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Greta Gerwig / 2023

Barbie


Par Geneviève Sellier / dimanche 30 juillet 2023

Une opération commerciale de blanchiment féministe

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Voilà un (trop) bel exemple de la capacité d’Hollywood de récupérer même les avancées politiques et idéologiques qui paraissent a priori les plus contradictoires avec ses visées capitalistes : soit un moment fort de la lutte d’émancipation des femmes (depuis le déclenchement de #MeToo), une entreprise capitaliste (Mattel) qui produit depuis 50 ans la Barbie, une poupée mondialement célèbre figurant le stéréotype féminin le plus aliénant de la société de consommation, et dont les ventes sont en déclin du fait des critiques féministes. Résultat : une actrice productrice, Margot Robbie, connue pour son féminisme fait appel à une jeune réalisatrice, Greta Gerwig, qui s’est fait connaître pour ses portraits progressistes de personnages féminins (Lady Bird, 2017 ; Les Filles du docteur March, 2021), pour faire un film qui reconfigure Barbie au prisme du féminisme contemporain, avec le financement de Mattel (le film a coûté 100 millions de dollars) qui orchestrera la promotion du film et la relance des ventes de poupées par la même occasion… Mattel n’a pas caché son ambition de créer une franchise, à l’image de Marvel.

Le film porte la marque de cette alliance de la carpe et du lapin, en tentant d’orchestrer la régénération féministe du monde de Barbie, tout en voulant nous faire croire que la conception d’origine de la Barbie (par une femme) était un projet émancipateur : permettre aux petites filles de cesser de jouer à la maman avec leur poupon, pour se projeter dans une image flatteuse d’elles-mêmes en tant que femmes.

Le film met d’abord en scène le « Barbie Land » habité par toutes les déclinaisons de la poupée que Mattel a mis sur le marché depuis 50 ans, dont celle qui se nomme elle-même comme la « Barbie stéréotypée » (incarnée par Margot Robbie) et qui est au centre de ce petit monde où les hommes, les Ken, ont besoin du regard des femmes pour se sentir exister (on aura reconnu l’inversion du monde où les femmes dépendent du « male gaze », tel que le cinéma mainstream le construit). Mais ce monde se détraque le jour où Barbie a une pensée morbide : elle devra partir dans le monde réel à la recherche de la femme qui a dessiné cette Barbie dépressive pour la neutraliser.

Elle part avec Ken (Ryan Gosling) pour la Californie, où ils ont la surprise (divine pour Ken) de découvrir une société patriarcale où les femmes sont au service des hommes et exclues du pouvoir : le conseil d’administration de Mattel que Barbie va rencontrer, est exclusivement masculin et n’aura de cesse de faire repartir Barbie dans son monde, pour éviter toute contamination du monde réel avec le Barbie Land où le pouvoir feint d’appartenir aux femmes. Cette représentation satirique de la direction de Mattel relève davantage d’un stéréotype du cinéma hollywoodien contemporain que d’une critique réelle du capitalisme états-unien.

Barbie rencontre deux femmes au look latino, une mère et sa fille, aussi brunes qu’elle est blonde, qui sont à l’origine de son dysfonctionnement. C’est Gloria, la mère (America Ferrera), employée chez Mattel, qui a dessiné des déclinaisons négatives de Barbie, alors que sa fille Sasha (Ariana Greenblatt) formule les critiques féministes de Barbie. Elles vont bizarrement devenir les alliées de Barbie pour l’aider à retrouver Barbie Land, qui entretemps est passé sous domination masculine, suite à la découverte faite par Ken du patriarcat dans le monde réel.

La suite est assez confuse : la guerre des sexes dans Barbie Land donne lieu à plusieurs séquences mettant en valeur chorégraphiquement la plastique masculine, avant que les Barbies reprennent le pouvoir, galvanisées par le discours féministe de Gloria. Mais Barbie choisit finalement de revenir dans le monde réel avec ses deux alliées humaines, et sa première démarche en tant que « vraie femme » est de prendre rendez-vous dans une clinique gynécologique : on peut s’interroger sur cette fin qui réduit le discours féministe à une vision essentialiste de « la » femme…


générique


Polémiquons.

  • C’est effectivement une alliance de la carpe et du lapin, mais le film a quand même le mérite de faire passer un message féministe auprès d’adolescentes venues se divertir. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Et il n’y avait pas que des ados dans la salle quand j’y suis allée.

  • Etant américaine, je n’ai pas une vision de l’Argent comme un élément forcément maléfique. Les sommes mirabolantes qu’ont coûté ou gagné le film Barbie, ne m’inquiètent pas. Je suis contente d’apprendre que Greta Gerwig, le metteur en scène, devient la première femme cinéaste à avoir gagné autant d’argent pour un seul film. Bravo ! Il était temps ! Que cela continue !!!
    Etudiante américaine, j’ai passé beaucoup de temps sur les « extracurricular activities », surtout théâtre, avec autant de passion que sur les matières littéraires, que j’adorais pourtant. Il faut peut-être avoir tâté soi meme de l’art de la comédie, du chant, de la danse, de savoir combien de fois il faut répéter pour que deux chanteurs ou deux danseurs tombent d’accord sur la même interprétation, le même chronométrage, ou pour avoir tous les soirs la même intonation sur une note ou une réplique. Dans Barbie, les arts de la scène y compris la décoration, sont déployés de façon génial, par des foules de pratiquants, danseurs, chanteurs, les numéros d’ensemble parfaitement réglés faisant penser aux comédies musicales vitaminées de Busby Berkeley, géant du cinéma musical américain des années dix-neuf trente.
    C’est dans ce sens que j’ai été époustouflée par la maîtrise de tous les artistes, et je dis bien artistes qui ont contribué à sa création. L’intrigue hérite du conte de fée, les personnages descend de créations comme la Coppélia d’ETA Hoffmann, poupée mécanique qui attire les humains. Je pense plus précisément à
    l’histoire de Pinocchio, publié par Collodi en 1881, qui traite d’un jouet en bois voulant devenir humain, « un vrai garçon », retenu par son incapacité d’être sage.
    Ce trame a été repris par Disney en 1940. Son Pinocchio veut devenir un « vrai nfant », Barbie veut devenir une « vraie femme », c’est à dire une maman, seul palmarès à l’échapper – avec la condition, on peut le supposer, de devenir mortelle.(Son combat pour la maternité n’est pas sans rappeler celui mené par les millions de femmes se rendant actuellement dans les cliniques de fertilité.) On peut penser, aussi à « La petite sirène » (1837) de H.A. Andersen, désireuse de mortalité, comme Pinocchio.
    Le « feuilletage » du thème « Pinocchio » est similaire à celui du film sur Barbie, évocant les poupées, les accessoires, mais aussi les albums de coloriage, et la bande dessinée (comic book) qui sont venus se rajouter au produit centralisant, le personnage qu’incarne les poupées en plastique. A l’origine un jouet admirable qui permet d’exprimer ses conceptions fondamentales de la famille, du comment et pourquoi d’être femme dans le monde moderne. Et avec tout cela un jouet démocratique, car pas trop cher à l’achat (certains vêtements luxueux pouvant être acquis séparément). Un jouet léger, portable, et dont l’espoir, voire l’ambition – est d’être la plus belle ou en tout cas le meilleure dans son genre (pardonnez s’il vous plaît le jeu de mots) s’intègre parfaitement à un système de valeurs nationales,basé sur le mythe de la réussite du « common man », l’homme de la foule.
    Barbie, « everywoman », fait désormais-et dignement- partie de l’héritage culturelle des Etats Unis. Il y a un moment où les motifs de la « pop culture » émergent et prennnent place dans la Culture tout court.Le petit homme de Chaplin finit par nous représenter tous.

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