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Julie Manoukian / 2020

Les Vétos


>> Caroline Granier / vendredi 24 janvier 2020

Comédie rurale ou fable éco-féministe ?


Pour faire plaisir à ma fille de dix ans qui avait envie de voir des animaux à l’écran, j’ai pris sur moi pour l’emmener dans un UGC où se jouait Les Vétos, sans avoir lu aucune critique auparavant et sans rien en attendre de particulier. Et finalement… j’ai été très agréablement surprise par ce film qui se prête très facilement à une lecture féministe.

J’ai vu après coup que les critiques (peu nombreuses) étaient au mieux légèrement condescendantes (« jolie comédie rurale », « gentil film pour âmes sensibles », « quelques piques antisexistes bienvenues »), au pire carrément négatives, considérant le film comme plat, prévisible, inintéressant.

Pas d’accord !
Et s’il est bien peu question de politique politicienne dans ce film, ce serait faux de considérer que la politique en est absente.

Car il est bien question de vivre ensemble ici : Alexandra, la Parisienne récemment diplômée et promise à une brillante carrière de chercheuse, pourra-t-elle s’intégrer dans le village de son enfance où elle se retrouve à exercer comme vétérinaire le temps d’un été ? Distance et condescendance de son côté, rejet et sexisme de la part de certain.e.s habitant.e.s du village : c’est d’abord l’incompréhension qui domine. Avant que chacun.e apprenne à se connaître et à accepter l’autre. Ce lien social qui se tisse (et qui exige du temps), avec des personnes que l’on n’a pas choisies, loin des groupes d’affinités, n’est-ce pas l’enjeu de la démocratie ?

Et puis, au cœur du film, il y a la question du soin – ce que les Anglo-saxons nomment le care. Prendre soin des animaux, bien sûr, puisque les personnages principaux sont ces vétos totalement dévoué.e.s aux animaux non humains. Mais aussi prendre soin des enfants : le vétérinaire, trop pris par son métier, ne s’occupe pas de ses deux garçons, et la mère, qui elle aussi travaille, est sur le point de craquer face à cette désertion. Et l’on voit bien ici comment l’éducation des enfants est encore trop souvent l’apanage des femmes. L’oncle d’Alexandra, célibataire endurci, regrettera sur le tard de n’avoir pas eu le courage d’accueillir l’enfant devenue orpheline. Enfin, il s’agit également de prendre soin de l’autre, quel.le qu’iel soit : Alexandra va apprendre à mieux parler avec ceux et celles qui viennent la consulter. Elle qui sait reconnaître les symptômes de dépression chez un chien a bien du mal à ressentir de l’empathie envers ses semblables. Et, parallèlement, le vétérinaire du coin, méfiant au début, met du temps à lui faire confiance. C’est la secrétaire de la clinique, femme remplie d’humanité, d’énergie et d’optimisme, qui fait le lien entre eux, rétablissant le dialogue lorsqu’il est brisé. C’est donc le care qui est véritablement le sujet du film. Un thème jugé trop futile qui en ferait un film « anecdotique » ?

La thématique féministe est bien présente. Le fait qu’Alexandra, en tant que femme, subisse un sexisme plus ou moins avoué, est clairement montré. Elle résiste et s’impose avec ses compétences, réclamant aussi le droit à l’erreur – tout comme les hommes. Le couple qu’elle forme avec son ami d’enfance va aussi à l’encontre des stéréotypes habituels : ici, c’est la femme qui est la plus diplômée et qui fait un travail plus qualifié que son compagnon, c’est aussi elle qui fait le premier pas dans la relation amoureuse.

Quant à la critique du capitalisme et du productivisme, elle n’est pas moins évidente. Face au banquier qui lui affirme que son « modèle économique » n’est pas viable, le vétérinaire hausse les sourcils : il ne parle pas le même langage. C’est l’humain qui le préoccupe. Il préfère faire une belle suture car cela le détend plutôt que de poser des agrafes pour « gagner du temps ». Enfin, il a toujours le souci du collectif : son combat n’est pas personnel, sa vie est liée à ce bout de terre et à ses habitant.e.s – avec la conscience que, s’il part s’installer en ville avec ses deux enfants, c’est une école qui fermera.

Mais plus intéressant encore dans ce film est le rapport que tissent les animaux avec les humains. De l’animal-capital (pour les éleveurs) à l’animal-ornement (cette femme qui regrette d’avoir acheté un chien « à problèmes »), en passant par l’animal-compagnon : le film explore tous les liens que les humains peuvent nouer avec l’espèce animale, en insistant sur les contradictions. Comme par exemple cette éleveuse d’escargots qui différencie clairement d’un côté ceux qui sont faits pour être mangés (considérés comme des objets) et de l’autre, ses « bébés » (ainsi qu’elle les appelle) , qu’elle soigne et traite avec égards. Est-ce un hasard si Alexandra ne mange pas de viande ? En filigrane, le film offre une jolie métaphore du lien entre ville et campagne : la femelle rat domestiquée par Alexandra saura-t-elle s’adapter au monde rural ? Et le renard qui rôde dans le jardin, animal sauvage, va-t-il finir par apprivoiser la Parisienne ? On se demande finalement si ce sont les humains qui choisissent les animaux ou l’inverse…

Et c’est là que le film est peut-être plus profond qu’il n’y paraît. Car ce soin porté aux êtres vivants s’étend aussi à la nature. Alexandra redécouvre l’émerveillement devant ce milieu qu’elle a connu enfant : plaisir de dormir à même le sol, d’observer les jeux de lumière dans la forêt, la cascade où sa mère l’emmenait.

Choisira-t-elle d’aller sauver le monde en faisant des recherches dans un laboratoire prestigieux ou bien – voie moins honorifique et plus ingrate – de soigner les bêtes dans ce petit village, en lien avec les autres et avec la nature ? « Nous sommes la nature qui se défend », entend-on dans les manifestations. Il ne s’agit pas pour Alexandra de protéger les animaux ou la nature, mais de vivre pleinement en réinventant les relations avec le milieu qui la nourrit.

Comment ne pas y voir un refus des injonctions capitalistes et virilistes à « réussir » – refus incarné dans le film par des personnages aussi bien masculins que féminins ? Convenu, ce discours ? Pas si sûr !


>> générique


Polémiquons.

  • Pourquoi un site qui est censé parler du genre "à l’écran" se contente d’écrire des critiques de scénario ? La forme, ça ne vous intéresse pas ?

  • Désolée, pas de polémique car je suis tout à fait d’accord avec votre critique ! et j’ai beaucoup apprécié ce film !
    Bien à vous
    Christine

  • Merci pour la critique. Je n’ai pas la même lecture du tout (spoiler) : j’ai l’impression que ce film est un énième film où une jeune femme, forcément inexpérimentée, va se rendre compte que le mieux pour elle est de suivre la voie qu’on décidé pour elle les hommes de son entourage.
    Son oncle qui l’a abandonné à 7 ans décide qu’elle sera vétérinaire remplaçante dans une petite communauté villageoise, alors qu’elle vit à Paris et a l’air de s’y plaire ? Il lui fait croire qu’il est au bord de la mort pour la faire venir ? Pas grave. Le voisin qui la connut enfant décide qu’elle doit rester au village malgré elle, en bidouillant sa voiture pour l’empêcher de partir ? Ces hommes ont bien raison, et le film laisse cette tromperie sans conséquence. Le vétérinaire du cabinet lui dit d’être psychologue avec les clients et passe la moitié de son temps à la pourrir ? Pas grave non plus.
    La condescendance du personnage féminin, personnellement je ne l’ai pas vu. J’ai vu une jeune femme saoulée d’être obligée de remplacer son oncle au pied levé, dans un village où les gens sont aussi accueillants qu’une porte de prison.

    Mais comme on est dans un film stéréotypé, la jeune femme va donc se rendre compte (forcément, puisque les hommes sont les plus sages, n’est-ce pas) qu’ils ont raison et qu’elle est faite pour s’occuper des vaches. Et qu’importe qu’une brillante carrière internationale l’attende (le film dit bien qu’elle avait un poste dans la deuxième meilleure équipe de recherche mondiale dans son domaine), et que la quasi totalité du village lui montre son mépris 95% du film. Sauf la secrétaire médicale (une femme, bien sûr, pour faire le lien entre les gens, pour arrondir les angles).
    À la fin, la demoiselle va bien gentiment faire quoi ? Du care, du soin. Et sortir avec le beau gosse du coin, évidemment. Au lieu de faire la brillante carrière, de mener la vie dont elle rêvait manifestement au début du film, elle va se retrouver à prendre soin des autres (de leurs animaux), et à rentrer dans le rang d’une relation amoureuse (pourquoi pas, mais c’est encore un cliché : la réussite d’une femme passerait par son statut amoureux). Le film dit que le métier n’est pas rémunérateur ? Pas grave non plus. Cerise sur le gâteau : la gamine qui lui colle au basque depuis le début du film, qui est devenue sa meilleure pote à la fin, on est à deux doigt de l’instinct maternel révélé.
    Donc si je résume : sur la pression d’hommes impolis et menteurs, une jeune femme change de vie et devient un prototype de la femme traditionnelle. Ses sentiments se réveillent (car c’est connu, une femme sans sentiment est dénaturée). Je dirais pas que c’est un film féministe, donc.

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