Réalisateur de L’Auberge espagnole (2002), le film qui a rendu mythique le programme Erasmus et ses étudiant.es migrateur/ses, Cédric Klapisch compose sa petite musique du côté du feel good movie à la française : ni cinéma d’auteur, ni comédie franchouillarde, ces films racontent des histoires dans l’air du temps, la solitude des trentenaires dans les grandes villes – Chacun cherche son chat (1996) ou Deux moi (2019), en évitant soigneusement de leur donner une dimension de critique sociale ou politique.
Même quand ses films sont focalisés sur un personnage féminin (Chacun cherche son chat, En corps), les questions de domination masculine ou de discrimination genrée lui sont inconnues… C’est le prix à payer pour se laisser bercer par cette petite musique !
L’atout de son dernier film est d’avoir fait choisi une danseuse plutôt qu’une actrice pour incarner le personnage principal, Marion Barbeau de l’Opéra de Paris : elle porte le film sur ses épaules, et son physique de sylphide à la fois fragile et énergique, son sourire émouvant sur un visage quelque peu émacié donnent une réelle authenticité à cette histoire de danseuse classique qui se blesse au cours d’une représentation de La Bayadère, après avoir aperçu dans les coulisses son amant dans les bras d’une autre danseuse. Effondrée par cette trahison et obligée d’interrompre l’entraînement, elle ne sait pas si elle pourra retrouver sa place dans le ballet. En attendant elle accepte de partir en Bretagne avec un couple de cuisiniers embauchés dans une résidence d’artistes. Elle y rencontrera une troupe de danseur/ses contemporain·es qui lui permettront de renouer avec son art, de renaître à la danse.
Sur cette trame mélodramatique, vient se greffer toute une série de personnages secondaires plus ou moins convenus : le père veuf et incapable de la soutenir (l’inévitable Denis Podalydès), le kinési amoureux transi (François Civil), le couple aussi amoureux que querelleur (Pio Marmaï et Soheila Yacoub), la propriétaire de la résidence d’artistes, bourrue et chaleureuse (Muriel Robin), etc.
Sans surprise, les séquences les plus réussies sont celles qui mettent en scène la danse : d’une part le long prologue sans dialogues à l’Opéra où on suit Marion Barbeau lors de la représentation de La Bayadère ; et dans la dernière partie du film, les répétitions et la représentation du spectacle du chorégraphe et musicien israélien Hofesh Schechter, intitulé Political Mother, qu’il a effectivement donné à la Halle de la Villette.
Le filmage de ces spectacles de danse est un régal pour les yeux, sans que la danse classique soit dévalorisée au profit de la danse contemporaine. Si La Bayadère est filmée en mettant en valeur la danseuse étoile incarnée par Marion Barbeau dont on peut admirer la virtuosité et la grâce, le filmage de la danse contemporaine met en valeur la dimension collective du travail et de la vie de la troupe, dans la beauté sauvage des paysages bretons. C’est cette dimension collective qui permet à Marion/Élise de se reconstruire. On passera charitablement sur la bluette qui conclut l’histoire…
En corps illustre les qualités et les limites du cinéma de Cédric Klapisch : la dimension documentaire permet de transcender le caractère convenu de l’histoire, les acteurs fonctionnent dans une belle synergie, les dialogues sont souvent drôles et émouvants, mais jamais les conflits ni les rapports de force ne viendront gâcher la fête…
Polémiquons.
1. En corps, 26 avril 2022, 17:46, par philippe
Pour sortir d’une salle de cinéma avec le sourire, allez voir ce film.
Certes, comme il est écrit ci-dessus, ce film est assez convenu. Chère au réalisateur, la problématique abordée par ce film relève du "tous pour un, un pour tous".
Mais ce qui est remarquable c’est l’interprète du rôle principal. Première danseuse à l’opéra de paris (ce n’est pas rien), repérée lors d’un clip réalisé pendant le confinement, dans ce film, Marion Barbeau est d’abord une "actrice". C’est fascinant.