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Emmanuel Finkiel / 2018

La Douleur


>> Geneviève Sellier / mardi 30 janvier 2018


La Douleur tente de restituer le ton et le climat de deux courts récits de Marguerite Duras, où elle relate d’une part les relations troubles qu’elle a entretenues entre avril et août 1944 avec un agent français de la Gestapo qui prétendait pouvoir intervenir pour son mari, Robert Anthelme, qu’il avait arrêté sur dénonciation début avril. Ayant prévenu son réseau de ce contact, elle le maintint avec son assentiment, car elle pensait pouvoir lui soutirer des informations utiles, et finalement le faire exécuter par ses amis. Le réseau en question était dirigé par François Mitterrand, sous le pseudonyme de Morland (incarné par Grégoire Leprince-Ringuet), et c’est lui une fois Paris libéré, et devenu Secrétaire général aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés, qui retrouvera en Allemagne Robert Anthelme à l’article de la mort dans un camp de concentration libéré par les Américains et le fera rapatrier à Paris.

Le film raconte cette période d’avril 1944 à août 1945, en épousant très étroitement, y compris par la voix off, le vécu de Marguerite Duras. On ne quitte quasiment pas le visage émacié de Mélanie Thierry, rongé alternativement par l’inquiétude, la peur, l’espoir et le désespoir. Ce parti pris, aux antipodes des codes du biopic, amène le réalisateur à utiliser de plus en plus le flou, pour filmer les gens et l’environnement autour de Marguerite, au fur et à mesure que l’attente lui devient de plus en plus insupportable (en particulier à partir d’août 1944 après la Libération de Paris). Il faut saluer la performance de Mélanie Thierry sur qui repose tout le film. La douleur n’est pas photogénique, surtout quand elle dure des mois et qu’elle se traduit par un recroquevillement sur soi aboutissant à une sorte de paralysie.

Emmanuel Finkiel se refuse à toute effusion, pour respecter le texte de Duras, y compris dans ses relations avec ses amis, en particulier avec celui qu’on devine son amant, Dionys Mascolos (incarné par Benjamin Biolay), qui est dans le même réseau et très proche de son mari.

Cependant, la première partie, qui raconte ses rendez-vous réguliers avec Rabier, l’agent de la Gestapo incarné par Benoît Magimel, suggère une complaisance de la part de Duras qui est absente dans l’original  : en effet, dans le récit qu’elle en fait, la peur est toujours présente, y compris de sa propre arrestation (contrairement à ce qu’elle raconte à Rabier, elle est également membre du réseau de résistance son mari), et le chantage qu’il lui fait subir, en prétendant pouvoir intervenir pour son mari, est raconté comme une situation extrêmement pénible où elle doit constamment prendre sur elle pour feindre de répondre à l’intérêt qu’il a pour elle, en tant que femme et en tant qu’écrivaine.

Mais le film ajoute dans le comportement de Duras une complaisance gênante, en particulier lors de leur dernière rencontre, à la veille de la Libération de Paris, dans un restaurant du marché noir, où elle boit plus que de raison pour oublier sa peur (deux membres de son réseau l’ont rejointe dans le restaurant pour identifier Rabier en prévision de son exécution). Dans le film, elle finit par danser avec lui et par l’embrasser avant de le quitter sans qu’il soit inquiété. Elle apparaît ainsi dans une position beaucoup plus ambigüe que dans le récit de Duras où ce flirt n’existe pas. Au contraire, Duras raconte le procès qui finalement aboutira à sa condamnation à mort, en partie grâce à son témoignage.

D’une manière générale, le film la montre beaucoup plus passive qu’elle ne se décrit dans son récit : si on la voit à plusieurs reprises dans les réunions du réseau, elle n’a aucun rôle, sinon celui d’épouse d’un résistant arrêté que les autres membres (tous masculins) du réseau essaient d’aider et de soutenir dans cette épreuve. Sa passivité est accentuée par le comportement suractif de la mère d’une amie juive qu’elle héberge, en attendant le retour de sa fille (qui ne reviendra pas). Elle erre comme une âme en peine dans son appartement, dans les rues de Paris libéré, complètement étrangère à la joie des personnes qu’elle croise. On ne la voit pas travailler (elle mentionne dans son récit son travail de journaliste) ni même écrire.

Et quand son mari revient, elle refuse de le voir tellement elle est terrorisée par son état. Le film insiste lourdement sur son incapacité à affronter le retour du déporté que ses amis ont ramené d’Allemagne entre la vie et la mort.

Puis, contrairement au récit détaillé qu’elle fait des soins qu’elle lui prodigue pendant la longue période où il oscille entre la vie et la mort, le film, sans doute parce que c’était impossible à représenter, fait une énorme ellipse jusqu’au moment où elle séjourne au bord de la mer avec lui convalescent et lui apprend qu’elle veut divorcer.

Si dans le récit qu’elle en fait, Duras ne cherche à enjoliver ni son état ni son rôle pendant cette période terrible, le film accentue sa passivité, d’abord face à l’agent de la Gestapo, puis pendant la longue période (quasiment un an) où elle attend le retour de son mari.

Malgré l’extraordinaire performance de Mélanie Thierry, l’image de Duras que donne le film est celle d’une femme peu consciente des enjeux politiques de la période, aisément manipulable et incapable de faire face. Heureusement que les hommes qui l’entourent (Dionys, son amant et Morland, le chef du réseau) prennent soin d’elle et lui ramèneront finalement son mari…

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