« I don’t know who you think you are, and before the night is through… I wanna do bad things to you » [1]. Il y a onze ans s’élevaient des accords de guitare et une chanson aux airs du sud, tout en country séduisante. Le générique, un mélange de sang, de sexe, de religion et d’enfants mangeant des framboises. Une ambiance sulfureuse qui durera sept saisons pour finalement retomber comme un soufflé. (Spoiler alert)
True Blood, c’était avant tout un pari, celui de sortir de la norme. Nous sommes en 2008 et les vampires, depuis les Angel et Buffy [2] avaient disparu des petits écrans depuis un moment. Le postulat de base de cette série présentait ces créatures non pas comme des êtres maléfiques, mais comme des êtres différents. Obligés de ne se nourrir que de sang. Jusqu’à, en tout cas, l’apparition du « Tru Blood », du sang de synthèse vendu en bouteilles leur permettant de sortir de l’ombre et de se mêler aux humains. L’histoire est racontée du point de vue de Sookie (Anna Paquin), jeune humaine télépathe qui ne contrôle pas ses pouvoirs, travaillant comme serveuse au Merlotte’s dans un coin paumé de Louisiane, Bon Temps. Le fantastique s’invite dans sa vie lors de sa rencontre avec Bill (Stephen Moyer), vampire ténébreux qui lui sauve la vie et qui est imperméable à sa télépathie.
Des vampires pas forcément méchant·e·s. Des fées qui vivent dans un cirque. Des scènes de sexe très crues dès le début, et dans un plaisir tout à fait partagé. On y traite aussi bien de magie que de syndromes post-traumatiques, et le couple peut se définir de plusieurs manières. Une série qui s’annonce donc passionnante, un coup de pied dans la fourmilière des récits formatés… Et qui de saison en saison, devient de plus en plus conservatrice et de moins en moins amusante.
Dès le départ, True Blood peut être vu comme une série gay friendly. Les vampires deviennent une allégorie de la lutte pour les droits civiques des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenre) : les premiers sortent du cercueil, les autres du placard. Le parallèle ne sera jamais aussi juste que lors de l’épidémie d’Hépatite V dans la saison 7, mortelle pour les vampires et transmissible par le sang. Des iconographies de l’association Act Up, engagée dans la lutte contre le SIDA, seront alors aussi visibles sur les murs avec notamment un autocollant : « Silence = True Death » rappelant « Silence = Death », un message né en 1987 lors de l’épidémie du SIDA. Le True Death peut être traduit ici par « mort véritable », la « seconde » mort des vampires qui sont déjà morts une première fois, en passant d’humain à vampire. Une mort véritable, donc une mort de laquelle on ne revient pas. Si les relations hétérosexuelles sont les plus fréquentes, des relations lesbiennes ou gays seront aussi représentées, une véritable avancée dans une série grand public dont ce n’est pas le thème principal (à l’inverse de The L Word, qui tourne autour de personnages lesbiens, ou de Queer as Folk, dont la majorité des personnages sont gays).
True Blood a aussi présenté des modes de vie différents. L’un des personnages les plus importants et dynamiques de la série est Lafayette (Nelsan Ellis). Véritable « folle » un peu sorcière, cuisinier dans le même établissement que Sookie, Lafayette amène de la couleur en Louisiane (y compris parce qu’il est noir). Capable de se défendre, ami fidèle, et cherchant aussi son bonheur dans la petite ville de Bon Temps, c’est un véritable héros qui n’hésite pas à prendre la défense de Sookie ou de tremper dans la magie noire.
Le principal antagoniste de la troisième saison, le vampire Russell Edgington (Denis O’Hare), préfère les garçons, tout comme le révérend Steve Newlin (Michael McMillan), bien que cela ne soit révélé que lors de sa transformation en vampire. Nan Flanagan (Jessica Tuck), porte-parole de la Ligue américaine des vampires, ou la reine Sophie-Anne (Evan Rachel Wood) préfèrent les femmes, tout comme Pam (Kristin Bauer van Straten), vampire co-gérant avec Eric Northman (Alexander Skarsgård) le bar où se rencontrent vampires et humains, le Fangtasia.
Côté bisexualité, bien que le mot ne soit jamais prononcé, il y a Tara (Rutina Wesley), la cousine de Lafayette. Si elle est sortie principalement avec des hommes, et a une grande histoire d’amour avec Eggs (Mehcad Brooks) avant qu’il ne soit assassiné ; lorsqu’elle quitte Bon Temps, elle vivra un temps avec une petite amie, avant d’être transformée en vampire par Pamela et de tomber amoureuse de cette dernière. S’il n’est jamais affirmé qu’Eric aime les garçons, il utilise son charme pour se venger de Russell en tuant le compagnon de ce dernier, Talbot (Théo Alexander), lors d’une partie de jambes en l’air. Quant à James (Nathan Parsons), le petit ami de Jessica de la saison 6 et 7, il la trompera avec Lafayette.
Dans cette série, les rêves érotiques ont un pouvoir extraordinaire. En effet, le sang de vampire a le pouvoir de sauver un humain quelle que soit la gravité de sa blessure. Mais dès que cet·te humain·e a reçu ce sang, il ou elle a alors des rêves érotiques concernant ce vampire, que ce·tte dernier·e soit homme ou femme. Les spectateur·trice·s peuvent ainsi entrer dans la tête de Sookie, alors qu’elle rêve du vampire Bill, sur un mode hétérosexuel, ou dans la tête de l’humain Sam (Sam Trammell) qui rêve aussi de Bill, sur un mode homosexuel. Sookie rêve aussi de deux vampires : Bill et Eric. Ces rêves sont alors filmés de façon érotique et douce, un moment de paix dans un univers où tout le monde peut mourir violemment. Et en tout cas, ils sont suffisamment crédibles pour que Jason (Ryan Kwanten), le petit frère hétérosexuel de Sookie, qui est pourtant un tombeur patenté, ayant partagé le sang du vampire Eric, se pose rapidement des questions sur sa sexualité : est-il bisexuel, lui qui ne ressent aucune attraction pour les hommes en dehors de ces rêves érotiques avec Eric ?
Ainsi True Blood propose une galerie diverse et variée de personnages ayant des relations amoureuses et sexuelles avec des personnes du même genre que le leur.
Pourtant la série est un véritable condensé de clichés. Les personnages bisexuels meurent (Tara), sont fourbes (Eric, pour qui il s’agit d’une arme) ou infidèles (James). Donc une série de stéréotypes négatifs associés à cette orientation sexuelle.
Les homosexuel·le·s ne sont pas mieux loti·e·s : Nan Flannagan aussi trouvera la mort, et Pam se retrouve seule à la fin de la série. Ces personnages présentent toutes les caractéristiques de la convention narrative « Bury your gays », textuellement : « enterre tes gays » : un personnage homosexuel n’a pas le droit à une fin heureuse dans une série télévisée. C’est un stéréotype contre lequel protestera Lafayette, mettant Jessica et les spectateur·trice·s face à leurs contradictions dans un monologue où il réclame son droit au bonheur : « Has it fucking occured to you that Lafayette, that queen that makes all you white heterosexuals laugh and feel good about yourselves, has it ever fucking occured to you that maybe I want a piece of happiness too ? » : « Putain, as-tu déjà songé que Lafayette, cette reine qui vous permet à vous tous, les hétérosexuels blancs, de rire et de vous sentir bien dans votre peau, as-tu déjà songé, putain, que peut-être moi aussi je voulais une part de bonheur ? » (ma traduction) (S7E5)
Sa cousine Tara, elle aussi noire, n’est guère mieux lotie. Elle est la meilleure amie de Sookie. Mais c’est aussi l’incarnation de la convention qu’est l’angry black woman, la femme noire en colère. Toujours à hurler, même sur Sookie, toujours à vouloir se battre contre toutes les injustices qu’elle subit et contre tout ce qui se dresse en travers de son chemin [3]. Tara est pourtant l’un des personnages secondaires les plus importants mais elle n’échappe à aucun cliché. Ses amours sont toujours malheureuses. Eggs est tué d’une balle dans la tête à la fin de la saison 2, et elle aura par la suite le malheur de tomber sur le vampire Franklin Mott. Après une aventure d’un soir, le voilà qui l’attache, utilise son pouvoir d’hypnose, passe de la colère à l’amour, se comportant de façon complétement abusive. Elle essayera de s’en libérer en lui écrasant la tête. Mais c’est Jason qui l’achèvera d’un coup de fusil. Tara n’est pas assez « forte » pour se débrouiller toute seule, pour reprendre sa liberté d’elle-même. Elle a besoin de Jason, de son fusil et ses balles en bois, Jason dont elle est éperdument amoureuse, mais à sens unique. Elle a besoin d’un héros, d’un homme, alors qu’elle aurait pu être celle qui tue son agresseur.
Jason aime les femmes, les coups d’un soir et s’aime surtout beaucoup lui-même. C’est dit de manière très claire au début de la série, lorsqu’on le voit faire l’amour et se montrer du doigt devant un miroir, fier de lui. Ce personnage, donc, tombe amoureux, devient un junkie, perd sa compagne, tente de protéger sa sœur, entre dans une secte anti-vampire (et couche avec la femme du révérend), en sort, est kidnappé par une bande de femmes qui le violent, devient un monstre raciste… Le récit choisit de se centrer sur les agressions que subit Jason. True Blood met en scène un homme, personnage très important dans la série, qui aime le sexe et les femmes, dans une scène (au début de la saison 4) où il refuse explicitement des relations sexuelles avec des femmes qui n’en tiennent pas compte. Il est attaché, drogué et se débat. Mais les femmes, des panthères-garous, le mordent, l’agressent sexuellement pour en devenir enceintes. On ne saura d’ailleurs jamais si ce fut le cas. Mais ce viol et ses conséquences sur la personne de Jason ne seront jamais commentés dans la suite de la série.
D’autres viols et violences sexuelles ont lieu, notamment dans la saison 6, où les vampires sont obligé·e·s de coucher les un·e·s avec les autres, alors qu’ils et elles sont enfermé·e·s dans des cages dans un centre d’expérimentation, et sont torturé·e·s et exterminé·e·s si ils et elles refusent. Mais ces violences restent en arrière-plan, et sont alors utilisés pour montrer que les méchant·e·s sont très méchant·e·s et faire partager aux téléspectateur·rice·s le déferlement de violence cathartique quand les vampires se libèreront et se vengeront (ce qui est d’ailleurs problématique : les viols doivent-ils être utilisés comme outils narratifs pour faire détester des personnages ?). Les cas où un homme est victime de viol, comme Jason, sont assez rares dans les séries où, habituellement, ce sont les femmes qui subissent des violences sexuelles. Mais le sujet est rapidement abandonné, glissé sous le tapis.
Chaque personnage peut ainsi être analysé comme délivrant finalement un message conservateur. Sookie, elle-même, tombe amoureuse de deux vampires. Bill Compton et Eric Northman. Elle rêve lors de l’épisode 9 de la saison 4, de s’ouvrir à eux et de leur proposer un ménage à trois. Elle n’arrive pas à choisir, et même dans un univers où existent des loups garous et des fées, il semble impossible d’envisager autre chose que la monogamie.
Autre option qui ne sera jamais évoquée : la possibilité de l’avortement. Ainsi, lorsque Nicole(Jurnee Smollett-Bell) est enceinte de Sam Merlotte, le patron du bar où travaille Sookie, alors qu’ils se connaissent à peine, le choix ne se pose pas : il faut garder l’enfant.
La dernière scène de la série se passe de nuit dans un jardin. Tout le monde est là, heureux. Alors que les vampires Éric et Pam ont réussi à commercialiser un vaccin contre l’Hep V et sont devenus les figures du capitalisme victorieux, les habitant·e·s de Bon Temps sont tous·tes réuni·e·s autour d’un barbecue. Sookie est enceinte, ayant tué Bill et tout ce qu’il représente, ayant choisi « la vie », normale avec un humain. Jason est entouré d’enfants, heureux en couple avec Jessica, la femme-vampire de sa vie, alors que Sam et Nicole sourient à leur petite fille. Si le but était de mettre un coup de pied dans la fourmilière conservatrice sudiste, c’est raté.
La volonté de rendre tout le monde heureux et gentil, se traduit de façon totalement traditionnelle. Le seul qui survit à ce retour dans le rang est Lafayette, qui a dû pour cela se battre ouvertement pour son droit au bonheur. La série finit donc bien loin de sa promesse de départ, celle d’offrir de la nouveauté, une place aux vampires, fées, loups garous et autres télépathes ; elle finit au contraire par reprendre les clichés au lieu de les combattre. Et ce faisant, True Blood a commis le pire des crimes : devenir ennuyeux.