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Léa Fehner / 2023

Sages-femmes


par Geneviève Sellier / samedi 9 septembre 2023

Un remarquable travail entre documentaire et fiction.

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La crise de l’hôpital public a suscité récemment des films intéressants, notamment La Fracture (Catherine Corsini, 2021). La question de l’accouchement et les figures de sages-femmes sont présentes aussi dans C’est la vie (Julien Rambaldi 2021), comédie « à la française » qui est en revanche un florilège de toutes les caricatures qu’on peut faire sur le sujet, avec un point de vue masculin. On peut citer aussi Sage-femme (Martin Provost 2017) mais la focalisation sur les têtes d’affiche Catherine Frot et Catherine Deneuve éclipse en partie le sujet.

Sages-femmes de Léa Fehner – produit par Arte et diffusé sur cette chaîne en avril 2023, avant de sortir en salle en août –, est un exemple exceptionnel d’une combinaison réussie entre documentaire et fiction, grâce à un travail particulièrement long et intensif d’immersion de l’équipe dans la réalité sociale et humaine dont traite le film. La réalisatrice a été motivée par sa propre expérience traumatisante d’une naissance difficile dans un hôpital public, vécue il y a une douzaine d’années, et le film résulte de sa volonté de dépasser ce trauma en explorant le processus de la mise au monde du point de vue des soignant.es. Non seulement elle a passé des semaines dans différents services de maternité, mais elle a fait participer des sages-femmes à l’élaboration du scénario, à la mise en scène, à la direction des acteur.ices – ceux/celles-ci ayant à leur tour accepté de s’immerger dans un service de maternité –, et enfin au montage.

Léa Fehner insiste sur le fait qu’elle et sa co-scénariste ont écrit le film avec les sages-femmes puis avec les jeunes acteur.ices du Conservatoire d’art dramatique, partenaire du film : ielles ont l’âge des personnages. Cette somme de travail se voit : non seulement le/la spectateur.ice est à son tour emporté.e par le rythme trépidant d’un travail qui se fait quasi constamment dans l’urgence et l’imprévu – les accouchements se déclenchent sans qu’on puisse les programmer (sauf certaines césariennes) –, mais on vit la crise de l’hôpital public dans ses aspects les plus concrets, en particulier le manque de personnel qui provoque l’épuisement, l’énervement, le stress du personnel en activité, qui débouche quelquefois sur de la maltraitance involontaire.
On vit aussi l’intensité émotionnelle liée à la naissance, grâce à un montage impeccable qui combine des plans documentaires et des plans reconstitués avec les acteur.ices.

Contrairement au choix fait par Catherine Corsini dans La Fracture, tou.tes les protagonistes sont incarné.es par des acteur.ices inconnu.es ou débutant.es, ce qui accentue la dimension documentaire du film. Les deux protagonistes principales, Louise (Héloïse Janjaud) et Sofia (Khadija Kouyaté) sortent tout juste de leur formation et sont embarquées dans le tourbillon du service sans transition. Sofia s’en sort dans un premier temps mieux que Louise, mais les responsabilités trop lourdes qu’elle a acceptées tournent au cauchemar, quand une naissance se passe mal. Elle mettra du temps à s’en remettre, pendant que Louise trouve peu à peu ses marques plus sereinement.

Le film met en évidence l’importance du collectif dans ce travail et la solidarité entre les membres du service, malgré des hiérarchies professionnelles fortement genrées (les obstétriciens sont des hommes, alors que les sages-femmes, à une exception près, sont des femmes). Le collectif comprend aussi les proches des patientes dont le personnel doit tenir compte avec empathie et diplomatie. Dans ce registre, une séquence est un peu limite : Souad, une jeune femme arrive avec sa mère totalement envahissante, d’autant plus que Reda, son fils, travaille dans le service. Louise est en charge de l’accouchement et finit par obtenir que la mère quitte la chambre pour pouvoir dialoguer avec sa patiente. On peut tiquer sur le choix d’une famille d’origine maghrébine pour cet exemple de mère envahissante, mais le happy-end final fait oublier ce moment pénible.
Un autre cas limite en termes de vraisemblance : une femme sans-papiers se retrouve à la rue avec son bébé après un mois d’hébergement suite à l’accouchement. Valentin, le jeune externe naïf qui squatte chez Louise et Sofia, la découvre dans un recoin de l’hôpital et l’emmène chez ses copines. Louise refuse cette responsabilité alors que Sofia lui cède sa chambre. Après quelques jours, la femme disparaît en laissant son bébé, que Sofia, en congé maladie, essaie de prendre en charge. La mère revient bientôt pour allaiter sa fille… On ne saura pas ce qu’elles deviendront.

Le film se termine sur une séquence documentaire de manifestation de sages-femmes, poussées à bout par l’impossibilité où elles sont, dans l’hôpital public, de prendre en charge correctement et humainement leurs patients. Pourtant Sages-femmes évite complètement l’écueil du film militant ou du film à thèse, grâce au poids d’humanité qui passe à travers les performances des acteur.ices, principaux et secondaires : même les plus petits rôles sont parfaitement crédibles, résultat de ce travail collectif en amont que la réalisatrice a patiemment organisé. Chapeau !


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