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Dustin Lance Black

Under the Banner of Heaven


Par Marion Hallet / mercredi 3 août 2022

Les femmes, premières victimes de l'extrémisme religieux


La série débute en 1984 dans une petite ville de l’Utah (USA) par les meurtres de la jeune Brenda Lafferty (Daisy Edgar-Jones, vue dans l’excellente série Normal People) et de sa fille de quinze mois, Erica. Le détective Jeb Pyre (Andrew Garfield), un mormon, et son partenaire Bill Taba (Gil Birmingham), un Indigène-Américain Paiute, sont chargés de l’enquête. La série est librement inspiré du livre de Jon Krakauer Under the Banner of Heaven : A Story of Violent Faith (2003) qui a connu un grand succès et suscité de vives controverses. En effet, les crimes relatés par le livre et la série ont eu lieu en lien direct avec le fondamentalisme mormon. La série suit l’enquête afin d’identifier et localiser les meurtriers. Jeb parle longuement avec le mari de Brenda, Alan (Billy Howle), une fois que celui-ci est définitivement mis hors d’état de cause pour les meurtres. Celui-ci contribue à retracer l’histoire de sa famille, les dynamiques complexes et violentes qui l’animent. Les détectives comprennent vite que les meurtres sont liés au fanatisme religieux des frères d’Alan, Ron (Sam Worthington) et Dan Lafferty (Wyatt Russell), qui ont tranché la gorge de Brenda et d’Erica afin de les punir des péchés que Brenda aurait commis « contre la famille ».

Le mormonisme remonte au leader du mouvement dit « des Saints des derniers jours  », Joseph Smith, qui publia son texte fondateur Le Livre de Mormon en 1830. Il faut distinguer, d’un côté, la branche des mormons pratiquants et dits « traditionnels » qui constituent la grande majorité de la religion et culture mormone aux États-Unis (l’Amérique du Nord est le continent qui regroupe le plus de mormons, surtout dans l’État de l’Utah, même si la majorité des mormons sont dispersés à travers le monde) et forment l’Église de Jesus Christ of Latter-Day Saints (connue communément sous l’acronyme « LDS Church »), et, d’un autre côté les branches minoritaires et des familles individuelles comme les Lafferty (moins de 0,5% de la population mormone mondiale), dont les croyances et les pratiques, comme la polygamie, sont extrêmes et radicales. La plus importante de ces branches, considérées comme sectaires, est la Fundamentalist Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints (« FLDS Church »). Ces quarante dernières années, entre autres depuis l’affaire Lafferty, LDS a tenté de tracer une ligne de démarcation nette entre ses propres pratiques et celles des fondamentalistes et des groupes polygames, en excommuniant ses membres s’ils sont découverts en train de pratiquer ou de promouvoir la polygamie.

La série, comme le livre de Krakauer, fait des allers-retours entre le passé et le présent diégétique afin d’établir une continuité entre, d’une part, la période de fondation de l’Église mormone par Joseph Smith dans les années 1830-40 et, d’autre part, la culture mormone « moderne » des années 1980. La série associe fréquemment des violences commises à la fois contre et par les premiers mormons à des images du meurtre de Brenda, suggérant qu’une religion née dans le sang et la violence, engendrent chez les « vrais fidèles », comme se voient les frères Lafferty, le désir de verser le sang de celles et ceux qui font obstacle à la construction du royaume de Dieu, comme Brenda.

Le livre de Krakauer avait donc fait l’objet de critiques de la part des mormons à l’époque. Et l’on peut donc comprendre l’attitude défensive des mormons majoritaires (à la fois les LDS et tous les autres qui se revendiquent de la religion mormone) face à une minorité extrémiste. Or, ce sont les branches fondamentalistes qui fascinent et inspirent des œuvres populaires.

La série opère donc un changement important : les personnages de Jeb Pyre et de son partenaire Bill, la vie familiale de Jeb et ses doutes, sont autant d’éléments ajoutés par le créateur et scénariste de la série, Dustin Lance Black, qui a grandi dans la religion mormone qu’il a quittée quand il s’est découvert homosexuel – la religion mormone est notoirement homophobe, même si elle prétend le contraire. Ces éléments montrent pourtant qu’il y a une différence majeure entre les fondamentalistes et les membres traditionnels de LDS au début des années 1980. La série introduit également une certaine diversité au sein même de LDS (la famille et la communauté de Jeb se distingue de celle dont est originaire Brenda, plus ouverte et progressiste).

Mais force est de constater que la série s’intéresse surtout aux hommes mormons, qu’ils soient dangereux, violents ou admirables. Or, les victimes des meurtres atroces que la série dépeint sont en l’occurrence des femmes et on peut regretter que la série ne se concentre pas davantage sur le point de vue de Brenda, même si on nous propose une lecture critique détaillée des structures patriarcales du mormonisme LDS.

Servie par la performance remarquable d’Andrew Garfield (abonné aux rôles de religieux dans Hacksaw Ridge de Mel Gibson, Silence de Martin Scorsese en 2016 et The Eyes of Tammy Faye de Michael Showalter en 2021), la série expose les tiraillements de Jeb face à ce qu’il découvre sur la façon dont les dirigeants LDS enseignent à leurs membres à réprimer les questions religieuses même les plus raisonnables, sur l’histoire de leur Église, à considérer les difficultés familiales comme des « tests de foi » envoyés par Dieu et à fermer les yeux sur la violence domestique exercée par les hommes mormons. Jeb est un homme de foi, d’une affection sans faille pour sa famille, qui se soucie de ses collègues de travail et fait preuve d’une grande empathie pour les personnes avec lesquelles il interagit en tant que représentant de l’ordre. Or, lui-même affirme son autorité sacerdotale lorsqu’il impose sa décision à son épouse Rebecca (Adelaide Clemens) : en raison de ses doutes, le baptême de leurs filles devra être reporté – dans la religion mormone, le père de famille est considéré comme le « détenteur de la prêtrise » et représentant de Dieu au sein de sa propre famille et lorsque les femmes mormones contestent cette autorité, les hommes se sentent justifiés de recourir à la violence verbale et/ou physique. La famille a également accueilli la mère de Jeb (Sandra Seacat), visiblement atteinte de démence sénile, mais la charge de s’en occuper revient principalement à Rebecca… pourtant, Jeb refuse que sa mère soit médicamentée, augmentant d’autant plus la charge de travail pour son épouse.

Jeb finit par tenir tête à ses supérieurs de la police, mormons eux aussi, ainsi qu’aux responsables de son Église qui tiennent absolument à passer sous silence les « dérives » fondamentalistes des Lafferty, et il en paie le prix : lui et sa famille sont boycottés par leur propre communauté et Jeb est même menacé d’excommunication – le but ultime de la présence terrestre des mormons est d’atteindre Zion, le royaume de Dieu. Une épreuve douloureuse pour le détective, mais en rien comparable aux meurtres de Brenda et du bébé Erica.

Jeb et Brenda font preuve de courage, mais son courage à elle lui coûte la vie. Très tôt en effet, elle montre sa fidélité à sa foi de façon héroïque : elle est profondément croyante, fait preuve de compassion, tient tête aux brutes, qu’elles soient mormones ou non. Elle s’oppose aux injustices et aux abus, elle intervient auprès de son époux pour qu’il reste éloigné de ses frères et de leurs préceptes ultra-conservateurs, racistes, misogynes et illégaux (arrêter de payer les taxes), tirés d’une lecture littérale des textes fondateurs ; elle sauve sa belle-sœur Dianna (Denise Gough) et ses enfants de la brutalité de son mari Ron (elle leur permet de quitter leur maison, leur trouve un refuge et reste en contact secret avec eux) ; elle tente tant bien que mal de faire la même chose pour son autre belle-sœur, Matilda (Chloe Pirrie), sans succès. Ces interventions qui défient l’autorité patriarcale des Lafferty lui coûtera la vie et celle de son enfant car sa présence est devenue trop subversive : elle met en péril l’ordre établi par des hommes devenus dangereux et violents. Malheureusement, on ne voit pas assez la complexité et les difficultés de la vie des femmes mormones. Nous avons des aperçus de Brenda, de ses ambitions (elle veut être journaliste), de ses goûts (elle aime la musique moderne et participer aux tâches physiques réservées aux hommes), on comprend qu’elle est la boussole morale et la vraie protectrice de sa famille, mais c’est trop allusif par rapport à la longue exploration des doutes de Jeb Pyre par exemple. Malgré l’interprétation très touchante d’Edgar-Jones, on garde l’impression que la mort de Brenda est utilisée pour raconter l’expérience de ce que signifie être un homme mormon, que cela soit la dépravation grandissante des Lafferty ou la rigueur morale de Jeb Pyre qui lutte avec sa foi face à la dérive des Lafferty vers l’extrémisme.

Under the Banner of Heaven est une série qui mérite d’être vue, parce qu’elle montre par quels stratagèmes les hommes prétendent encore et toujours justifier la soumission, les abus et les violences qu’ils infligent aux femmes au nom de Dieu (qu’ils appellent « Heavenly Father », invoqué à tout bout de champ). Sur le même sujet, le documentaire Keep Sweet : Pray and Obey (Rachel Dretzin, 2022, disponible sur Netflix), est à recommander, même si cette plongée dans le fondamentalisme mormon attise une colère sourde, surtout si on fait le lien avec la récente décision de la Cour Suprême des Etats-Unis de revenir sur l’arrêt Roe vs Wade qui consacrait le droit à l’avortement. Dans les deux cas, nous avons affaire à des hommes ultra-conservateurs, qui se disent « originalists », c’est-à-dire qui revendiquent une lecture littérale des textes fondateurs, que cela soit la vie et les préceptes de Joseph Smith (qui a eu jusqu’à 40 épouses, dont au moins une qui n’avait pas plus de 14 ans), ou la Constitution des États-Unis. Est-il encore besoin de rappeler que les femmes – sans parler des femmes non-blanches – étaient alors considérées comme des citoyennes de seconde classe, voire ignorées et exclues de la citoyenneté ?


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