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Frotter, frotter est une fiction inspirée par la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles qui a duré presque deux ans (2019-2021) et© a abouti à une augmentation de salaire, une indemnité de repas, l’égalité de traitement avec les salariés d’Accor et la diminution des cadences. Marion Vernoux déclare s’être aussi fortement inspirée du documentaire de 2013, On a grèvé de Denis Gheerbrant. Le point commun de ces grèves est qu’elles sont menées par des femmes africaines employées par des sous-traitants qui les soumettent à des maltraitances, du harcèlement et des conditions de travail et de salaire indignes.
Contrairement au film Petites mains (2024) de Nessim Chikhaoui sur le même sujet, qui confiait les rôles principaux à deux actrices blanches, Corine Masiero et Lucie Charles-Albert, Frotter, frotter met en avant dans les rôles de femmes de chambre des actrices noires, à une exception près (Karole Rocher). Mais la série ajoute parmi les rôles principaux une autre actrice blanche, Emilie Caen, qui incarne une avocate au chômage qui va les aider. La deuxième entorse à la vérité est l’invention d’un syndicaliste non encarté (Francis Leplay), alors que c’est la CGT qui a prêté main forte aux grévistes.
Écrite, produite et réalisée par des femmes, la série s’efforce de rendre compte des situations particulières de ces employées au statut souvent précaire, soumises à de multiples pressions, y compris celles de leur mari, avec les charges familiales qui pèsent sur elles.
Le scénario met l’accent sur l’efficacité du système d’exploitation qui passe par la sous-traitance : le petit patron de la boîte qui les emploie est lui-même soumis à un contrat léonin avec le groupe hôtelier. Et l’enjeu pour les grévistes est d’être reçues par la direction du groupe, ce qu’elles mettront des mois à obtenir. C’est sur cette victoire que se clôt la série. Plusieurs séquences sont réjouissantes :la soirée de solidarité dans la boîte lesbienne, la tournée de Solange et Michèle pour déclencher des grèves dans les hôtels du groupe, la création d’un clip de rap pour soutenir le mouvement par le mari de Solange, la prise en charge des réseaux sociaux par les enfants des grévistes…
On peut discuter la vraisemblance des formes choisies pour dramatiser la situation, en particulier s’agissant des deux rôles de femmes blanches : Michèle (Karole Rocher), la femme de chambre lesbienne butch qui a fait de la prison et cherche constamment la bagarre ; le camion aux couleurs LGBT qu’elle conduit dans le 4e épisode semble un hommage à Gazon maudit (1994 Josiane Balasko). On peut voir aussi dans la fête organisée dans la boîte lesbienne, un écho du film britannique Pride (2014 Matthew Warchus) qui racontait le mouvement de solidarité des gays et lesbiennes avec les mineurs en grève en 1984-85.
Fanny (Emilie Caen), bourgeoise au foyer, mère d’un adolescent, qui se retrouve quasiment SDF quand son mari la largue à la cinquantaine (on ne comprend pas pourquoi elle refuse la pension alimentaire qu’il lui propose), et tente de renouer avec le métier d’avocate qu’elle a abandonné pour élever son fils ; colocataire dans une maison vide pour cause de succession, sa liaison avec un éboueur qu’on ne verra jamais travailler est peu crédible, compte tenu de son profil de bourgeoise, et l’incompétence dont elle fait preuve pour défendre les grévistes l’est encore moins.
Le 4e épisode où elles vont en commando au mariage de la fille du patron du groupe atteint des sommets d’invraisemblance !
Les rôles des femmes de chambre noires sont mieux écrits, sans doute parce qu’ils s’inspirent plus directement d’une réalité bien documentée. Marion Vernoux a recruté des actrices professionnelles qui ont fait leurs preuves, en particulier la franco-malienne Eye Haïdara qui incarne la gouvernante Solange, celle qui initie et anime la grève et qui a réellement le rôle principal en termes de présence à l’image et de moteur narratif. Elle a débuté en 2007 dans Regarde-moi d’Audrey Estrougo ; on la retrouve dans La Taularde (2015) de la même réalisatrice ; elle se partage entre théâtre, cinéma et télévision. Après Le Sens de la fête (2017) de Nakache et Toledano où elle incarne l’adjointe d’un organisateur de mariage (incarné par Jean-Pierre Bacri), rôle qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin, elle fait une performance remarquable en étudiante gravement dépressive dans la saison 2 de la série En thérapie (2022).
En dessinant des portraits de femmes noires avec une grande diversité d’âge, d’apparence et de situation, la série les fait sortir de l’anonymat dans lequel la société française les maintient, à travers le stéréotype de « l’immigrée en situation irrégulière ».
Cette série marque indubitablement une étape dans la fiction audiovisuelle française en termes de diversité et d’inclusion, qu’il s’agisse des questions de genre, de classe ou de « race ».