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Christophe Honoré / 2019

Chambre 212


>> Geneviève Sellier / lundi 14 octobre 2019

Christophe Honoré : l’inversion des stéréotypes



Avec ce 12e long métrage en 17 ans, cet « auteur » chéri des cinéphiles qui n’a visiblement pas de mal à financer ses films quel qu’en soit le succès public, nous propose ce que le sociologue Éric Macé appelle un contre-stéréotype [1], c’est-à-dire une figure qui inverse terme à terme un stéréotype dominant.

Ici on a donc UNE prof de fac, Chiara Mastroianni, (rassurez-vous, on ne la verra jamais travailler, ni même lire…) qui drague systématiquement les jeunes tendrons masculins qui sont à sa disposition dans les amphis, sans y voir autre chose qu’un « amusant exercice sexuel ». Elle est pourvue d’un mari, gros nounours domestique (Benjamin Biolay), qui tombe des nues quand il découvre par hasard un SMS « chaud » sur le portable de la dame. Elle a beau lui répéter que ça n’a aucune importance, et qu’au bout de vingt ans de mariage, c’est normal d’aller baiser ailleurs, le mari ne s’en remet pas et elle décide d’aller s’installer dans l’hôtel en face de leur appartement, pour prendre le temps de réfléchir.

Cette localisation est la deuxième attraction du film : nous sommes rue Delambre à Montparnasse et l’appartement supposé du couple est exactement au-dessus du cinéma Les 7 Parnassiens, bien connu des cinéphiles parisiens, dont on voit régulièrement le mur d’affiches lumineuses (on y projette Grâce à Dieu de François Ozon…). Le film joue à plein sur le plaisir des private jokes et des références cinéphiliques : la troisième attraction du film est en effet les jeux voyeuristes (clin d’œil à Hitchcock, évidemment) entre la fenêtre de l’hôtel où résident pour une nuit la belle infidèle et ses fantômes, et les fenêtres de l’appartement où le pauvre mari traîne son chagrin en robe de chambre et en chaussettes (Honoré ne s’est même pas fatigué à lui inventer une occupation professionnelle, c’est un homme au foyer, autre contre-stéréotype, qui trompe sa peine en faisant la lessive ! …

Quatrième attraction : Maria va voir défiler dans sa chambre – qui a certains moments va ressembler à la cabine des Marx Brothers dans Une nuit à l’Opéra (autre clin d’œil cinéphilique) – pour lui demander des comptes, son mari de vingt ans plus jeune (Vincent Lacoste), la prof de piano amante du jeune homme avant leur mariage (Camille Cottin), et une espèce de vieux beau à l’allure d’un imitateur d’Aznavour qui est censé incarner sa volonté (j’avoue n’avoir pas bien compris la symbolique du personnage), et bien sûr toute la galerie de ses jeunes amants plus exotiques les uns que les autres (elle s’envoie en l’air avec des garçons qui ont la moitié de son âge, pour continuer dans le contre-stéréotype).

Comment se fait-il qu’avec tous ces ingrédients, Honoré parvienne à faire un plat aussi soporifique ? Paresse d’écriture sans doute (le générique nous indique qu’il est le seul auteur de son scénario), mais aussi absence d’enjeu : le contre-stéréotype, contrairement à ce que Macé appelle un anti-stéréotype, ne cherche ni à déconstruire ni à dénoncer les stéréotypes dominants, il en prend le contre-pied, faisant comme si les mécanismes de domination sociale était un pur jeu de chaises musicales, comme si le fait d’inverser le stéréotype constituait en soit une transgression, voire un geste féministe !

La seule péripétie amusante est la transformation de Camille Cottin, l’amatrice de pianiste adolescent, en une lesbienne épanouie incarnée par Carole Bouquet… On aurait aimé que ce soit traité autrement qu’en pirouette.

Finalement, comme dans les comédies hollywoodiennes du remariage [2] (mais de façon beaucoup plus formelle), le happy-end est garanti ainsi que la préservation du mariage hétérosexuel sinon monogamique… Tout ça pour ça !

Chiara Mastroianni en prof de droit (à la Sorbonne évidemment) est encore moins crédible que l’était naguère Charlotte Rampling en prof de littérature (déjà à la Sorbonne) dans Sous le sable d’Ozon (2000), et nettement plus limitée dans son jeu... Mais Christophe Honoré est bien au-dessus de telles considérations sociologiques !


>> générique


Polémiquons.

  • Ce film est d un ennui sans limite, tout est dans la bande annonce, le début prometteur
    s est mué en une fable bourgeoise sans intérêt, un film d un autre temps (je t ai trompé parce que j ai couché avec quelqu’un d autre😴) doublé d un scénario sans ressort. Dommage ! Pour une fois qu un personnage féminin sortait des rôles attribués aux femmes, si conformistes !

  • Je vous trouve très sévère ! J’ai trouvé le film amusant, une façon de revisiter les comédies de remariage qui donne un divertissement sans prétention. Oui, elle ne travaille pas, c’est vrai, mais le moins qu’on puisse dire est que le traitement n’est pas réaliste !

    Concernant l’inversion des rôles, ne me dites pas que vous ne connaissez pas des collègues à l’Université qui considère les étudiantEs comme un terrain de chasse... et cela de façon tout à fait banalisé et dans un aveuglement des proches, conjoint.e.s et collègues, assez stupéfiant ! Peut-être, ce qui gène, c’est le traitement par la comédie d’un sujet qui est au coeur de l’actualité universitaire ? Et ne pas croire que me too a complètement bougé les mentalités sur le fond (c’est juste que certains ont pris peur, tout de même, des conséquences...)

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[1Eric Macé, « Des “minorités visibles” aux néostéréotypes. Les enjeux des régimes de monstration télévisuelle des différences ethnoraciales », Journal des anthropologues, Hors-série 2007, https://journals.openedition.org/jda/2967

[2Voir Stanley Cavell, A la recherche du bonheur. Hollywood et la comédie du remariage, Vrin, 2017.