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Romane Bohringer / Philippe Rebbot / 2018

L’Amour flou


>> Geneviève Sellier / lundi 22 octobre 2018


Comédie amusante que cette sorte de documenteur – pour reprendre le joli mot-valise inventé par Agnès Varda –, où Romane Bohringer et Philippe Rebbot ont l’air de raconter en même temps qu’il/elle la vivent, leur séparation (après dix ans de vie commune et deux enfants), qui débouche sur la réalisation d’une utopie immobilière sympathique, la construction d’un appartement double où la chambre des enfants sert de « sas » entre les deux appartements du père et de la mère.

On rit souvent, à cause du « naturel » des deux comédiens (et de leurs enfants qui jouent leur propre rôle) et des situations cocasses que provoque cette cohabitation d’un nouveau genre. Mais, une fois de plus, comme dans Nos batailles [1], on ne peut s’empêcher de constater que cette comédie repose sur une inversion de la réalité sociale la plus courante.

Non seulement 82% des parents hébergeants dans les séparations sont les mères (ce qu’on appelle « pudiquement » des familles monoparentales) – 15% seulement pratiquent la garde alternée, surtout dans les milieux les plus aisés –, mais les mères ont dans la grande majorité des cas, des revenus inférieurs à ceux des pères qui paient – ou pas – de pension alimentaire, et la séparation se solde par un appauvrissement brutal des mères [2]. Or le couple formé par les deux comédiens est tout à fait atypique puisque c’est elle, Romane Bohringer, qui a les revenus élevés qui lui permettent d’imaginer l’utopie d’un appartement spécialement conçu par un promoteur immobilier (!) visionnaire pour un couple séparé dont les deux membres veulent continuer à vivre quotidiennement avec leurs enfants.

Ce que montre le film sans le dire, c’est que la capacité économique de la mère est la clé de cette utopie sympathique. Le souci du bien-être des enfants fait partie du logiciel que les femmes ont intériorisé comme une seconde nature. Le père qui semble d’autant plus « paternant » qu’il est socialement marginal et économiquement défaillant, suit le mouvement…

On rit souvent dans ce film, mais il n’est pas interdit de se demander de quoi on rit.

Les fantasmes donjuanesques de Philippe Rebbot – sa « liberté » reconquise, il se voit en nouvel avatar de Hugh Hefner, le créateur de Play boy, entouré de playmates qui répondent à tous ses désirs…– sont drôles parce qu’il n’a pas (du tout) le physique (ni les moyens économiques) du rôle, mais une autre scène est plus ambivalente : on le voit draguer une jolie blonde en faisant du skateboard dans un parc, on la retrouve dans son lit à la séquence suivante, et la jeune fille évoque en riant leur différence d’âge (30 ans) en disant : « de toutes façons, j’aime les vieux ! » Façon un peu désinvolte d’évacuer le fait que dans la réalité sociale, ce qui rend les « vieux » hommes désirables, c’est en général leur statut social…

Autre moment embarrassant par la « légèreté » de son traitement : Romane fait un certain nombre de tentatives pour draguer elle aussi, avec plus ou moins de succès (la séquence du collègue qui a une crise gastrique aigüe au moment de faire l’amour est très drôle) ; on la retrouve au lit avec une femme, pour constater que « c’est pas son truc » ; s’ensuit une discussion sur la maternité : cette femme de 39 ans qui se dit « pansexuelle », est obsédée par un désir d’enfant qui fait fuir les hommes, et elle est incollable sur « l’horloge biologique » : on peut d’abord s’interroger sur cette façon de présenter la maternité comme le destin incontournable des femmes [3], et la suite est encore plus gênante : Romane, qui a été sollicitée par ses voisins, un couple homosexuel, pour jouer les mères porteuses, a une illumination : elle emmène sa copine chez les voisins (leurs terrasses sont mitoyennes), toutes les deux dans le plus simple appareil, pour leur proposer la « solution » à leur problème : résolution particulièrement désinvolte (qui sera confirmée dans l’épilogue) qui suppose qu’une femme en mal d’enfant est la candidate idéale pour porter l’enfant d’un couple d’hommes ! Le débat actuel sur la GPA est littéralement évacué…

A travers cette péripétie annexe, le film montre le bout de son nez : la comédie ici permet d’évacuer les contradictions sociales au lieu de les traiter. Le fait que le scénario – et la réalisation – soient assurés par un couple hétérosexuel a pour effet (comme chez Bacri-Jaoui ou dans La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, écrit avec son ex-compagnon Jérémie Elkaïm) d’euphémiser les effets systémiques de la domination masculine, pour les assimiler à une pseudo-symétrie dans les « défauts » des hommes et des femmes, également responsables des dysfonctionnements du couple.

Depuis Gazon maudit (Balasko, 1995), je ne me souviens pas d’une comédie française sur le couple, l’amour et le désir, qui fait rire sans mettre sous le tapis la question de la domination masculine…

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[2En 2011, en France métropolitaine, 2 millions de parents vivent avec au moins un de leurs enfants mineurs tout en étant séparés de l’autre parent, et parmi eux plus de huit sur dix sont des femmes. La monoparentalité, plus répandue chez les mères hébergeantes que chez les pères hébergeants, est le premier facteur aggravant de pauvreté. Les mères hébergeantes isolées sont ainsi touchées de plein fouet par la perte de niveau de vie après la séparation, avec un taux de pauvreté de 38 %, très supérieur à celui de la moyenne des parents hébergeants (30 %), et à celui des pères hébergeants (21 %). Le mécanisme des pensions alimentaires, bien que construit de manière à équilibrer le coût de l’enfant entre le parent hébergeant et l’autre parent, ne réduit que faiblement cette pauvreté. En effet, seulement moins d’une mère hébergeante isolée sur trois reçoit de fait une pension alimentaire, et les pensions alimentaires les plus élevées sont perçues par les parents hébergeants qui sont déjà les plus aisés. http://www.caf.fr/sites/default/fil...

[3Sur le « désir de la stérilité », voir Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Zones, 2018.