Au-delà de la performance remarquable d’Olivier Gourmet qui est quasiment tout le temps à l’image, et dont le jeu retenu parvient quand même à captiver constamment, le film semble hésiter entre deux problématiques : la dénonciation d’une société qui jette les travailleurs après les avoir exploités jusqu’à la moelle, y compris ceux qui sont en position de (relatif) pouvoir ; l’accompagnement empathique d’un homme qui a consacré toutes ses forces à son travail et qui se retrouve piégé par cet engagement même.
Franck, marié et père de cinq enfants, gère à distance, depuis son bureau, le trafic de porte-containers qui sillonnent les mers du globe. Il est une incarnation parfaite de la masculinité hégémonique [1], tout en maîtrise de soi, mutisme, répression des sentiments et dévouement sans limite à son travail, aux dépens de tout le reste, y compris la famille qu’il entretient ; mais son épouse est là pour s’occuper des enfants…
Un jour, le capitaine d’un de ces bateaux, l’informe qu’un passager clandestin malade a été découvert en pleine mer, et cela risque d’entraîner une mise en quarantaine et une perte sèche pour la compagnie. Après avoir hésité, Franck lui ordonne de s’en débarrasser… Un peu plus tard, sa direction, ayant constaté des incohérences dans le trajet du bateau, le convoque et le licencie pour sa gestion erratique de cette crise.
Tout son univers très protégé (il vit avec sa famille dans une luxueuse villa avec piscine) risque de s’écrouler mais il n’en laisse rien paraître et cache à sa femme sa situation tout en se mettant entre les mains d’une chasseuse de tête. Apprenant qu’il est sur une liste noire et qu’il a été licencié parce que trop payé, il finit par craquer au cours d’un stage de formation.
Quand il avoue enfin à sa femme son licenciement et ce qu’il croit en être la cause : la liquidation d’un passager clandestin, elle lui demande d’aller « dormir en bas ». Tenté par le suicide, il en est empêché par sa plus jeune fille, à qui il avait promis de l’emmener à son travail. Il va lui faire faire la visite guidée de cette mondialisation qui permet aux Occidentaux d’avoir à leur disposition tout ce dont ils ont besoin et envie, depuis les surgelés du supermarché jusqu’aux rangées interminables de containers sur le port. À la suite de quoi, il accepte moyennant une somme rondelette de mettre ses compétences au service d’un trafic maritime illégal pour contourner le blocus de la Syrie. La vie continue…
L’ambivalence du film vient en partie de la performance d’Olivier Gourmet : son personnage apparaît davantage comme une victime que comme un instrument de ce capitalisme mondialisé et le film finit par minimiser son crime. Mais c’est aussi que le scénario le ménage : Olivier Gourmet dit dans un entretien [2] qu’il a émis des réserves sur la séquence où il raconte à la tablée de ses enfants un incident qui l’a traumatisé dans la pauvre ferme de son enfance, pour conclure : « vous, vous avez bien de la chance » ; et en effet, cette séquence met mal à l’aise parce qu’elle fonctionne comme un plaidoyer pro domo un peu trop voyant vis-à-vis du public qui n’ignore rien du crime qu’il vient de commettre ; et si ces rapports avec ses enfants adolescents sont réduits à une cohabitation facilitée par le fait qu’il pourvoit à tous leurs besoins, sa relation avec son épouse est quasiment muette, sans que le film pose de regard critique sur son aliénation.
L’épouse est toujours là, disponible et bienveillante, et son (petit) mouvement de réprobation ne dure pas, après l’aveu de son crime… Dans la dernière séquence, elle lui manifeste à nouveau son affection et tout semble rentré dans l’ordre. Le traitement de cette figure féminine est un peu trop désinvolte pour être crédible. En revanche, la relation privilégiée du père avec sa plus jeune fille fonctionne comme un moyen de le réinstaurer dans l’humanité qu’il avait désertée. Il accepte finalement un travail illégal pour continuer à « nourrir » sa famille, ce qui le fait apparaître comme un « martyr » de cette mondialisation capitaliste sans limites et sans scrupules. Mais c’est au prix d’une certaine complaisance vis-à-vis des « souffrances » de la masculinité hégémonique.