Plusieurs films ont récemment évoqué le calvaire de femmes victimes de violences. Ils permettent de susciter de l’empathie pour ces femmes et de mieux comprendre le mécanisme de l’emprise. Ils se terminent souvent par le dépôt d’une plainte ou par l’arrivée de la police qui sauve la femme et ses enfants. Le point de vue de Mabrouk el Mechri est très différent : il choisit de montrer une femme qui apprend à se battre, au sens physique du terme, contre son mari violent, et en fait une véritable héroïne.
L’histoire suit le couple formé par Zohra (Sabrina Ouazani) et Omar (Ramzy Bedia) sur une dizaine d’années. Ils se sont rencontrés au Maghreb et elle l’a suivi dans une cité de la banlieue, où elle s’est très bien intégrée. Elle devient caissière et se lie d’amitié avec la chauffeuse d’un bus. Las, Omar devient violent à la suite de déboires professionnels, alors même qu’il reste un père très tendre, et elle arrive de plus en plus souvent devant son amie avec des lunettes à verres fumés pour cacher ses bleus. Elle ne veut pas le quitter car elle pense que leur fille a besoin de lui. Elle va donc chercher à apprendre à se défendre, d’abord en suivant des tutoriels de kung-fu, genre cinématographique qu’elle a toujours aimé, puis avec l’aide du gardien asiatique d’une salle de sport où elle fait des ménages. Celui-ci insiste sur le fait qu’il faut apprendre à se battre dans un espace donné, dans ce cas celui de la cuisine ou du salon de Zohra. C’est l’occasion de voir quelques scènes de combat, très bien chorégraphiées par Kefi Abrikh, où Zohra perd d’abord puis gagne sa liberté. Entre temps, sa copine chauffeuse de bus a porté plainte pour elle contre son mari et lui a fait rencontrer une association qui l’aide pour divorcer et pour trouver un appartement. Zohra se séparera donc de son mari qui continuera à voir sa fille.
Cette histoire est l’occasion de montrer tous les pièges où un mari violent tente d’enfermer son épouse, en s’appropriant ses papiers ou en menaçant d’envoyer leur fille dans son pays. On voit que le réalisateur connait bien la littérature sociologique sur le sujet : une voix off évoque ainsi de façon nuancée le risque accru de violences conjugales pendant les matchs de foot. Il montre leurs conséquences, Zohra perdant sa belle humeur et ayant des difficultés au travail car une caissière ne peut pas avoir de bleus. Il évoque également les difficultés réelles que rencontrent les femmes pour sortir de l’emprise, loin du discours lénifiant selon lequel il suffit de porter plainte et tout s’arrangera. On sait au contraire que les plaintes donnent rarement lieu à des poursuites judiciaires et encore moins à des condamnations. « Chaque année plus de 125 000 femmes victimes de violences conjugales parviennent à se déclarer auprès des forces de sécurité intérieure. En 2019 seuls 52.000 agresseurs conjugaux font l’objet d’une réponse pénale et seulement 33.000 font l’objet de poursuites judiciaires. » Le Haut Conseil à l’Egalité n’a pas pu avoir le chiffre des condamnations pour 2019 « mais en 2018 seuls 18.600 agresseurs conjugaux avaient été condamnés ».
L’objectif du réalisateur était de rendre hommage à sa mère, faire un film qui pourrait être vu par sa fille de huit ans, lui donner un modèle positif, et servir d’outil de prévention. C’est dans cette optique qu’il a choisi d’emprunter les codes des films de kung-fu des années 1970. « Avec des bruits de kung-fu, on regarde l’image. Si je mets des bruits réalistes de coups d’un homme sur une femme, on détourne le regard. L’idée était de neutraliser la violence pour continuer à soutenir le regard et à suivre les personnages jusqu’au bout." [1] Cet objectif est brillamment réalisé par un auteur nourri de cinéphilie et qui a manifestement beaucoup réfléchi aux enjeux tant cinématographiques que politiques de ce film.
Néanmoins ce film, qui est sorti dans 225 salles le 9 mars 2022, termine son parcours trois semaines plus tard avec seulement 43.169 entrées. Compte tenu de son budget relativement élevé de près de 6,2 millions d’euros, il s’agit d’un échec cuisant pour son producteur Gaumont.
Pourquoi cet échec commercial ? Il reçoit sur Allociné une note moyenne de 2,9 (sur 5) pour 14 critiques de presse, mais la presse « cultivée » (Le Monde, L’Obs, Libération) est absente, sauf Télérama qui lui attribue la note la plus basse. Mépris habituel de la cinéphilie dominante pour ce qui est perçu comme un film d’action.
Le film clive aussi les 109 critiques spectateurs d’Allociné, dont 42 le trouvent bon (dont 27 très bon) alors que 51 le trouvent mauvais (dont 37 très mauvais), seuls 7 le trouvant moyen. On sait que les spectateurs qui écrivent sur Allociné sont majoritairement masculins et amateurs des genres d’action [2]. Ces spectateurs sont sans doute venus voir un film de kung-fu et ont été déçus, voire furieux, car il y en avait trop peu. Ils n’ont pas apprécié le mélange des genres, kung fu et drame social. Le propos féministe est généralement aux antipodes des intérêts des amateurs de films d’action [3]. D’autres spectateurs ont jugé le film raciste, parce qu’il traite des violences conjugales dans un milieu maghrébin, sans noter qu’il donne un rôle magnifique à une actrice d’origine magrébine et qu’il décrit ses personnages avec finesse et sensibilité, sans stéréotypes. Les avis divergent aussi du tout au tout sur le jeu des acteurs, le scénario, la mise en scène, la chorégraphie des combats (fabuleux/nul). Bref, la réception du film a pâti de son hybridité, tant thématique que formelle, mais peut-être aussi de son message appelant à l’autodéfense féministe.