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Candidate à la mairie de Bilbao, Malen Zubiri (Itziar Ituño), mariée et mère d’une adolescente, Leire, voit ses ambitions politiques compromises par la diffusion d’une vidéo intime. En parallèle, Bego (Patricia López Arnaiz), une enseignante, apprend le suicide de sa sœur, Ane (Verónica Echegui), ouvrière. Celle-ci subissait le harcèlement de ses collègues suite à la diffusion d’une vidéo la montrant lors de relations sexuelles.
Avec pour lien le travail d’une même enquêtrice, Alicia (Ana Wagener), déterminée à combattre toute forme de harcèlement, la série montre les répercussions de celui-ci sur la vie tant publique que privée des victimes. Tandis que Bego se culpabilise de n’avoir pas perçu le mal-être de sa sœur, l’époux et la fille d’Alicia subissent eux-mêmes dans leur vie sociale les conséquences du harcèlement de cette dernière qui se refuse à porter plainte. La co-créatrice de la série, Laura Sarmiento, reconnaît que l’on peut y voir l’écho de faits réels. En 2012, Olvido Hormigos, conseillère municipale de Los Yébenes, avait vu sa carrière ébranlée par la diffusion d’une vidéo intime. Et en 2019, une jeune femme s’est suicidée après la divulgation d’une vidéo auprès de ses collègues d’une usine de camions Iveco.
Le propos peut sembler par moments quelque peu noyé sous l’effet de la choralité du récit. Au-delà de l’idée que le harcèlement est un phénomène qui transcende les classes et les sexes (l’épisode 7 montre brièvement Alicia faire part de son expérience à un jeune homosexuel qui a porté plainte pour une agression homophobe), se dessine en effet derrière la résolution des différentes intrigues, quelque peu décevante (même Malen peine à comprendre la haine qu’elle a suscitée), l’idée que chacun des personnages cache ce qu’il est. Miren a caché sa liaison, l’amant de Miren l’a piégée parce qu’il cachait des dettes. La fille de Miren, Leire (Yune Nogueiras) cache le harcèlement qu’elle subit et laisse exploser sa violence en agressant physiquement son ex-fiancé qui s’était vengé de leur rupture en diffusant, à son tour, des vidéos intimes. Ane a caché à sa sœur et à son compagnon qu’elle était harcelée par son ex-amant puis par ses collègues. L’enquêtrice, Alicia, n’assume pas sa relation avec une femme plus jeune et le désir de maternité de celle-ci.
On se demande parfois également ce qui a justifié le choix de Bilbao comme cadre, en dehors de sa condition de ville de province industrielle (une industrie qui pèse sur Ane comme sur la carrière politique de Malen). En dehors d’un clin d’œil à Louise Bourgeois, dont la sculpture d’araignée géante nommée Maman semble jeter un œil bienveillant sur les retrouvailles entre l’enquêtrice Alicia et sa compagne en quête de maternité, ou de la possibilité d’escapades sur la côte basque, l’identité de la ville n’est guère exploitée – dans la V.O., les personnages ne prononcent que de rares phrases en euskera, ce qui peut sembler peu vraisemblable.
Il faut attendre le dernier épisode pour entrevoir toutes les ambitions de la série. Elle propose alors une véritable réflexion sur une génération sacrifiée, celle de Miren, mentor de la protagoniste et conseillère pour la communication de sa campagne. Les plus physionomistes reconnaîtront Emma Suárez (la Julieta d’Almodóvar) dans le rôle de cette politicienne d’apparence implacable et assez hermétique. Lors d’un dialogue en tête-à-tête avec Malen, Miren (dont le prénom semble renvoyer un miroir à celui de la protagoniste) lui confie avoir été victime de harcèlement au sein du parti, et s’être convaincue qu’elle-même avait intérêt à laisser étouffer l’affaire. La dizaine d’années qui sépare les deux actrices permet à la fois de percevoir un changement de mentalités – Malen reçoit un appui populaire qui a fait défaut à Miren – mais aussi d’insister sur la difficulté d’un choix (dénoncer ou pas) qui reste individuel. Comme l’explique Miren : "‘Victime’, cela sonne comme ‘faiblesse’, ‘auto-compassion’. Ce n’était pas moi. J’ai toujours su que je devais fournir le double d’efforts. J’ai trouvé là un défi".
« Je ne suis pas parfaite », déclare Malen à Miren qui l’encourage à maintenir sa candidature à la mairie. « Mais tu le sais », lui répond celle-ci, faisant de cette supposée faiblesse une force. L’ultime séquence montre Malen collant les premières affiches de sa campagne, répondant ainsi au suspense établi depuis le premier épisode : elle va maintenir sa candidature. La voyant froncer les sourcils, l’un de ses conseillers la rassure : « c’est parfait ». Le contrechamp en raccord-regard nous permet alors de percevoir le point de vue de Malen : l’affiche qu’elle vient de coller fait des plis, comme autant de cicatrices barrant son visage. Personne n’est parfait. Et l’injonction de perfection touche en premier lieu les femmes, celles qui sont dans la lumière, et qui exigent d’elles-mêmes une perfection inatteignable.
C’est sans doute dans ses imperfections et ses écarts avec un format hautement standardisé, que la série Intimidad est la plus intéressante. La voix over, surplombante et d’outre-tombe, de Sunset Boulevard (Billy Wilder, 1950) à American Beauty (Sam Mendes, 2000), reprise par Desperate Housewives (Marc Cherry, 2004-2012) a été ensuite banalisée par nombre de séries pour se muer en simple voix d’un personnage supposé tirer la morale de chaque épisode (c’est le cas dans Grey’s Anatomy, par exemple). Ici, ce n’est pas le simple fait qu’Ane s’adresse tour à tour aux différentes protagonistes féminines (qu’elle les ait ou non connues), ni que leurs voix prennent le relais dans le dernier épisode, qui en fait l’originalité. Celle-ci tient plutôt dans sa façon de leur parler, adaptant son discours à la personnalité de chacune, comme seule une voix d’outre-tombe peut le faire, voyant dans le drame de chacune le reflet de la tragédie qui l’a poussée au suicide. La voix d’Ane illustre ainsi le drame de Leire avec force jurons qui traduisent la colère de l’adolescente. Ces voix intérieures – ou intimes – comme le plan subjectif de Malen sur sa propre image qui clôt cette première saison, traduisent un besoin d’écoute. Ces voix disent le besoin d’une sororité qui parfois peut se créer (entre Bego et Malen, entre celles-ci et Alicia, entre Bego et l’activiste qui lui propose de rejoindre son association, entre Malen et sa fille Leire) et d’autres fois va échouer. Ainsi, prise de remords, Malen contacte une victime de harcèlement dont elle avait défendu l’agresseur en tant qu’avocate et lui propose de l’aider à rouvrir son dossier : mais celle-ci refuse. Parce que la série rejette aussi le happy end parfait, celui qui donnerait bonne conscience.