Voici un film québécois d’une justesse exceptionnelle sur les tourments d’une adolescente un peu trop enrobée ; la réalisatrice Anne Emond dont c’est le 4e film, parvient à décrire le milieu lycéen et familial de la jeune Juliette (formidable Alexane Jamieson) sans aucun misérabilisme, tout en pointant la cruauté des comportements adolescents (surtout masculins).
Juliette a commencé à prendre du poids quand sa mère est partie pour vivre sa vie à New York ; elle a grandi entourée de l’affection de son père et de son frère, et elle a depuis un an une copine de classe avec qui elle peut partager son mal être ; elle se passionne pour la littérature et jouit de l’estime de son prof de français, ce qui ne la rend pas plus populaire…
Elle a le béguin pour un copain de son frère, un beau blond aussi mince qu’elle est grassouillette, et qui se prend pour un chanteur de rock. Elle va faire l’amère expérience des comportements moutonniers, sexistes et abusifs de ses petit.es camarades. Ce n’est ni une oie blanche, ni un bouc émissaire. Elle se défend, et réagit, elle aussi de façon brutale à l’occasion. La découverte que sa meilleure amie est lesbienne est ressentie par elle comme un choc difficile à digérer, mais elle y parviendra. La confrontation avec la goujaterie sexiste des garçons de son lycée sera une épreuve autrement plus dure mais elle finira par s’en défendre aussi.
On pense aux séries comme 13 Reasons Why ou Sex Education, mais c’est à la fois moins noir et moins convenu. On en sort ébloui.e par la performance de la jeune actrice et ragaillardi.e par la capacité de résilience de la jeune Juliette. Et pour une fois qu’on donne le premier rôle à une jeune fille qui n’est pas aux normes, c’est rafraichissant !
Polémiquons.
1. Jeune Juliette, 23 décembre 2019, 16:42, par Sarah Belhadi
Tout à fait d’accord, un film inclusif qui donne le beau rôle à une jeune fille pétillante, malicieuse mais par ailleurs perçue comme grosse et moquée pour cela. Vous avez cité Léanne qui dévoile (courageusement) son homosexualité, on peut également évoquer le jeune garçon dont Juliette s’occupe, Arnaud, neuro-atypique, quelque-peu inadapté à certains codes sociaux.
Ces caractéristiques sont considérées au mieux comme des identités totalisantes, donc forcément réductrices, (on ne peut pas définir quelqu’un.e uniquement sur la base de son orientation sexuelle, de son physique ou de ses capacités cognitives mais par une somme toujours mouvante de ces propriétés entre autres) au pire comme des stigmates, renforcés par les discours grossophobes, homophobes, validistes... Jeune Juliette restitue des individualités complexes à celles et ceux à qui cela est régulièrement dénié.
D’ailleurs, ce teen-movie (film pour ado) reprend bien des codes du genre, mais en omet volontairement un : celui du relooking ; un parti pris iconoclaste dans la masse des film pour ado, dont les intrigues tendent généralement vers ce moment vu comme une consécration et un tournant potentiel pour le personnage qui le subit. Pas de relooking pour Juliette qui comprend que c’est les autres qui ont un problème avec son corps, pas elle. Une scène de confidence avec son père nous apprend qu’elle ignorait qu’elle était grosse jusqu’à ce qu’on lui fasse remarquer.
Les personnages masculins sont également construit en contradiction avec les représentations classiques : Bernard est un père qui assume seul l’éducation de ses enfants, il aime à répéter à ces derniers qu’ils ne peuvent rien lui cacher car "jsuis un père moi, ça sait tout un père". Cette affirmation prend à revers la croyance biologisante qui impute aux femmes une connexion transcendantale avec leurs enfants et c’est rafraîchissant.
On peut citer également le grand-frère de Juliette, attentif et bienveillant, qui va à rebours de l’archétype du personnage maltraitant ou au mieux indifférent du frère dans les films pour ado.
Seule ombre au tableau le personnage de Malaïka, une femme noire la compagne de Bernard, est fortement exotisée notamment par l’usage - dans au moins deux scène ou elle apparaît- d’une musique qui rappelle les sonorités maloya, alors que rien dans le contexte ne s’y prête. On peut également déplorer qu’une scène qui la montre dénudée satisfasse le regard masculin :alors qu’elle s’apprête à plongée dans la piscine la caméra lentement remonte de ses pied jusqu’à poitrine. Ce "male gaze" est cependant quelques peu détournée par le regard de Léanne, elle aussi subjugué de désir.
Cette scène reste néanmoins problématique du fait de l’hypersexualisation des corps noirs encore en vigueur dans les représentations audiovisuelles.
Dommage pour un film qui se veut (et réussit sur beaucoup d’aspects tout-de-même) inclusif.