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Sebastián Lelio / 2019

Gloria Bell


>> Lise Roure / mercredi 8 mai 2019

« un portait vibrant d’une femme en quête du bonheur » ou presque…


« La cinquantaine frémissante, Gloria est une femme farouchement indépendante. Tout en étant seule, elle s’étourdit, la nuit, dans les dancings pour célibataires de Los Angeles, en quête de rencontres de passage. Jusqu’au jour où elle croise la route d’Arnold. S’abandonnant totalement à une folle passion, elle alterne entre espoir et détresse. Mais elle se découvre alors une force insoupçonnée, comprenant qu’elle peut désormais s’épanouir comme jamais auparavant… » (Résumé du distributeur français @Marsfilms).
 
« Un portait vibrant d’une femme en quête du bonheur ». C’est ce que l’affiche promet (vend) de surcroit par un réalisateur dédié aux « états féminins extrêmes, électrons libres et turbulents en butte à des systèmes de valeurs traditionnels » (Les Inrocks). Il y a donc là de quoi être rassurée : voilà un portrait de femme mené par un réalisateur « légitime », qui s’intéresse aux femmes.

Comment ne pas comprendre que Julianne Moore ait été « incroyablement émue » en découvrant il y a six ans le film chilien Gloria du réalisateur Sebastian Lelio, dont Gloria Bell est le remake, interprété et produit par Julianne Moore. La version initiale, intitulée simplement Gloria, est interprétée par une actrice inconnue et se passe au Chili.

C’est à la suite de cette découverte que l’actrice cherche à rencontrer le réalisateur et qu’ils conviennent ensemble d’en faire un remake. Il faudra deux ans au réalisateur pour réécrire une version anglaise transposée à Los Angeles ; entretemps il a tourné deux autres films. On se demande un peu pourquoi cela lui a pris tant de temps, en constatant que le découpage est strictement identique, jusqu’à la coiffure et les lunettes de la comédienne principale et l’absence de contextualisation (Chili, Los Angeles = même combat ??).

Comme Julianne Moore, mon attente est grande de découvrir au petit comme au grand écran des personnages féminins, de tous âges, de toutes conditions – et de toutes couleurs. On compte en effet sur les doigts d’une main les films de cinéma évoquant les réjouissances de l’équilibre si précaire de la vie des femmes. Équilibre précaire, rarement exposé, exploré, chèrement gagné, lorsqu’il est gagné.

Pourtant Gloria Bell laisse un petit gout amer.

Rares en effet sont les films américains ou européens qui se focalisent sur des personnages de femmes quinqua, sexagénaires ou plus. « Les personnages féminins ne vieillissent pas… Ils disparaissent des écrans ! », comme le dénoncent les actrices elles-mêmes : on se souvient de leur coup de gueule à Cannes en 2018, évoquant le « tunnel des 50 » pour ne réapparaitre qu’à 65 dans des rôles de grands-mères [1]. On ne peut oublier non plus cet autre coup de gueule salutaire, ce cri de révolte « Noire n’est pas mon métier », manifeste de seize actrices racisées, âgées entre 21 et 70 ans, qui pointe la double absence de leurs visages à l’écran (petit comme grand), les discriminations et les stéréotypes dont elles sont victimes [2].

« Rendre visibles les femmes – toutes les femmes, donc – de plus de 50 ans dans les fictions est un enjeu de société ». Oui mais comment et par qui ? Par qui, oui. Car on ne peut laisser de côté la question de l’appropriation par les hommes du récit des joies et des souffrances de la vie des femmes, comme l’appropriation faite par les Blanc.he.s des récits des souffrances des Noir.e.s etc. L’exigence doit donc être particulièrement grande à l’égard de ce type de production quand on sait qu’une femme cinéaste proposant le même type de récit n’obtiendra ni les mêmes budgets, ni les mêmes conditions de travail et sera en prime taxée de vouloir faire un film militant et/ou communautaire.

Une prise de risque… bien contrôlée

Gloria Bell est un produit du cinéma indépendant américain, il y a bien-sûr une prise de risque au regard de la production hollywoodienne. Anecdote assez révélatrice, le réalisateur raconte avoir bravé les critiques de ses propres amis : « Qu’y a-t-il de pop chez une femme qui sort tous les soirs, qui boit, qui danse et fait la fête ? Il n’y a rien d’attirant là-dedans » lui rétorquent-ils lorsqu’il parle de son projet. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des ami·e.s féministes… Mais rendons à César ce qui est à Cléopâtre, Gloria Bell n’a aucun des symptômes du film commercial : ce n’est pas une comédie romantique à deux sous, sans être pour autant esthétisant, il n’y a pas de fin heureuse, l’actrice principale est montrée « sans fard » malgré son âge canonique, elle ne s’est pas fait refaire, l’action se situe dans un milieu social moyen qui ne fait ni étalage ni éloge de l’american way of life. Bref. Mais n’en attendions-nous pas moins de ce type de production ?

« Julianne Moore prouve qu’il n’y a pas d’âge pour être sexy » (20 Minutes).
 
« Portrait essoré d’une cinquantenaire fêtarde en mal d’amour. » (Les Inrocks).
 
« On a le sentiment de la voir à nu comme jamais, laissant la caméra la détailler, la regarder rire, chanter, danser, aimer et vieillir sans filtre » (Première).
 
« Rayonnante, fantastique » (Le Monde).

Si le film reçoit en France des critiques assez mitigées – manque de saveur par rapport à la version initiale, remake sans surprises, trop facile et limité –, la performance de l’actrice Julianne Moore est unanimement saluée – cadeau sur mesure, documentaire sur son jeu d’actrice, un de ses plus beaux rôles, etc.

Pourtant, le propos du film se réduit comme peau de chagrin. Une actrice de 58 ans « ose » briser le tabou et se montrer avec ses rides, ses imperfections, tout en restant « belle et sexy »… Car, avec la quête de l’amour, la séduction est bien entendu au centre de la vie de toute femme, qu’elle ait dépassé ou non une date fatidique de péremption. Et les chansons choisies dans le film le disent bien : Alone Again (Naturally), No More Lonely Nights, A Little More Love, All Out of Love etc. Toutes ramènent le personnage à la question sentimentale, quête centrale bien connue de la vie des femmes. Non pas celle de trouver sa place dans la société, ni celle de sa survie financière, de sa conscience d’être au monde sur le plan social et politique, ou encore moins du temps qu’il faut pour se connaître, découvrir ce qui nourrit, ce qui rend forte, libre et « invaincue », ni des ressources que les femmes doivent trouver pour les chemins qu’elles empruntent pour la première fois sans avoir eu aucun modèle inspirant. Ces questionnements-là, profonds, décisifs, largement inédits dans les représentations artistiques et culturelles dominantes, ne sont-ils pas totalement étrangers au réalisateur ?

Certes, dans un monde où l’un des plus grands festivals de cinéma (Cannes) est financé par L’Oréal et où les films et invitées sont choisi.e.s pour le glamour et la vitrine potentielle d’une marque de cosmétique, montrer une femme vieillissante « sans filtre » est un risque louable – à moins qu’il ne serve à vendre une crème pour les rides... À croire qu’il faille s’excuser de pas être sexy au-delà de 50 ans et se cacher, à moins de figurer dans un film de zombies. Mais n’est-ce pas tout ce qu’il y a à attendre de Gloria Bell ?

Des ingrédients qui font FLOP

Une coquille vide, fade et ambiguë, malgré quelques accessoires décoratifs prometteurs…

Grande joie de retrouver Barbara Sukowa, en actrice « de soutien » (« supporting actress » qui prend tout son sens ici). Barbara Sukowa a incarné Hannah Arendt dans le film de Margaret Von Trotta et a eu une longue collaboration avec la grande cinéaste autour de personnages féminins « radicaux » et complexes [3].

Malheureusement, la joie est éphémère : le scénario n’ira pas plus loin qu’une rapide scène abordant les faibles retraites des femmes et une autre montrant le licenciement de l’amie interprétée par Barbara Sukowa. Pas de luttes collectives ou individuelles, pas de prise de position ou de discours idéologique, pas de prise de conscience, ni de mouvement quelconque – fuite, colère, interrogation – de la part de Gloria Bell. Le travail n’a visiblement pas d’enjeu dans sa vie. Le réalisateur privilégie encore une fois la légèreté de son propos. Dommage. Encore une occasion manquée.

Le film ne tombe certes pas non plus dans le cliché d’une solidarité féminine indéfectible et réputée légendaire. Pourtant, le réalisateur fait le choix d’infantiliser la protagoniste en lui faisant appeler sa mère lorsqu’elle se retrouve en situation difficile, qui va jusqu’à lui faire enfiler son pyjama. Choix incohérent par rapport à l’autonomie proclamée du personnage. D’un côté on nous montre une femme seule, qui semble heureuse de l’être, ouverte aux rencontres, de l’autre on nous rappelle quand même qu’elle est un boulet : son fils ne la supporte pas, comme il ne supporte pas non plus le désir d’éloignement de sa femme qui vient d’accoucher ; sa fille qui donne des cours de yoga est également montrée comme très indépendante, ayant une certaine distance avec sa mère mais elle part rejoindre son compagnon en Suède en pleurant à chaudes larmes dans les bras de sa mère. L’homme avec qui Gloria Bell a une histoire est dépendant affectivement et souffre d’injonctions contradictoires, ce qui pourrait être intéressant de développer. Malheureusement ses décisions sont incohérentes et sa femme et ses filles montrées comme des furies… Encore une fois, le réalisateur sait-il, au fond, de quoi il parle quand il traite des femmes – et hommes - en butte à un système de valeurs traditionnel ?

Une gentille imposture et un bon petit coup de pub en tout cas pour ce réalisateur chilien « montant » - oscarisé pour son précédent film, Une femme fantastique -, assuré d’avoir davantage « ferré » le halo de lumière que lui offre le monde du cinéma américain …

Espérons que lorsque Julianne Moore incarnera la formidable et inspirante féministe Gloria Steinem à l’écran [4], les moyens seront donnés à la scénariste Sarah Ruhl et à la réalisatrice Julie Taymor de prendre les risques et le parti de la vérité de la vie des femmes.


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