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Avec Mollie, l’héroïne Osage de Killers of the Flower Moon, Martin Scorsese crée un magnifique personnage féminin dans une œuvre où viennent s’unir l’humanisme religieux de l’homme Scorsese et la maîtrise du grand metteur-en-scène. Le rôle de Mollie est tenue par Lily Gladstone qu’on avait déjà remarquée dans le beau film de Kelly Reichardt, Certain Women.
L’univers masculin du film est effrayant : les hommes mentent, volent et tuent comme ils respirent. Les deux héros sont d’incomparables portraits de ce qu’il faut bien appeler des raclures d’humanité. Leur noirceur est abyssale. L’un commande, l’oncle William Hale, De Niro ; l’autre obéit en aveugle, le neveu Ernest, DiCaprio. Le second est littéralement un idiot de village.
Dans un film où dominent les scènes fulgurantes de quelques minutes—à l’exception de de certaines fresques dantesques comme celle où dansent les flammes de l’enfer—, ce qui permet au film de trois heures vingt de passer comme un éclair, il existe une longue scène au début : l’initiation du neveu au monde du mal par l’oncle, son intronisation où le candidat est évalué et jugé bon pour le service. Elle pose le cadre du film.
À l’intérieur de ce monde abject, Mollie sait parfaitement que son seul pouvoir tient à l’argent ; sans argent, elle serait un bétail. Consciente de cette force, elle l’exerce. Entre elle et Ernest, il existe une vraie compatibilité charnelle, dans le sens le plus noble du terme qui, dès leur rencontre, les rapproche et les conduit au mariage. Ils s’aiment. Ernest, la buse, est attaché à sa femme, par des liens qui dépassent son entendement. Les scènes où ils reposent dans le lit conjugal en attestent avec un force aussi elliptique qu’éloquente. Pourtant il va tuer toute la famille de son épouse et empoisonner cette dernière. Lorsqu’il goute le poison il devient évident qu’il sait.
Mollie rayonne tout au long film d’un implacable résignation. Elle accepte son sort ; elle accepte l’arrivée de la mort. Sa résignation est apaisée, mais militante. Alors qu’elle se sent mourir, elle fait le long voyage pour Washington afin de dénoncer les crimes au président des Etats-Unis. Ce geste magnifique sauvera. Pourtant, si Ernest accepte, après un refus initial, de témoigner contre les assassins, ce n’est pas à cause de sa femme. C’est la mort de leur enfant qui sera le déclencheur de ce sursaut vital. La chair mêlée de son épouse et de la sienne, leur peau métissée, lui parle et secoue soudain sa misérable carcasse. Un éclair d’humanité illumine la nuit profonde où il évolue. Cet instant est suivi d’une rencontre avec Mollie dans la prairie, une rencontre secrète sur laquelle pèse la mort. Sans mots, elle lui pardonne avec une incomparable majesté. Une force mystique rayonne sur ces évènements.
Cela dit, elle divorcera et l’Amérique poursuivra sa course vers le profit, éliminant une culture sur laquelle le film de Scorsese lève le voile pour en révéler la beauté aussi vulnérable que fondamentale. A la sortie du cinéma, cette beauté hantera le spectateur pour son plus grand bien.
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