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Pedro Almodovar / 2019

Douleur et gloire


>> Geneviève sellier / jeudi 18 juillet 2019

Douleur et gloire : pourquoi je l’ai trouvé terriblement ennuyeux…



Tout d’abord un aveu : j’ai essayé de trouver, parmi toutes les personnes qui accompagnent mes efforts pour faire vivre ce site, quelqu’un.e qui accepterait de faire une critique féministe du film, c’est-à-dire, par exemple analyser la construction des masculinités en terme de genre, de classe, de race et d’orientation sexuelle, en éclairant le contexte socioculturel espagnol… Mais je suis tombée sur un os : tous/tes ceux et celles que j’ai sollicité.es, soit ont adoré le film et se sont senti.es incapables de la moindre distance critique, soit l’ont trouvé trop ennuyeux pour écrire dessus, soit sont submergé.es de travail… Donc je me dévoue, contrainte et forcée…

Je vais donc essayer d’expliquer pourquoi je me suis terriblement ennuyée… J’ai eu l’impression d’être en face d’un vieux monsieur hypocondriaque et narcissique, entretenant complaisamment sa dépression dans un luxueux appartement encombré d’œuvres d’art, reconstruisant son enfance en paradis archaïque (les lavandières au bord de la rivière ; la maison troglodyte) habité par une mère-madone ayant les traits sublimes de Penelope Cruz.

Je dois avouer que j’ai beaucoup de mal à m’attendrir sur ce genre de névrose masculine (l’attachement régressif à la mère idéalisée).

L’autre fil conducteur du film, ce sont les tentatives de réconciliation du protagoniste, figure « d’auteur » au sens cinéphile du terme, avec deux hommes qui ont compté dans sa vie : un acteur qui a incarné le protagoniste du film qui a fait sa renommée et avec lequel il s’est brouillé après l’avoir maltraité pendant le tournage, et un homme dont il a été éperdument amoureux et avec qui il a rompu pour ne pas sombrer avec lui dans la drogue. Il les revoit tous les deux, après trente ou quarante ans de séparation, et se réconcilient difficilement avec le premier, facilement avec le second. Pourquoi j’ai eu du mal à m’intéresser à ces personnages et à leurs relations ? Sans doute parce qu’ils n’ont de consistance que dans un passé auquel le film ne nous donne pas accès.

Certes, la question du vieillissement ne m’est pas étrangère et pour cause… je viens de franchir le cap redouté des 70 ans (je suis née en 1949 comme Almodovar), mais cette construction d’un homme seul (mais très entouré) condamné à l’impuissance par la maladie, au lieu de provoquer mon empathie, me semble le masque derrière lequel se cache (très efficacement si j’en juge par le consensus critique) un cinéaste qui n’a plus grand-chose à dire mais qui a accès, grâce à sa célébrité, à tous les moyens pour le dire (contrairement au protagoniste de son film, réduit à l’impuissance par la maladie). Et ce qui passe à la trappe dans cette auto-déploration sur le vieillissement, ce sont les dimensions de genre, de classe et de race. Contrairement à la plupart des femmes du même âge, Almodovar, en tant que vieil homme blanc, jouit d’une faveur inentamée et des moyens de continuer à faire des films… Et le fait qu’il est devenu un artiste riche et célèbre (comme en témoigne son appartement-musée) est également éludé par l’évocation d’une enfance si pauvre qu’il a dû littéralement vivre sous terre. Enfin, tout le film semble reposer sur l’évidence non démontrée que nous avons affaire à un « grand homme » qui ne peut susciter que déférence, amour et compassion puisqu’il souffre…

J’ai eu l’impression gênante de voir Almodovar se dresser une statue en génie douloureusement enfermé dans sa condition de mortel, alors qu’il aspire à l’immortalité…


>> générique

Polémiquons.

  • Même sentiment d’un sentiment de "rentier", réalisateur mâle et vieillissant étalant sa nostalgie de son époque de créativité, en captant sans peine les moyens de production et de diffusion qui seraient impitoyablement refusés à une réalisatrice ou des débutant ( e ) s qui chercheraient de l’aide pour un scénario indigent et un projet de filmer des rues et des lotissements mille fois dans des dizaines de films, avec "Once upon a time in Hollywood" de Tarentino.

  • Le rôle des femmes est également problématique dans le film, ce sont toutes des adjuvantes, dans le care, elles n’ont pas de vie propre, leur seul souci est de soigner et de choyer l’artiste/fils.

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