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Eve Deboise

Petite leçon d’amour


Par Geneviève Sellier / mardi 31 mai 2022

Une comédie sentimentale qui ignore #MeToo


Julie (Laetitia Dosch) était « mannequin-buste » pour des publicités de lingerie fine mais elle a perdu son job après s’être engueulée avec un photographe un peu trop voyeur. Elle s’est reconvertie dans le « dog-sitting » pour de riches bourgeois partis en vacances. Elle trouve dans un café des copies oubliées par Mathieu (Pierre Deladonchamps), prof de maths que sa femme a mis dehors après qu’il a couché un soir de cuite avec une collègue. Le café se trouve juste en face du lycée où Mathieu enseigne et où Julie va l’attendre, parce qu’une des copies qu’elle a lue, est une lettre d’amour désespérée d’une certaine Océane à son prof de maths, où elle menace de se suicider. Julie n’écoutant que son cœur, « persuade » Mathieu de retrouver l’élève avant qu’elle ne fasse une bêtise. Contraint et forcé par la généreuse énergie de Julie, Mathieu se fait embarquer dans une course folle, d’abord dans sa vieille voiture, puis avec les moyens de transport les plus improbables… pour une série de rencontres et d’aventures qui au petit matin auront changer leur vie.
Sur ce canevas aussi ancien que la comédie hollywoodienne dont elle s’inspire (New York Miami est sa référence), Eve Deboise, dont c’est le deuxième film, embarque les spectateurs dans une virée poétique et burlesque habitée par la fantaisie débridée de Julie qui viendra à bout de la rigidité verrouillée de Mathieu (c’est un prof de maths impitoyable qui se fait copieusement chahuter).

Le film fait en effet la part belle au personnage féminin, construit sur une opposition pleine d’humour entre son allure aux antipodes du glamour et ce qu’elle révèle peu à peu littéralement d’un « corps de rêve » (on la voit dans un arrêt de bus à côté de la publicité pour lingerie fine où son corps sans tête sert de support). Bien que réduite à la précarité (elle dort dans les maisons des gens dont elle garde le chien), elle semble n’avoir peur de rien, sinon des malheurs qui peuvent arriver aux autres…

Mais la volonté délibérée de la réalisatrice qui est aussi scénariste de son film – elle a fait la section scénario à la Femis et a collaboré avec Rithy Panh, Maria de Medeiros, Christophe Blanc, Jean-Claude Carrière, Tonie Marshall – de rester dans le ton d’une comédie légère, quel que soit le thème abordé, a des effets quelquefois embarrassants. Le film s’ouvre dans une pharmacie où Julie tente d’acheter un test de grossesse, face à une pharmacienne peu soucieuse de discrétion… Cette éventuelle grossesse devient une sorte de fil rouge autour duquel elle se raconte à Mathieu, sur un mode plus ou moins fantasmé, autant qu’on puisse en juger.

Ce qui m’a gêné, c’est d’abord le récit qu’elle fait de la « relation » sexuelle qu’elle pense être à l’origine de son éventuelle grossesse : allant chercher son manteau pour quitter une soirée passablement arrosée, elle dit avoir senti dans l’obscurité les mains d’un homme la caressant puis une pénétration qui lui a provoqué une jouissance extraordinaire… Si on traduit ça dans un registre #MeToo, on a typiquement une scène de viol avec la circonstance aggravante de l’état d’ébriété avancée de la victime. Ce genre de récit fait davantage penser à une séquence de porno qu’à une expérience sexuelle agréable.

Par ailleurs, la façon dont elle parle de cette grossesse ne serait pas déplacée dans de la propagande anti-avortement : elle dit à Mathieu d’un air attendri « sentir déjà le bébé dans son ventre » (alors qu’elle a trois semaines de retard), et ne paraît jamais se soucier du rapport entre cette envie d’enfant et l’état d’extrême précarité dans laquelle elle vit… L’envie d’enfant n’est jamais interrogée, comme si c’était naturel pour une femme…

Faut-il vraiment que la comédie prenne à rebours les questions les plus brûlantes du moment ?


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