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Safy Nebbou / 2019

Celle que vous croyez


>> Geneviève Sellier / vendredi 15 mars 2019

La domination masculine passée à la trappe


La comparaison entre un film et le livre dont il est adapté est toujours instructive : à travers les changements, les suppressions et les ajouts se dessinent les choix du réalisateur et les enjeux du film. Celle que vous croyez est l’adaptation par Safy Nebbou du roman éponyme de Camille Laurens, paru en 2016. Un roman écrit par une femme, adapté et réalisé par un homme.

Le roman est un récit labyrinthique dont le leitmotiv est l’inégalité en termes d’âge qui structure les rapports amoureux entre les femmes et les hommes : la première partie (100 pages) est le récit que fait Claire, une femme de 50 ans, au psychiatre de l’hôpital où elle est en long séjour, de ses déboires amoureux avec des hommes plus jeunes qu’elle. Après une première relation frustrante où elle se fait larguer, elle initie une relation virtuelle sur Facebook où elle se fait passer pour une jeune femme, et qui se termine par le suicide du jeune homme quand elle met fin à la relation. La deuxième partie est le récit qu’elle a rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture proposé par l’hôpital, que lit le psychiatre à ses collègues pour se justifier de lui avoir révélé que le jeune homme, loin de se suicider, s’était finalement marié avec une jeune femme. Or, cette révélation a provoqué chez Claire des épisodes délirants qui ont rendu impossible sa « guérison ».

La troisième partie est la lettre que l’animatrice de l’atelier d’écriture, une écrivaine prénommée Camille (sic), envoie à son éditeur réticent, pour lui raconter la véritable histoire de sa propre relation calamiteuse avec un homme plus jeune qu’elle, qui s’est soldée par un séjour en HP. Enfin, l’épilogue relate la plainte du mari de Claire (désormais en HP) à son avocat, face au refus du juge d’autoriser son divorce pour qu’il puisse épouser la nièce de sa femme.

Ce récit vertigineux tisse différentes versions de la même calamiteuse répétition, celle d’une femme de cinquante ans qui tombe amoureuse d’un homme plus jeune, dans une société où seule la relation inverse est considérée comme acceptable.

L’adaptation a considérablement simplifié le roman de Camille Laurens, mais a surtout fait complètement disparaître toute sa dimension dénonciatrice des normes genrées et des comportements masculins.

Le psychiatre est désormais une psychiatre de ville (l’hôpital a disparu), incarnée par une Nicole Garcia raide comme la justice, à qui Claire (Juliette Binoche) vient raconter la relation virtuelle qu’elle a entamée avec Alex (François Civil) sur Facebook en utilisant la photo de sa nièce, puis la relation réelle qu’elle a eue avec le même Alex, avant qu’il ne découvre que c’était la même personne. Ce qui disparaît dans l’adaptation, c’est non seulement les multiples versions de l’histoire que propose le roman, mais surtout la constante référence que fait Camille Laurens à l’inégalité des normes genrées : d’abord à travers les commentaires acerbes de Claire à son psychiatre, incapable de comprendre, parce qu’il est un homme, les souffrances d’une femme de cinquante ans brutalement mise hors service sur le marché du désir ; ensuite à travers le récit de Camille qui raconte l’incroyable goujaterie du comportement de son amant quand il prend conscience de son âge. Cet épisode a complètement disparu de l’adaptation, sans doute parce que sa brutalité est trop accusatrice pour la gente masculine.

Les références culturelles et cinématographiques du réalisateur témoignent surtout d’une certaine prétention : « En le lisant, j’ai tout de suite pensé à Rashomon d’Akira Kurosawa, où chacun, tour à tour, raconte sa version. J’ai également pensé à Vertigo d’Alfred Hitchcock, où James Stewart est amoureux de l’image d’une femme fantôme. Mais encore à Marivaux et ses Fausses confidences, à Choderlos de Laclos et ses Liaisons dangereuses, à Borges, à Pirandello… » et la co-scénariste qu’il a choisie ne risquait pas de le ramener vers le propos du roman. Voici comment le réalisateur justifie le choix de sa co-scénariste : « Ce sont ses qualités de scénariste qui ont guidé mon choix [sous-entendu, pas le fait qu’elle est une femme]. Particulièrement son travail avec Arnaud Desplechin. (Jimmy P., Trois souvenirs de ma jeunesse et Les Fantômes d’Ismaël). » En effet, on peut difficilement rêver d’un cinéma moins féministe… (voir la critique des Fantômes d’Ismaël sur le site).

La référence à Rashomon paraît tout à fait abusive : dans le film, contrairement au roman, il n’y a qu’une version, celle de Claire, et sa création d’une fausse identité sur Facebook, ce que commente abondamment la critique. Pour Télérama (Guillemette Odicino) : « Plus que la toxicité des réseaux sociaux où tout peut s’inventer, c’est bien le mensonge, aux autres et à soi, qui est décortiqué dans ce thriller romanesque et singulier. » Le Monde (Mathieu Macheret) y voit en revanche « une dramatisation de la dépendance aux réseaux sociaux » tout en reprochant au film un « réalisme psychologique scolaire ».

Certes Juliette Binoche fait une performance impressionnante, donnant à lire sur son visage, avec une grande économie de moyens, toutes les souffrances de cette femme qui tente désespérément de lutter contre son invisibilisation en tant qu’objet du désir masculin. Pourtant, une péripétie bizarre semble la rendre responsable de l’échec de sa relation avec Alex. Après avoir mis fin à leur (fausse) relation virtuelle, alors qu’elle a réussi à séduire Alex « dans la vraie vie » sous son identité réelle de professeure d’université – il y aurait beaucoup à dire sur les séquences expéditives où on la voit commenter des œuvres littéraires devant un amphi plein d’étudiant.e.s –, ils ont une relation amoureuse épanouie qu’elle détruit en réactivant sa fausse identité pour tester l’attachement d’Alex. La découverte par le jeune homme de cette manipulation mettra fin à leur relation. Cet épisode masochiste existe aussi dans le roman, mais il est contrebalancé par les versions suivantes de l’histoire. Ce qui n’est pas le cas dans le film qui se termine par une série de retournements tellement invraisemblables qu’ils ôtent toute crédibilité à l’histoire.


>> générique


Polémiquons.

  • J’ai découvert il y a peu le film de Safy Nebbou. Je n’ai pas pu le terminer. La misogynie épaisse attachée à chaque scène a rendu vaine toutes les tentatives de Juliette Binoche, pourtant subtile et frémissante d’émotions, de rendre à son personnage son statut de femme-être humain. Après tout "pour une femme on dit cougar, et pour un homme on dit homme" n’est-ce pas ? Et scène après scène, par sa maîtrise d’une mise en scène sans pitié pour les vieilles et tellement tendre pour les jeunes hommes, Safy Nebbou a utilisé le roman non pour dénoncer la discrimination subie par les unes, mais pour affirmer la folie qui est la leur à vouloir vivre encore alors que tout le monde, et surtout le metteur en scène, leur demande de mourir, ou au moins de se faire tirer sans faire d’histoire. Il semble que du roman, que je n’ai pas eu le loisir de lire, mais dans lequel je vais me plonger avec volupté grâce à votre article, du roman donc, Safy Nebbou n’a conservé que l’anecdote, utile à sa démonstration de la folie des femmes. Dès la première scène : un scène de sexe, des plus passionnée. Et alors, qu’est-ce qu’elle se croyait, que le sexe c’est une relation ? On se demande comment une femme à l’évidence aussi passionnée peut-elle se faire avoir par un tel beauf, centré qu’il est sur son seul plaisir, notamment celui pervers de la domination qu’il exerce sur une femme que l’on comprend très vite plus libre, plus intelligente, plus cultivée, plus belle qu’il ne le sera jamais. Parce qu’en plus d’être un goujat qui annule un week-end une fois qu’il a tiré son coup, (n’est-elle pas à sa disposition après tout ?), cet amant limité est physiquement, disons, moyen-moyen. Nebbou ne nous épargne rien. Ou plutôt, il n’épargne rien aux femmes, alors qu’il a toutes les indulgences pour les hommes, quels que soient leurs âges. Il n’est question que d’elles mais en négatif : pathétique à s’accrocher, ou folle de jalousie. Oui décidément les femmes sont folles n’est-ce pas ? Surtout si elles se piquent d’être désirantes. Que ne se laissent-elles désirées comme les jolie poupées "mannequins" ? Mais peut-être sont elles rendues folles par la violence de pareils discours.

    C’est peu dire que j’ai trouvé dans votre article la seule critique lisible de cet indigeste campagne contre les dangers d’internet.

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