées à la sclérose bureaucratique, jamais au racisme misogyne. Or, qui peut nous faire croire que la police britannique est absolument dénuée du racisme et de la xénophobie qui caractérisent la nôtre ? Un réalisme vrai aurait laissé passer des signes du climat raciste dont on sait qu’il prévaut là-bas aussi, dont le Brexit est la manifestation la plus spectaculaire, et qu’un drame aussi sordide que celui-ci n’aurait pas manquer d’enflammer. Ce film laisse donc astucieusement aux spectateurs et aux spectatrices le soin de tirer les conclusions générales qui s’imposent, en fonction de ce que « tout le monde sait » : c’est la faute au Coran ! Tueurs de femmes, poseurs de bombes...
Enfin, une remarque sur le diffuseur français : Arte semble toujours prêt à accueillir – ou à produire – des films qui agitent de manière suspecte ces questions. Que l’on se rappelle La Journée de la jupe (2008) ou plus récemment la série No Man’s Land (co-production franco-israëlienne, 2020).