Réjouissons-nous : Louis Garrel paraît avoir abandonné le filon stérile du très narcissique cinéma d’auteur masculin pour un cinéma plus proche des genres populaires (comédie, policier) et plus soucieux du plaisir du public. Sans doute la collaboration au scénario du romancier Tanguy Viel, après Jean-Claude Carrière pour La Croisade, y est pour quelque chose… Comme rarement dans le cinéma français, le scénario et les dialogues ont fait l’objet d’un réel travail.
Louis Garrel y rend hommage à sa mère Brigitte Sy, femme remarquable dont il est en général beaucoup moins question que de son père, le cinéaste Philippe Garrel, chéri de la critique pour son hermétisme chic… La tradition patriarcale de la transmission du nom du père favorise bien sûr l’effacement de l’héritage maternel, alors que c’est sans doute ici comme dans la plupart des cas, elle qui a élevé leurs enfants (elle a en eu deux avec Philippe Garrel, Louis né en 1983, Esther née en 1991).
Brigitte Sy, comédienne et réalisatrice, a raconté la même histoire autobiographique dans son film Les Mains libres, avec Ronit Elkabetz, dans lequel elle n’a qu’une fille pré-adolescente… L’histoire est d’autant plus dramatique que la cinéaste se trouve impliquée sans le savoir dans un trafic de drogue qui va lui coûter une inculpation et l’interdiction de continuer son film et de voir l’homme qu’elle aime… qu’elle épousera en prison un an plus tard. Un carton qui clôt le film annonce que Michel (l’ancien détenu qu’elle a épousé) s’est tué en moto un an après sa sortie de prison.
En revanche, dans la version romancée de Louis Garrel, sur le registre d’une comédie policière, il est le seul fils de Sylvie (Anouk Grinberg) qui prépare un film sur des prisonniers de droit commun de la région lyonnaise. Le film commence quand Sylvie annonce à son fils Abel qu’elle va épouser Michel (Roschdy Zem), un des détenus qu’elle filme et dont elle est tombée amoureuse. Dans une inversion bien venue des stéréotypes genrées, c’est la mère qui n’a pas froid aux yeux et le fils qui a constamment peur de tout… Sans doute pour justifier ce trait, on apprend qu’il a perdu récemment sa femme dans un accident de la voiture qu’il conduisait. La séquence suivante nous fait assister au mariage en prison auquel assiste le fils accablé et impuissant. Mais le spectateur est plutôt du côté de la mère, qui a le rayonnement joyeux d’une femme amoureuse, que du fils qui joue les empêcheurs d’aimer en rond…
Cette capacité d’initiative des femmes se retrouve avec le personnage de Noémie Merlant, Clémence, présentée comme la meilleure amie de la défunte épouse d’Abel, et qui fait office de confidente du héros, mais aussi bientôt de mouche du coche pour l’obliger à sortir de sa léthargie dépressive. Elle y montre un talent burlesque tout à fait réjouissant, qu’on n’aurait pas soupçonner dans le film qui l’a fait connaître, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma.
La réussite du film tient à un mélange bien dosé de comédie, de film d’action et de drame psychologique : les meilleures scènes sont celles où les protagonistes sont censés jouer un rôle à la faveur duquel ils parviennent à exprimer leurs véritables sentiments, comme dans les meilleures comédies sophistiquées américaines des années 1940 (New York Miami, Philadelphia Story, etc.)
De plus si le personnage d’Abel est au centre du récit, il n’en est pas le moteur. Au début, c’est sa mère qui a l’initiative, en décidant de se marier avec un détenu, puis en l’accueillant à sa sortie de prison, mais cette initiative est bientôt hypothéquée par le fait qu’elle ignore que son nouveau mari (on apprend par Abel qu’elle en est à son troisième mariage) doit faire un braquage en échange de la boutique en plein centre-ville qu’il offre à sa femme pour qu’elle ouvre un commerce de fleurs, ce qu’Abel va découvrir en espionnant son beau-père.
La seconde partie du film déplace l’intérêt vers les deux jeunes ami.e.s, Abel et Clémence, quand celle-ci décide de s’associer au braquage des boites de caviar, dans lequel Michel a entraîné Abel. Et tandis que les hommes s’empêtrent dans une opération mal préparée, Clémence mène la danse, tout en avouant ses sentiments à Abel, en jouant une scène de couple pour détourner l’attention du chauffeur du camion que Michel et son complice sont en train de dévaliser. C’est le clou du film, quand l’émotion surgit sous la comédie, grâce à l’audace du jeu de Clémence qui entraîne Abel d’abord incapable de jouer son rôle.
Même si la fin est teintée de mélancolie, on sort de ce film avec un sentiment jubilatoire, en souhaitant que Louis Garrel continue dans ce filon « féministe »…
Polémiquons.
1. L’Innocent, 23 novembre 2022, 06:11, par fabia
Excellente critique, merci.