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Antoine Desrosières / 2018

À genoux les gars


>> Leïla Alaouf / mercredi 12 décembre 2018


La sexualité de l’autre ou l’éternelle obsession coloniale

À genoux les gars, c’est le récent long-métrage d’Antoine Desrosières, sorti en salle cet été. On avait espéré que le réalisateur se ravise après Haramiste, son premier moyen-métrage qui n’a pas rallié grand monde à sa cause. C’est raté ! Les personnages et les obsessions du réalisateur sont les mêmes : femmes arabes, sexualité, représentations racistes et homophobes. Le film pourrait être un outil de travail à lui tout seul tant il condense la totalité des imaginaires racistes et misogynes.

En 2016, j’avais eu l’occasion de me confronter au réalisateur lors d’une table ronde organisée par l’Institut du Monde Arabe. Son film Haramiste a donc déjà fait l’objet d’une critique de ma part. Armée de ses deux actrices, Inès Chanti et Souad Arsane, comme seuls alibis à son racisme, le réalisateur se cachait derrière le prétexte d’un scénario « co-écrit » avec deux actrices maghrébines, donc nécessairement crédible et légitime. Ce moyen-métrage mettait en scène deux adolescentes de banlieue, sexuellement frustrées et opprimées par le poids de la religion et des traditions familiales. La fin du film montrait Rim, une des deux adolescentes, retirer son voile et s’émanciper sexuellement grâce à un homme blanc trentenaire, rencontré sur internet.

Arabes de banlieue : le violeur arabe et la beurette insoumise

Dans À genoux les gars, ils sont quatre personnages principaux : les deux sœurs, Rim et Yasmina, et leurs petits-copains respectifs, Majid et Salim. Si les personnages des deux sœurs sont recyclés de Haramiste, on peut dire sans trop se risquer que leurs traits et leur profil atteignent le point Godwin de la caricature. Le film démarre autour d’un viol. Yasmina se retrouve seule avec les deux hommes et finit par accepter de faire une fellation au petit-copain de sa sœur sur leur insistance. Les deux hommes sont amis et présentent le geste comme un acte de solidarité et de fraternité : « Ma meuf, c’est la tienne ! » La scène est d’une légèreté déconcertante et alors qu’on aurait pu applaudir le fait que des femmes arabes sont enfin présentées au cinéma en couple avec des hommes arabes, on déchante rapidement. Si des hommes maghrébins sont introduits dans un cadre amoureux, ce n’est que pour mieux perpétuer le cliché raciste. Et qui dit hommes maghrébins, dit tournante. Car c’est bien de ça dont il est question. C’est cette capacité extraordinaire à inventer un terme stigmatisant pour une situation qui avait pourtant déjà une appellation (le viol collectif). Le mot n’est pas dit, mais la scène est parfaitement dressée : une banlieue, un sombre garage, une femme maghrébine, deux hommes maghrébins… Ça tourne. Non seulement Majid et Salim sont incapables de conceptualiser la fidélité et le consentement, mais en plus, ils se passent leurs copines comme on se passerait une cigarette. Un troisième homme arabe intervient dans le scénario : il s’agit du père des deux jeunes femmes. Mais il n’est qu’une énième illustration grossière de stéréotypes racistes : Yasmina a peur de recevoir « deux gifles » qui la mettraient « dans le coma ».

Heureusement, Rim l’affirme haut et fort tout le long du film : elle est féministe ! D’ailleurs, elle se rendra bientôt compte qu’être féministe et en couple avec un Arabe, c’est un oxymore. Dans cette scène où toute la famille est rassemblée dans le salon, on apprend que le seul intérêt d’une mère arabe, c’est son « couscous » tandis que celui de la tante, c’est le sexe ! Si l’une porte un voile et a un accent, l’autre a la posture parodique d’une femme libérée. Et qui mieux que l’actrice marocaine Loubna Abidar pour endosser ce rôle si subtil ? Dans la palette de nuances infiniment riches qu’offre le film de Desrosières, je demande la soumise… et la « beurette » [1] ! Nacira Guénif, sociologue et enseignante à l’université Paris 8, dans son essai sociologique « Des Beurettes », pointe du doigt le simplisme des analyses, toujours faites sous le prisme d’une dualité inévitable entre les femmes arabes et leurs frères, mais aussi entre les femmes soumises et libérées. Vers la fin des années 80, la « beurette » devient celle qui « s’émancipe des traditions » pour embrasser une vie sexuelle « débridée » (toujours selon les normes du groupe dominant). La « beurette » et la soumise sont les deux versants de l’imaginaire binaire qui gravite autour des femmes arabes. « Voilée ou violée » comme le ressasse Hinda Ayari [2]. En l’occurrence, violée !

L’hyper-virilité chez les hommes arabes et noirs

Et pour un film qui désire défier les tabous de la cité, quoi de plus subversif que l’homosexualité ? D’ailleurs, en chaque homme arabe sommeille, c’est bien connu, un homosexuel. On découvre alors que l’homosexualité peut être découverte au hasard d’une relation sexuelle non-consentie. En effet, pour se venger du viol subi par Yasmina, elle et sa sœur décident de forcer leurs amants à reproduire sur eux l’acte non consenti. Salim est contraint de faire une fellation à Majid. Mais les relations non-consenties n’ont pas que du mauvais pour ce film « féministe » à outrance, car c’est ainsi que ces hommes découvrent qu’ils s’aiment. Un revirement bien éloigné de l’affirmation, très amusante, de Salim : « PD, c’est plus grave que violeur ! » En fin de compte et comme très souvent, Desrosières fait exprimer à ses personnages sa propre vision extrêmement caricaturale des relations homosexuelles. À la fin du film, on retrouve Salim et Majid, tendrement collés l’un à l’autre, sorte de punition pour avoir violé Yasmina. Parce que c’est précisément ça : l’homosexualité est tour à tour, insulte puis punition. Desrosières ne fait que mettre en lumière sa propre vision méprisante et simpliste de l’homosexualité. Il faut toujours se méfier des défenseurs autoproclamés de la tolérance. Si l’homosexualité s’abat sur les auteurs du viol comme une sentence, c’est bien qu’elle est perçue par le réalisateur comme humiliante.

Pour comprendre ce rapport supposé de l’homme arabe à la virilité et à l’homosexualité qui sont deux obsessions françaises très anciennes, l’historien Todd Shepard revient à la source de ce fétichisme : la guerre d’indépendance algérienne vécue comme une « humiliation sexuelle » [3] par les Français. L’homme algérien est alors dépeint comme « hyper viril » et quoi de plus rabaissant pour l’imaginaire phallocentrique dominant que la sodomie dont il serait secrètement l’adepte ? Par la suite, la révolution iranienne va renforcer en Occident la focalisation sur la femme musulmane et l’homosexuel. Il et elle deviennent les deux composantes d’un groupe à affranchir à tout prix. On voit à quel point la ligne du film coche toutes les cases des représentations racistes et misogynes et ce, de façon particulièrement intrigante tant elle est flagrante.

Antoine Desrosières ne nous prive pas non plus de son imaginaire négrophobe. Il fallait bien un personnage noir pour achever ce jackpot des stigmatisations. Une tâche accomplie haut la main ! Boubou, c’est son nom. Il aura fallu chercher très loin et très longuement pour trouver un nom à cet homme noir. Ou plutôt un surnom. Car c’est le seul personnage qui n’a pas droit à un prénom. Ce sera Boubou. Tout court.

Yasmina en fugue rencontre donc Boubou dans la rue et accepte de passer la nuit dans sa chambre d’hôtel, en ne lui promettant aucune contrepartie sexuelle. Pourtant, Boubou se déshabille et dévoile un sexe surdimensionné. Évidemment, toujours dans l’hyper-virilité, son corps est hors-norme et il est le parfait portrait de lui-même. Et comme Antoine Desrosières a une vision bien à lui du plaisir sexuel, il récidive en présentant le viol comme stimulateur de plaisir. Alors que Yasmine se débat et répète « non » sous le poids du corps de Boubou, elle se met soudainement à jouir et à prendre plaisir. Heureusement qu’il a forcé le passage, elle serait passée à côté de cette expérience extatique… Et c’est sur ce retournement de situation que se termine le film : Yasmina jouit de ses ébats avec Boubou, avec en arrière-plan, la version française de la chanson « You don’t own me », interprétée par Michèle Richard : « Je suis libre ».

Non content d’être un plaidoyer raciste, À genoux les gars se fait l’hymne universel de la culture du viol. Belle performance !


>> générique


Polémiquons.

  • Desrosières a continué de sévir. Histoire d’utiliser ses rushs, il en a fait une web-série de trente épisodes, avec le soutien du CNC ! Série qui a obtenu le prix de la SACD ! Renversant.

  • Pour en dire un peu plus. Pas vu le film, mais merci à Leïla Alaouf pour son article.
    Quant à la web-série, histoire d’en avoir une idée précise, j’ai regardé quelques épisodes - la première image de chaque épisode affichant "CNC / Talent". En me demandant si je n’étais pas dans une série de "fake news".

    "Le chien de Jean-Marie Le Pen bouffe la chatte de sa fille Marine Le Pen." - "J’ai pas envie de te sucer dans l’escalier" - "Qui a un mec a un grec." - "Même les animaux ils sont gay maintenant" - "Genre en mode j’pourrais lui dire ’salut Ronflex’" - "Steuplé bé, steuplé bébé, non non ya rien qui rentre à l’intérieur" - "Jure la vie d’ta mère..." - "le ramadan c’est comme un p’tit voyage" - "S’il veut s’soulager l’a qu’à se branler".

    Il y a les frères et les meufs, putain d’ta mère. Un petit monde étriqué... où tout le monde s’appelle "frère", syntagme automatique preuve d’un déficit de langage ?
    Le désastre raciste, d’une insondable crétinerie, est bien là. Mais c’est surtout l’apologie d’une idéologie, sous couvert "d’humour", qui dit aux petits Français de souche : ah ouais, ils sont comme ça, on se marre ! Et le vrai désastre, c’est moins l’approbation d’un CNC ou d’une SACD - culpabilité d’anciens colonisateurs ? goût de l’élite pour la canaille des "quartiers" ? - que le succès de cette série sur internet, le plébiscite de beaucoup de jeunes personnes "instruites" par cette narration dont on ne sait s’il s’agit d’un récit creux ou d’un trop-plein calculé.

    Du second, du n-ième degré ? Non, degré zéro, avec d’inimaginables dialogues - qui ont été imaginés, avec d’atterrants clichés, avec une qualité de réalisation digne des pires sitcoms...

    Un sommet dans la "faux-culterie" qui s’estime sans doute pourvue d’intelligence : https://www.youtube.com/watch?v=IDrK0vaMJHQ. Dire non, dire oui... Le consentement, il en a des idées sur la question, ce toquard - excusez-moi, je viens d’être contaminée par le beau parler du jeune homme, qui semble-t-il a mis un certain temps à comprendre son propre film, moi qui pensais qu’on pensait un film avant de le tourner.

    CNC, SACD : c’est qui, ça ?

    Je vous inflige cette liste juste pour que la recherche sur les moteurs (de recherche) renvoie ici et que ces belles personnes en soient contrites.

    CNC, commission d’agrément :
    En qualité de président
    Antoine Rein
    En qualité de représentants des entreprises de production
    Ardavan Safaee, membre titulaire
    Sylvie Pialat, membre suppléant
    Georges Bermann, membre titulaire
    Isabelle Madelaine, membre suppléant
    Manuel Munz, membre titulaire
    Catherine Morisse-Monceau, membre suppléant
    Kristina Larsen, membre titulaire
    Jean Cottin, membre suppléant
    Caroline Bonmarchand, membre titulaire
    Florence Borelly, membre suppléant
    Giles Sacuto, membre titulaire
    Bertrand Gore, membre suppléant
    Grégoire Sorlat, membre titulaire
    Edouard Mauriat, membre suppléant
    En qualité de représentants des entreprises de distribution
    Victor Hadida, membre titulaire
    Michèle Halberstadt, membre suppléant
    Mme Régine Vial, membre titulaire
    Mme Bénédicte Thomas, membre suppléant
    En qualité de représentants des industries techniques
    Jean-Yves Mirski, membre titulaire
    Sophie Denize, membre suppléant
    Stéphane Bedin, membre titulaire
    Sophie Frilley, membre suppléant
    En qualité de représentants des directeurs de production
    Nadine Chaussonnière, membre titulaire
    Jean-Louis Nieuwbourg , membre suppléant
    En qualité de représentants des directeurs de la photographie
    Jean-Claude Marisa, membre titulaire
    Jean-Loup Chirol, membre suppléant
    En qualité de représentants des salariés de la production
    Jean-Pierre Bazerolle, membre titulaire
    Nadine Muse, membre suppléant
    Laurent Blois, membre titulaire
    Eva Feigeles, membre suppléant
    En qualité de représentants des réalisateurs
    Héléna Klotz, membre titulaire
    François Farellacci, membre suppléant
    Mathieu Debusschère, membre titulaire
    Cécile Telerman, membre suppléant
    En qualité de représentants des auteurs
    Sybil Hanhart, membre titulaire
    Pascal Rogard, membre suppléant
    Mme Lucie Duchêne, membre titulaire
    Mme Anne-Louise Trividic, membre suppléant
    En qualité de représentants des artistes-interprètes
    Catherine Chevalier, membre titulaire
    Catherine Almeras, membre suppléant
    Karim Geddi, membre titulaire
    René Fontanarava, membre suppléant
    En qualité de personnalité qualifiée au titre de son activité de réalisation et de production
    Joël Farges, membre titulaire
    Steve Moreau, membre suppléant


    Conseil d’administration de la SACD

    Présidente  : Sophie Deschamps | scénariste télévision
    Première vice-présidente : Brigitte Bladou | théâtre
    Vice-présidents :
    Brigitte Buc | théâtre
    Caroline Huppert | télévision (réalisatrice)
    Laurent Tirard | cinéma
    Alain Stern | télévision (scénariste)
    Catherine Verhelst | musique et danse
    Administrateurs délégués :
    Catherine Cuenca | création interactive - élue pour 3 ans
    Luc Dionne | Président du comité canadien (télévision)
    Jean-Luc Goossens | Président du comité belge (cinéma)
    Frédéric Michelet | arts de la rue
    Jani Nuutinen | cirque - élu pour 3 ans
    Eric Rondeaux | animation
    Catherine Tullat | radio
    Panchika Velez | mise en scène - élue pour 3 ans
    Administrateurs  :
    Nelly Alard | scénariste télévision - élue pour 1 an
    Marion Aubert | théâtre
    Sylvie Bailly | scénariste télévision - élue pour 3 ans
    Jean-Xavier de Lestrade | réalisateur télévision - élu pour 1 an
    Sophie Deschamps | scénariste télévision
    Michèle Dhallu | chorégraphie - élue pour 2 ans
    Valérie Fadini | scénariste télévision - élue pour 2 ans
    Graciane Finzi | musique et danse
    Laurent Heynemann | réalisateur télévision
    Arthur Joffé | cinéma - élu pour 1 an
    Laurence Katrian | réalisatrice télévision - élue pour 3 ans
    Corinne Klomp | théâtre
    Joanne Leighton | chorégraphie - élue pour 3 ans
    Mathilde Maraninchi | animation - élue pour 3 ans
    Marie-Castille Mention-Schaar | cinéma - élue pour 3 ans
    Blandine Pélissier | théâtre
    Dominique Sampiero | cinéma
    Alain Stern | scénariste télévision
    Laurent Tirard | cinéma
    Commission d’action sociale
    Nelly Alard | scénariste télévision
    Sylvie Bailly | scénariste télévision
    Eric Rondeaux | animation
    Catherine Tullat | radio

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[1Voir Nacira Guénif Souilamas, Des « beurettes » aux descendantes d’immigrants nord-africains, Grasset,1999.

[2Henda Ayari : "Pour Ramadan, soit vous êtes voilée, soit vous êtes violée", https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/henda-ayari-pour-ramadan-soit-vous-etes-voilee-soit-vous-etes-violee-1083416.html,

[3Shepard Todd, Mâle Décolonisation. L’« homme arabe » et la France, de l’indépendance algérienne à la révolution iranienne (1962-1979), Payot, 2017