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Detroit face à la critique américaine


>> Geneviève Sellier / jeudi 19 octobre 2017


Detroit, le film de Kathryn Bigelow m’a laissé un certain malaise… La lecture de certaines critiques états-uniennes m’a permis de comprendre pourquoi.

Pour le critique de l’hebdomadaire de gauche The Nation, Stuart Klawans [1], le problème n’est pas que le film ait été réalisé par une Blanche, mais qu’aucun personnage n’incarne la rébellion : les personnages noirs ne sont que des victimes non concernées par les émeutes. Le film se focalise sur le sadisme de l’officier blanc qui torture les résidents de l’hôtel Algiers pendant toute la nuit, mais cela ne nous apprend rien de nouveau sur le racisme de la police américaine. En fait, Bigelow, qui est avant tout une spécialiste des films d’action, a conçu Detroit comme une histoire de prise d’otages, où les méchants jouent avec les proies qu’ils ont capturées, sur le modèle du film d’horreur qui l’a fait connaître, Near Dark. Elle ne manifeste pas de réel intérêt pour les raisons qui font qu’une population entière passe du ressentiment chronique à l’affrontement. Les événements semblent se déclencher comme par magie lors de la descente de police dans le bar clandestin. Le film ne s’intéresse pas à ce que pensent les nombreux habitants noirs de Détroit, et privilégie les performances d’acteurs, comme par exemple dans la scène où l’un des clients de l’hôtel Algiers s’amuse à imiter un policier blanc en train d’intimider un Noir. Et finalement, Bigelow et son scénariste réduisent les événements de Detroit à une histoire de show business, la destruction d’une carrière prometteuse de chanteur.

De son côté, la critique afro-américaine Angelica Jade Bastien, dans l’article qu’elle a posté sur le site de Roger Ebert [2], dit avoir ressenti, derrière la violence infligée aux corps noirs, un vide.

Detroit, dont toute l’équipe créative est blanche (production, scénario, réalisation, image, montage), ne dit rien sur la question raciale, le système judiciaire, la brutalité policière ni sur Détroit.

Elle rappelle que Bigelow s’est rendue célèbre par sa déconstruction des traits de la masculinité américaine, en particulier dans Point Break (1991) et Near Dark (Aux frontières de l’aube, 1987). Si Detroit dépeint la façon dont s’opposent les hommes noirs et blancs, le film échoue à rendre compte du contexte historique de ce conflit. Comme il échoue à déconstruire les stéréotypes concernant les relations entre hommes noirs et femmes blanches, et les réactions des hommes blancs.

John Boyega, qui incarne Melvin Dismukes, le garde privé qui se compromet avec les policiers blancs pour tenter, en vain, de limiter leurs abus, est un personnage trop passif. Le charisme de l’acteur ne peut rien contre le scénario qui renonce à explorer le problème de la complicité de Melvin. Même la performance d’Algee Smith, qui donne à son personnage de chanteur une expressivité grandissante, est souvent limitée par la direction d’acteur.

La place totalement marginale des femmes noires dans ce film, comme dans la plupart des films qui traitent de la question raciale, a suscité des polémiques, dès avant la sortie du film. Elles sont réduites à des figures d’épouses et de mères dévouées ou des spectatrices silencieuses.

Mais le plus grave, pour Angelica Jade Bastien, est que le film manque d’âme. La couleur des peaux noires est uniformément sombre et sans complexité ; le style pseudo-documentaire de la prise de vue, constamment en mouvement, crée de la confusion. Bigelow est très habile pour entretenir la tension, mais elle est impuissante à donner aux personnages noirs une intériorité.

Le film manque de l’authenticité nécessaire pour devenir une œuvre capable d’exprimer la vérité de ce que vivent les Noirs, encore aujourd’hui. À quoi sert de représenter cette violence nauséabonde si on ne dit rien à propos du pays où continue à régner un tel racisme ?

Pour Angelica Jade Bastien, ce n’est pas un film historique mais un film d’horreur.

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